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Sa mère réfléchit, mais ne trouva rien à dire. Et lorsqu'elle s'en rendit compte et que cela se refléta dans ses yeux, son enfant faillit hurler de rage. Il aurait voulu exploser de colère, détruire tout ce qui l'entourait. Mais il ne pouvait pas.

« Tu vois ? Que tu le veuilles ou non, tu es celle qui en est le plus consciente. Après moi, bien sûr », ajouta-t-il cyniquement, comme si cela allait de soi.

« Oh, mon cher garçon. Je sais à quel point tu aimerais que ton vœu se réalise. Mais s'il ne se réalise jamais, tu pourras toujours faire ce que ton grand-père a fait. »

Conor fronça les sourcils.

« Tu veux dire pêcheur ? »

« Il est le meilleur de son groupe. »

« Maman, il utilise sa magie pour pêcher ! »

« Mais les humains ne le font pas ! »

Le voilà, le mot longtemps interdit qui ne l'était plus. Ils commençaient à dépasser ce stade.

Si Marion en parlait avec autant de légèreté, c'est parce qu'elle était mage, l'une des meilleures d'ailleurs. Sa réputation n'était plus à faire. Elle n'avait donc aucun mal à aborder le sujet. Malgré tout l'amour qu'elle lui portait, à lui, son unique enfant, elle ne comprenait pas, et il était hors de question qu'elle comprenne un jour.

Elle n'avait aucune idée de ce qu'il ressentait, de sa colère, de son profond sentiment d'injustice, de son sentiment d’infortune, de son humiliation, et surtout de son impuissance. Cette effroyable impuissance à changer ce qui était.

Il aurait voulu ne pas être une déception pour sa mère, pire, une honte, mais c'était le cas. Il ne comprenait pas comment on pouvait naître comme lui, mais c'était ainsi, et rien ne pouvait l'arranger. Pour son malheur, pour le malheur de sa mère.

Cependant, il pouvait détourner la discussion en en abordant une autre qui lui tenait particulièrement à cœur, et d'une manière qui lui semblait encore plus difficile à gérer.

« Je ne sais pas combien de fois, tu m'as dit cela. Mais pourquoi toujours grand-père ? Pourquoi pas... mon père ? »

Même si Marion s'attendait à ce que Conor aborde ce sujet qui se trouvait être l’un des plus délicats pour eux deux, elle ne sut jamais comment se comporter et encore que répondre, et resta dans un silence tendu, impossible à rompre.

La mère et le fils se regardèrent longuement. C'était si intense que Conor se détourna finalement lorsqu'il vit les larmes monter dans les yeux de sa belle sorcière.

« Ne t'inquiète pas, maman. Je ne vais pas essayer de t’arracher la vérité ce matin. J'ai trop de choses à faire, et trop de choses remplient ma tête. »

Conor se leva.

« Bon, je vais prendre une douche et manger ce foutu petit déjeuner avant d'aller dans cette école qui ne me garde que par pitié, et aussi pour toi. Mais je crois que leur patience est sur le point de s'épuiser. »

Conor sortit en trombe de sa chambre.

Quelques minutes plus tard, Conor sortit de son immeuble, descendit les escaliers et passa devant la salle d'observation du concierge, Suri, une Japonaise sans âge qui l'observait toujours de ses petits yeux louches.

« Oh, jeune Conor. Je vois que tu n'as toujours pas changé ! »

« Bonjour à vous aussi, Madame Suri. »

« Je me demande quel est votre problème ! »

Avec cette vieille femme toujours au même endroit, constamment habillée des mêmes vêtements sombres et miteux, il valait mieux ne jamais commencer une dispute, mais c'était difficile, vraiment difficile.

« Je ne pense pas que ce soit vos affaires. »

« Je n'ai même pas besoin de demander pour savoir. »

« Merci de vous en préoccuper ! »

Soudain, une ombre passa, faisant sursauter Conor. C'était un oiseau noir aux yeux rougeoyants qui s'était posé sur la rambarde de l'escalier.

Le jeune homme fut terrifié par son regard avide, l'aura froide et noire qu'il dégageait.

« Qu'est-ce que... ? »

« Oh, c'est un Reg », l'informa le conciliateur en reniflant.

« Oui, je sais, mais ce que je veux savoir, c'est ce qu'il fait ici ? Normalement... »

« Normalement, ces bêtes affreuses et ces gobeurs enragés ne se trouvent qu'à proximité d'un océan de chair, de mort et de magie noire. Les oiseaux de malheur dans toute leur splendeur. »

Un autre oiseau descendit se percher à côté de son compagnon.

« Ils ne peuvent vivre qu’en groupe, et un groupe compte au moins un millier. »

« Que veulent-ils ? »

« Je n’en sais rien. Un essaim entier a élu domicile sur la terrasse de notre immeuble. »

Conor leva les yeux et vit les Regs planer dans l'espace du bâtiment et d'autres se poser sur les bords de la terrasse.

« Mais pourquoi sont-ils là ? Il n'y a pas d'océan de ténèbres ici. »

La concièrge ricana en avalant un morceau de viande dégoulinant d'huile.

« Qui sait, petit, ils sont peut-être là pour toi. »

« Très drôle. »

Madame Suri se mit à rire plus fort, elle ne faisait que plaisanter, mais cela ne fit pas rire Conor du tout ; au contraire, ses paroles l'inquiétèrent, car il s'agissait vraiment de bêtes sinistres, de la pire espèce qui soit : incapables d'être chassées autrement que par une puissance astronomique, elles ne se posaient jamais que dans un endroit où régnait le malheur et où la magie noire était d’une abondance effrayante.

Il y avait quelque chose dans leur immeuble, dans leur quartier qui les attirait, qu'ils convoitaient, qu'ils vénéraient, toutefois, tout le monde était visiblement trop effrayé pour chercher à savoir quoi.

« Vu votre particularité, on ne sait jamais » ajouta encore la concierge avec une malice qui fit grincer le jeune mage. Ce dernier en avait d’ailleurs assez entendu. Il arrangea sa sacoche.

« Bonne journée à vous aussi ! Enfin, si c'est possible ! »

Après lui avoir rageusement lancé ces mots, il s'en alla.

***

Vingt minutes de marche pour une personne normale depuis son immeuble jusqu’à l’académie, mais beaucoup moins pour les « vrais » mages.

La plupart des étudiants s'y rendaient sur le dos de leur créature magique, ou à toute vitesse, ou par téléportation, ou même avec un chauffeur, et pourtant....

Personne ne faisait comme le jeune homme, parce qu'il n’était pas comme les autres, et cette distinction était tout sauf une bonne chose.

Il ne se sentait pas à sa place, et pas seulement à l'école.

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