Le Palais des Lys s’était figé dans une quiétude presque irréelle. La lune, suspendue dans un ciel clair et profond, baignait les tuiles du palais d’un éclat argenté. Le vent effleurait les lanternes accrochées aux poutres sculptées, jouant de leur lumière vacillante comme d’une harpe silencieuse. Et là, sur le sommet du toit incurvé, Jiayi restait immobile, à la croisée de ses pensées et de ses doutes.
La discussion avec la noble consort concubine avait semé en elle une graine d’incertitude. Son ton doux, ses mises en garde à demi-mot, ce thé servi avec élégance et ces sourires si parfaitement mesurés…
> *« Est-elle une alliée cachée… ou une ennemie plus dangereuse encore que l’impératrice ? »*
Jiayi se souvenait encore du regard de la concubine, de cette étincelle presque jalouse dans ses pupilles lorsqu’elle avait dit :
— *“Vous avez cette liberté, Shen Jiayi. Celle de n’appartenir encore à personne. Protégez-la.”*
Et elle avait répondu, sans détour :
— *“Et vous, protégez bien votre héritier. Tous les serpents ne sifflent pas.”*
Ces mots flottaient encore dans son esprit. Perchée au sommet du palais, Jiayi observait le monde d’en haut, comme une sentinelle hors de la portée des intrigues. Mais au fond, elle savait : nul n’était vraiment à l’abri.
Un bruissement sourd fendit l’air, rapide, furtif — trop proche.
Par pur réflexe, Jiayi bondit sur ses pieds, le corps tendu, ses doigts se refermant autour de la lame dissimulée à sa ceinture.
— Tss… Toujours aussi vive.
Une silhouette émergea de l’ombre, silhouette masculine vêtue de noir, sa cape ondulant derrière lui comme une ombre vivante. C’était Wei Yinzhao, le garde le plus fidèle de l’empereur. L’éclat de la lune dessinait les contours de son visage aux traits durs, impassibles, mais les yeux… les yeux semblaient la chercher.
— Wei ?! s’écria Jiayi, en abaissant son poignard. Vous avez une idée de ce que vous m’avez fait ? J’ai cru que c’était un assassin de la cour !**
— Et si je l’avais été ? répliqua-t-il, un sourire en coin. Il vous faut mieux que des réflexes.
Jiayi roula des yeux avant de se rasseoir, croisant les bras.
— Qu’est-ce que vous faites ici ? À cette heure ? Sur ce toit ? Ce n’est tout de même pas pour admirer la lune avec moi.
Wei s’assit près d’elle, sans demander la permission, le regard rivé vers l’horizon.
— Je vous cherchais.
Un silence. Puis :
— J’ai besoin de savoir si vous allez bien.
Jiayi arqua un sourcil, surprise par cette franchise inhabituelle.
— Depuis quand le chien de garde de l’empereur s’enquiert-il de la santé d’une simple noble ?
— Depuis qu’il a entendu des plans visant à faire d’elle une traîtresse.
Son ton avait changé. Plus dur, plus grave.
Jiayi se tourna vers lui, et dans ses yeux luisait une lueur de défi.
— Ils peuvent essayer. Je n’ai rien à me reprocher. Et je ne courberai pas l’échine.
Wei la dévisagea longuement. Puis, plus doucement :
— Le ministre Jiang a payé la nation voisine pour voler les récoltes. Ils vont te faire porter le blâme, Jiayi. Tu risques d’être jugée pour trahison.
Elle inspira profondément, calmement.
— Je m’y attendais.
— L’empereur sait tout, continua Wei. Il te laisse gérer cela seule. Il dit vouloir “voir si tu en es digne”.
Jiayi détourna les yeux, un rictus amer aux lèvres.
— Et vous, qu’en pensez-vous ?
Wei marqua une pause. Puis, contre toute attente, il répondit d’un ton sincère :
— Je pense que tu mérites mieux que ça. Que tu n’es pas une pièce qu’on jette sur l’échiquier juste pour observer comment elle tombe.
Le vent se leva légèrement, emportant un instant leur silence. Jiayi posa son regard sur lui, comme pour sonder la sincérité derrière ses mots.
— Vous vous attachez, garde Wei. Ce n’est pas prudent.*
— Et vous, Jiayi, vous êtes dangereuse. Ce n’est pas prudent non plus.
Elle éclata d’un rire discret, cristallin.
— Alors nous sommes deux imprudents sous la lune.
Ils restèrent là, à contempler la cité endormie, deux âmes conscientes du chaos à venir, mais décidées à y faire face.
— Je vais aller voir l’entrepôt moi-même demain à l’aube, dit-elle. Je dois comprendre comment ils comptent me piéger.
— Je viendrai avec toi.
— Non. Si tu es vu avec moi, ils sauront que je suis protégée. Je veux qu’ils croient que je suis seule.
Wei serra les dents, mais acquiesça.
— Alors je t’observerai. De loin. Et si les choses tournent mal, je ne resterai pas loin.
Jiayi inclina légèrement la tête.
— C’est peut-être pour ça que je vous supporte. Vous comprenez quand il faut rester invisible.
La lune, haute et brillante, éclairait leurs deux silhouettes perchées sur les toits, figées dans un moment suspendu, comme un souffle entre deux tempêtes.
Et dans le silence de la nuit, une certitude se formait dans l’esprit de Jiayi : la partie avait commencé. Et elle comptait bien ne pas être celle que l’on sacrifie.
***Téléchargez NovelToon pour profiter d'une meilleure expérience de lecture !***
33 épisodes mis à jour
Comments