Chapitre 4 : Petits miracles

Comme prévu, j'avais accompagné Chris au poste de police. L'inspecteur Jones, surpris en le voyant, s'était cru dans une série policière. Mon mari avait pris le temps de tout lui expliquer, détaillant tout, de sa tentative de suicide jusqu'à la fameuse nuit où il avait simulé sa mort.

Dans tout cela, il ne risquait pas grand-chose ; après tout, il voulait sauver sa peau. Cependant, Henri risquait gros pour avoir menti à la police. Le fait qu'il ait tiré sur Ayden était considéré comme de la légitime défense - pour sauver Chris - et il ne serait pas puni pour cela. En revanche, donner une fausse déposition était un délit et pouvait avoir des conséquences sévères.

Chris avait insisté sur le fait que c'était son idée, qu'il était le seul responsable, mais en justice, la situation était plus complexe. Heureusement pour nous, l'enquête était toujours en cours, aucune décision juridique n'avait été prise. Ainsi, il suffisait qu'Henri rétracte spontanément sa déposition pour échapper à une peine de prison.

Nous l'avions immédiatement contacté, et il s'était présenté pour modifier sa version des faits et dire la vérité cette fois. J'avais remarqué que Chris se retenait de toutes ses forces pour ne pas se jeter sur lui. J'avais compris qu'il lui en voulait de lui avoir caché ma grossesse en prétendant que j'avais une infection à l'estomac.

Ils étaient amusants tous les deux, et j'admirais leur camaraderie. Cela prouvait qu'en dépit des plans malveillants d'Ayden pour en faire ses amis, il y avait du sincère dans cette amitié. Ils étaient présents les uns pour les autres, quelles que soient les circonstances.

Après la déposition de Chris, l'inspecteur Jones nous avait assuré que l'enquête sur Ayden serait approfondie et que les autorités feraient tout leur possible pour obtenir un mandat afin qu'il ne quitte pas l'hôpital de sitôt.

Nous devrions tous comparaître devant un tribunal si les preuves étaient suffisantes pour le commander. J'étais rassurée, sachant que Chris ne risquait rien, Henri non plus, et qu'Ayden n'allait pas s'en sortir aussi facilement.

Une fois nos affaires réglées au commissariat, nous nous étions rendus chez les parents de Chris. Il était nerveux comme jamais, surtout lorsque sa mère s'était évanouie en le voyant. Son père avait pleuré à chaudes larmes, marquant l'un des moments les plus émouvants auxquels j'avais assisté.

Après que Marilyn soit revenue à elle, elle n'avait plus lâché son fils. Il avait pris son courage à deux mains pour tout raconter à ses parents, absolument tout. Ma belle-mère avait failli tomber une deuxième fois dans les vapes en apprenant que son fils avait tenté de se suicider dix ans auparavant.

Je n'aurais jamais pensé qu'il franchirait ce pas, mais il m'avait confié qu'il ne voulait plus de secrets, plus de mensonges. Il souhaitait entamer un nouveau chapitre en étant totalement transparent avec ses proches. Il voulait construire un environnement sain pour nos enfants. J'étais fière de lui et de ses résolutions.

C'était ce que je voulais moi aussi ; un renouveau.

Ensuite, nous avons retrouvé Sébastien avec Sam au bar. Chris a commencé par les taquiner en les félicitant de s'être enfin mis ensemble, alors qu'ils le regardaient tous les deux, bouche bée, incrédules.

Sam s'était effondré après la disparition de Chris, alors le retrouver après tout ce temps l'avait surexcité au point qu'il s'était jeté sur lui et l'avait embrassé sur la bouche. C'était un baiser anodin, sans signification particulière, mais Chris était sur le point de péter les plombs. Je ne l'avais jamais vu rougir autant, c'était vraiment drôle à voir.

De mon côté, j'avais appelé Sarah pour lui faire part de la bonne nouvelle et forcément, elle avait prévenu Chad, qui avait à son tour informé Isaac. Ensemble, ils avaient immédiatement appelé Chris, et après un long sermon, il leur avait promis qu'il les rejoindrait ce soir pour tout leur expliquer.

Le passage le plus difficile était chez mes grands-parents. Mon grand-père était choqué au début, comme tout le monde, puis Chris lui avait demandé pardon pour tout, pour le mal qu'il aurait pu causer ; à moi et à ma famille...

