Entre l’ombre et la lumière

La nuit tombait lentement sur la forêt, peignant les cieux d’un violet profond où s’accrochaient les premières étoiles. Le petit campement improvisé qu’ils avaient dressé, à l’abri d’un rocher moussu et d’arbres courbés par le vent, baignait dans le silence.

Aelstrom nourrissait les flammes du feu, jetant quelques herbes séchées qu’un ancien druide lui avait offertes. L’odeur apaisante se diffusa, calmant les sens et éloignant les créatures tapies dans l’obscurité.

Ilmarion, assis non loin, nettoyait son arc divin avec une précision presque religieuse. Ses doigts glissaient sur la courbe dorée de l’arme, et à chaque geste, son regard devenait plus lointain.

— Tu ne dors pas ? demanda Aelstrom sans lever les yeux.

— Pas encore. Toi non plus, apparemment.

Un léger sourire étira les lèvres du roi dragon.

— Difficile de fermer l’œil quand le monde s’écroule.

— Et pourtant, c’est dans ces moments-là qu’on en a le plus besoin.

Un silence s’installa, cette fois plus confortable. Ilmarion leva les yeux vers Aelstrom. La lumière du feu dansait sur le visage dur et fier du roi humain, mais aussi sur ses traits marqués par la fatigue.

— Pourquoi es-tu vraiment venu avec moi ? demanda Ilmarion soudainement. Tu as confié mes frères et sœurs à ta vouivre. Tu aurais pu rester au palais, attendre des rapports.

Aelstrom leva les yeux vers lui, calme.

— Parce que je t’ai vu, prêt à te jeter au milieu des démons sans plan ni escorte, juste pour ta famille. Parce que tu tiens à ton peuple plus qu’à ta propre vie. Et parce que tu me rappelles ce que j’ai perdu… et ce que je dois protéger.

Ilmarion détourna les yeux un instant, pris de court par cette honnêteté. Puis il souffla doucement :

— Je n’ai pas le luxe de perdre espoir.

Aelstrom se leva lentement, s’approcha, et s’assit près de lui. Leurs épaules se frôlèrent légèrement.

— Ni moi. Mais ensemble, peut-être qu’on peut rallumer une étincelle.

Un bruit léger brisa leur moment. Une branche craqua derrière eux. En un éclair, Ilmarion avait saisi son arc, une flèche lumineuse déjà prête à partir. Aelstrom dégaina à son tour, le feu de son épée crépitant.

Mais ce n’était qu’un renard effrayé, qui détala en un éclair.

Ilmarion abaissa son arc avec un soupir. Aelstrom rangea son arme, avant de murmurer :

— Tu es toujours aussi tendu quand tu es réveillé ?

— Quand je suis entouré de démons, oui, répondit Ilmarion avec ironie.

— Tu devrais apprendre à détendre un peu ton arc. Tu vas finir par le casser.

— Et toi, tu devrais apprendre à ne pas provoquer un elfe qui tient une arme sacrée.

Leurs regards se croisèrent. L’espace d’un instant, le sérieux s’effaça, remplacé par un éclat complice.

— Touché, murmura Aelstrom.

Ilmarion détourna à nouveau le regard, dissimulant à peine un sourire. Il attrapa une cape de voyage et l’étendit près du feu.

— Dors un peu. Je prends le premier tour de garde.

— Tu me fais confiance, héritier des elfes ?

— Je ne confie pas ma vie à n’importe qui, répondit Ilmarion. Mais tu n’es pas n’importe qui.

Aelstrom s’allongea, les bras croisés derrière la tête, observant les étoiles à travers les feuilles.

— Tu es plus dangereux avec tes mots qu’avec ton arc.

— Et toi, plus humain que tu ne veux bien l’admettre.

Le silence retomba, lourd de sens. Et pour la première fois depuis longtemps, dans l’obscurité menaçante de la forêt, deux rois se laissèrent aller à la paix d’un moment partagé.

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