Le roi de cendre

La lune filtrait à travers les vitraux du palais draconique, projetant sur le sol de pierre des reflets bleu argent. La chambre royale, vaste et silencieuse, n’était éclairée que par quelques chandelles aux flammes vacillantes. Le silence régnait, presque sacré.

Aelstrom Kaelen Drakaris se tenait debout devant le balcon, torse nu, vêtu seulement d’un pantalon noir souple qui retombait sur ses hanches. Sa peau, marquée par les batailles, semblait briller sous la lueur lunaire. Son dos puissant se soulevait lentement au rythme de sa respiration calme, mais tendue. Ses yeux, dorés comme ceux des dragons dont il descendait, fixaient l’horizon invisible.

Il tenait dans sa main un anneau ancien, forgé dans l’onyx et gravé de runes oubliées. L’emblème de son sang. Celui qu’il portait lorsqu’il fut couronné.

Un soupir traversa ses lèvres.

— Ils pensent que je suis une pierre. Une flamme froide, inébranlable. Mais même la lave finit par se figer sous le poids du devoir…

Il referma lentement la main sur l’anneau. Depuis l’arrivée de l’elfe blessé, Ilmarion Elyndriel, ses pensées étaient en ébullition. Il n’avait rien laissé paraître devant les médecins, ni devant ses conseillers. Mais quelque chose dans le regard de ce prince l’avait troublé.

Il connaissait cette douleur silencieuse. Ce genre de perte… ce vide.

— Tu es comme moi, petit prince, murmura-t-il, pensif.

Aelstrom s’approcha d’un meuble de bois sombre et tira un tiroir. Il en sortit une bouteille de vin noir, fruit d’une vendange draconique qui ne poussait que dans les terres volcaniques du sud. Il remplit un verre de cristal, s’assit dans un fauteuil, le dos appuyé lourdement, et but une gorgée.

Il ferma les yeux un instant. Le feu de la boisson se mêla à celui qui brûlait constamment en lui.

— Un héritier sans royaume. Une couronne sans trône… Que vas-tu devenir, Ilmarion ?

Il rouvrit les yeux et tourna la tête vers le coin de la chambre. Là, une tapisserie ancienne représentait la guerre des Premiers Feux, celle où les dragons et les elfes avaient combattu côte à côte contre les démons. Une alliance brisée depuis des siècles.

— Devrais-je te renvoyer ? se demanda-t-il à voix basse. Te garder sous ma protection ? Ou… m’allier à toi ?

L’idée l’agaçait autant qu’elle le fascinait. Il n’aimait pas les inconnus dans son palais, encore moins dans son espace privé. Et pourtant, il avait donné l’ordre de le loger dans l’une des chambres nobles. Pas dans une cellule. Pas dans l’infirmerie. Il avait voulu qu’il soit traité avec respect.

Et cela… ce n’était pas commun.

Il se leva, fit quelques pas lents dans la pièce, puis s’arrêta devant un miroir orné de gemmes. Il observa son reflet. L’expression sévère, les épaules larges, les yeux froids.

Puis, un léger sourire effleura ses lèvres.

— Je deviens faible, ou simplement… plus stratégique ?

Il posa le verre, s’approcha du lit, mais au lieu de s’y allonger, il s’assit au bord. Le poids des décisions à venir l’écrasait autant que les attentes de son peuple. Il n’avait jamais été du genre à écouter son cœur. Mais depuis quelque temps, un étrange pressentiment le hantait.

Quelque chose changeait.

Le monde se mouvait. Les démons s’éveillaient. Et le destin avait placé cet elfe sur son chemin.

Il reposa l’anneau sur la table de chevet, puis murmura avec ironie :

— Tu aurais au moins pu être laid. Ça aurait été plus simple.

Un rire léger, presque imperceptible, vibra dans sa gorge. Puis il se redressa, reprenant son air impassible. Demain, il devrait prendre une décision. Sur le sort du prince. Sur l’avenir du continent. Et peut-être, sur la guerre elle-même.

Mais cette nuit, dans l’intimité de ses quartiers, il pouvait se permettre de douter. Juste un peu.

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