Mon grand-père était un homme bon, il ne lui en voulait pas du tout. Tout ce qui lui importait était que je sois heureuse, et étant donné que je l'étais, il avait chaleureusement serré mon époux dans ses bras comme s'il était son propre fils et l'avait félicité parce qu'il allait devenir papa. Ça comptait beaucoup pour Chris, j'avais vu dans ses yeux toute la gratitude et le soulagement.

Quant à Irène, elle n'avait rien fait, rien dit. Elle avait écouté Chris raconter son histoire et à la fin, elle s'était levée puis montée dans sa chambre. Sans plus. Elle était douée pour dissimuler ses émotions, surtout dans des situations qui échappaient à son contrôle.

Je la connaissais bien, elle bouillait de l'intérieur. Elle avait envie de m'éloigner le plus loin possible de cet homme problématique, pervers, et éloigné de Dieu. Ça la désolait que je ne sois pas comme elle, que je ne choisisse pas la raison au lieu de l'amour.

Elle savait parfaitement que je ne quittais jamais mon mari, que ses plans pour me trouver un prétendant qu'elle pourrait facilement manipuler étaient tombés à l'eau. Franchement, bien fait pour elle. Je ne lui pardonnerai jamais d'avoir ne serait-ce qu'insinué que je devrais me remarier !

Dieu merci, Chris était revenu, et je retrouvais mon autonomie par rapport à ma famille.

— Tu es nerveuse ?

— Oui, et toi ?

— Très, avoua-t-il.

Je me penchai et lui plantai un baiser sur la joue. On était dans la salle d'attente de ma gynécologue, et on attendait impatiemment notre tour. Chris tortillait nerveusement ses doigts et je l'observais avec amusement. Il était adorable.

J'étais heureuse qu'il soit là avec moi. Une semaine encore, je le croyais mort, mais aujourd'hui, il était bien là, avec moi, sur le point de voir nos bébés à l'échographie. J'avais hâte de voir sa réaction !

— Madame Warner ? C'est à vous, m'informa la secrétaire.

Chris bondit sur ses pieds, puis m'aida à me lever à mon tour. Nous entrâmes dans la salle d'examen, où ma gynécologue nous accueillit avec un sourire chaleureux. Elle était très gentille et me suivait depuis la puberté. Je lui avais expliqué ma situation, notamment la mort soudaine de mon mari qui n'était pas si mort que ça finalement...

— Bonjour, Isabella, tu vas bien ? Je vois que ton ventre s'est bien arrondi depuis la dernière fois, c'est bien, les bébés grandissent !

— Oui, mais ils ne donnent toujours pas de coups de pieds, grimaçai-je.

— Ça va venir, sois patiente.

Ses yeux clairs dérivèrent sur Chris qui restait en retrait derrière moi.

— Je vois que tu es venue avec un ami, c'est bien que tu ne sois pas seule pour ton échographie.

Je me pinçai les lèvres et attrapai la main de Chris dans la mienne. Elle était moite. Caroline, ma gynécologue, remarqua mon geste et arqua les sourcils. Elle ne l'avait pas reconnu malgré ses photos partout ; sur les réseaux sociaux, aux infos, au NY times...

— Caroline, je vous présente Chris Warner, mon mari. Le père des jumeaux.

Ses yeux s'arrondirent.

— Comment ? Mais il... je croyais qu'il est...

— Il n'est pas mort, l'interrompis-je.

Je n'avais plus d'énergie pour tout expliquer en détails alors j'espérais qu'elle se contente de cela pour le moment. Je donnais discrètement un coup de coude à Chris pour le faire réagir et il tendit finalement sa main vers elle.

— Enchanté.

— De même, répondit-elle, dubitative.

— Est-ce qu'on peut les voir maintenant ? m'impatientai-je.

— Oui, installe-toi, m'invita-t-elle en souriant.

M'allongeant sur la table d'examen, je relevai mon pull, et baissai légèrement mon pantalon, mettant mon ventre nu en évidence. Chris, debout à la gauche, fixa ce dernier avec le souffle coupé. Il ne m'avait pas vu nue depuis qu'il était rentré, même pas en sous-vêtements. Avec le froid qu'il faisait, il ne me verra pas si peu habillée de sitôt, à moins de se décider à me faire l'amour, chose qu'il semblait éviter...

