19

Un autre jour, dans la salle de classe, en attendant le début des cours, Conor regardait distraitement par la fenêtre. Puis, il entendit un bruit. Il se retourna. C'était Greg qui, comme d'habitude, allait le déranger, et cette fois, posa une trousse bien remplie sur sa table.

« Tiens, voilà ! Maintenant, tu n'auras plus besoin d'utiliser tes pouvoirs ! »

Conor poussa un soupir mécontent.

« Je ne t'ai rien demandé. »

« Je voulais juste t'être utile, c'est tout. »

Conor regarda son ennuyeux harceleur avec des yeux plissés, se mordant distraitement les lèvres.

« Et quel est ton véritable but dans tout ça ? »

« Mon but ? »

« Personne ne fait rien gratuitement, que ce soit dans le monde humain ou magique. »

Greg n'eut pas le temps de répondre, du moins s'il avait quelque chose à dire, car la cloche d'entrée retentit.

Un autre jour, à la cantine, à la table du fond de la salle qui était devenue celle de Conor, ce dernier avalait son repas sans trop réfléchir, quand il dit soudain.

« Au moins, tu es persévérant. »

Il leva la tête et plongea son regard voilé dans celui de Greg, qui venait de s'asseoir en face de lui, les bras croisés, le visage ouvert, mais l'expression résolue.

« Tu sais que tu n'as rien à m'envier de ce côté-là. »

« Comment peux-tu dire ça ? Tu ne me connais pas ! Tu n’as aucune idée de ce que je suis vraiment. »

« Je n'ai pas besoin d'aller plus loin pour le savoir. Ce n'est pas que je sois contre ! Faire connaissance avec toi de manière plus poussée. »

Conor se crispa et recula instinctivement.

« Désolé, ce n’est pas que je suis contre les gens comme toi, mais je suis cent pour cent hétéro. »

Greg fronça les sourcils, ne comprenant pas tout de suite.

« Tu ne parles pas à la bonne personne, mais je te souhaite bonne chance. Ce n'est plus difficile pour les gens comme toi de faire connaissance et de vivre vos idylles au grand jour. » l'encouragea-t-il d'un air indifférent.

« Je suis hétéro ! Mais même si je ne l'étais pas, il n'y aurait rien eu entre nous ! Tu n'es pas mon genre ! »

Le jeune mage esquissa une légère grimace.

« Dis que je ne t'attire pas. Tu n'as pas à te retenir, je n'attire personne ! Et je ne leur en veux même pas. C'est cruel et injuste, mais c'est la vie ! »

Et Conor s'exprima sans trahir la moindre émotion. Son interlocuteur pensait que le jeune mage était plus insaisissable et complexe qu'il ne l'avait imaginé.

« Qui sort des citations foireuses maintenant ? »

« Touché. Alors, dis-moi ce que tu veux ? »

La question était à nouveau arrivée sans préparation et il avait envie de tergiverser.

« Qui te dit que... »

Bien sûr, Conor ne le laissa pas faire.

« Crache le morceau ou je te crache quelque chose au visage et ce ne sera pas de la salive ordinaire. »

Greg tressaillit avant d’acquiescer docilement.

« D’accord, mais je doute fort que mon but soit difficile à deviner. Ça devrait même être d’une clarté incontestable. »

Conor leva les sourcils.

« Mais je préfère que tu me le révèles tout de même clairement. »

« Mais tu es un mage, et toute ma vie, j'ai rêvé d'en approcher un. Je veux dire, aussi prêt que possible. »

« Pourquoi ? »

« N'est-ce pas aussi évident ? Parce que tu es magique ! Et la magie est ma passion ! »

Conor écarquilla les yeux.

« Tu es sérieux ? »

« Oui, mais je suis né cent pour cent humain. »

Conor haussa les épaules.

« C'est un rêve classique, mais malheureusement pour toi, tu t'es trompé de personne, ou plutôt de magicien. »

Le jeune blond réfléchit à ce que venait de dire son camarade.

« Tu m'as déjà dit ça une fois, et je dois t’avouer que depuis, je n’ai cessé de penser à la signification de tes paroles. Qu'est-ce que tu voulais dire par là ? »

« N'es-tu pas stupide de ne pas avoir deviné ? »

Greg se mordit la lèvre avant de s'enquérir prudemment.

« Est-ce que c’est une sorte de punition ? »

Conor ne put s’empêcher d’émettre automatiquement un bref ricanement.

« On peut dire ça comme ça. Mais en pire. Pour toi et pour moi. »

Greg réfléchit encore, plus longuement, puis sembla avoir deviné.

« Tu n'as pas de magie. »

« Bingo. Tu es beaucoup de choses, mais je dois admettre que tu n'es pas stupide. »

« Comment est-ce possible, je t'ai vu changer la couleur de ce stylo. »

« Et c'est tout ce que je suis capable de faire. Et aussi de faire pousser une moustache. Pour le reste, je suis comme toi. »

L'expression de Greg était si incrédule que cela fit rire Conor.

« Je suis désolé ! » C’était tout ce qu’il trouva à dire.

« Moi aussi, mais tu ne peux rien y faire, ni personne d'autre d'ailleurs. »

« Mais... »

Le jeune mage se leva de table.

« Tu es intéressant, même si tu es agaçant et collant, mais désolé, je n'ai pas changé d'avis. Je ne veux personne autour de moi. »

Conor s’était déjà éloigné. Greg avait encore les yeux écarquillés, regardant Conor sans vraiment le voir quand il se ressaisit.

« Je ne vais pas te laisser partir. »

Conor se méfia et s'arrêta.

« Tu es sûr que je ne t'attire pas ? Qu'il n'y a pas d'arrière-pensée dans tes intentions ? »

« Non ! »

Le jeune mage rit.

« Alors, au revoir. »

« Je n'abandonne pas. J’ignore si c’est un défaut ou une qualité et je m’en fiche, mais je suis ainsi. »

« Si tu veux, mais comme tu l’as si bien fait remarquer, je suis moi aussi très obstiné. »

4

Ce jour-là, tout se passa tout d’abord comme d'habitude, avec les cours normaux et ennuyeux, l'insistance de Greg et le harcèlement du stupide groupe de Teddy.

Conor poussa un soupir de soulagement lorsque la cloche de sortie retentit.

« Bon, je vous conseille tous de finir le livre. » leur conseilla M. Liam tout en rangeant ses affaires dans sa mallette, sans que personne ne prenne la peine d'écouter. « On se voit lundi. »

Conor rangea également ses affaires et se leva pour partir.

« Conor, attends. »

L’interpellé fit semblant de n’avoir rien entendu et s'éloigna. Greg le suivit.

« Et les pédés, embrassez-vous pendant que vous y êtes. » leur lança le chef des abrutis en faisant des gestes de baisers agaçants.

« L'homophobie n'est plus acceptée à notre époque, mon vieux. C'est même une faute impardonnable. Continue comme ça et tu seras socialement pulvérisé. »

Teddy renifla avec mépris.

« Ce sont les mensonges que nous faisons croire à des tarlouses répugnantes comme vous pour vous empêcher de vous suicider. »

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