Caroline s'activa à étaler du gel froid sur ma peau ferme, me faisant tressaillir, et sans que je ne le formule, Chris prit ma main dans la sienne. Comme toujours, il savait exactement tout ce dont j'avais besoin sans que je n'aie à le lui demander.

Ma gynécologue baissa la lumière, posa la sonde sur mon ventre et la déplaça méticuleusement tout en observant l'écran qui s'allumait devant nous.

— Regardez, voilà vos bébés.

Mon mari et moi observâmes deux minuscules squelettes étincelants qui flottaient. Ils étaient si petits, si fragiles. Je jetai un coup d'œil à Chris, guettant sa réaction. Pour lui, c'était un sacré bouleversement.

Pour ma part, j'avais eu trois mois pour me faire à l'idée que ma vie allait changer, mais sous ses yeux, à cet instant, le monde prenait un sens nouveau. Un torrent d'émotions envahit ses prunelles, des expressions étranges, mais je cernais la joie et l'appréhension, en particulier.

— Ils vont bien ? l'interrogea-t-il.

— Oui, ils vont parfaitement bien. La croissance se déroule normalement, il n'y aucune anomalie apparente, les organes se forment, tout est en ordre. Bravo Isabella, tu as su te repentir et tu prends bien soin de toi, et d'eux.

J'inspirai profondément, ravalant mes larmes qui menaçaient de couler. Chris me sourit. Il était fier de moi, surtout d'avoir été assez forte pour survivre pour nos enfants malgré sa disparition.

Par la suite, nous apprîmes qu'ils pèsent 500 grammes pour 20 cm, puis ma gynéco nous fit entendre les petits battements de leurs cœurs, le mien s'emballa et je vis les yeux de Chris rougir. C'était trop d'émotions, ce sentiment de joie était ineffable.

— Est-ce qu'on peut savoir maintenant ? m'impatientai-je.

— Oui, sourit-elle. Alors, voyons voir... hum, ils ne sont pas faciles ces deux-là, ils sont enroulés en boules ! Attendez... là c'est un garçon, ça ne fait aucun doute, c'est bien une érection qu'il a entre les jambes...

Notre petit garçon... ma main pressa celle de Chris. Ses yeux se remplirent d'eau. Il n'allait pas pleurer avant moi, quand-même !

— Attendez, vous avez dit érection ? eus-je un déclic.

Elle rit doucement.

— Oui. Les fœtus de sexe masculin peuvent avoir des érections dans l'utérus. Cela dépend de plusieurs facteurs biologiques, comme le bon fonctionnement du système nerveux et musculaire, donc c'est un très bon signe... Si le tout petit pénis est dressé, on sait avec certitude que c'est un garçon.

J'échangeai un regard avec Chris en rougissant. J'avais envie de lui dire : « c'est bien ton fils, ça ! ». Il secoua la tête, amusé, devinant les mots que je n'osais pas prononcer.

— Le deuxième se cache, continua-t-elle, c'est un coquin celui-là... oh ! ou devrais-je dire, une coquine... c'est une fille ! Félicitations, vous allez avoir une fille et un garçon.

— Oh, mon Dieu ! m'écriai-je.

Je n'eus pas le temps de digérer la nouvelle que Chris nicha son visage dans mon cou et sanglota. Les larmes m'échappèrent et j'enroulai mes bras autour de sa nuque. Caroline me gratifia un sourire affectueux avant de s'éloigner, nous laissant dans notre bulle, profitant de ce moment intime et émouvant.

— Je n'arrive pas à y croire...on va avoir une fille et un garçon !

— Oui, fit-il d'une petite voix.

Il se retira de mon étreinte et j'essuyai ses joues avec mes pouces. Son beau sourire me réchauffa le cœur.

— Tu seras un papa génial, Chris.

— Je ferai de mon mieux...

— On fera de notre mieux ensemble, lui susurrai-je.

Il hocha la tête puis posa ses lèvres sur les miennes. Je répondis passionnément à son baiser. J'étais tellement heureuse !

— Merci pour ce cadeau Isabella, merci infiniment, confia-t-il, ému.

— On les a conçus avec amour... ce sont nos petits miracles.

— Oh, ma puce, caressa-t-il ma joue. Toi, tu es le miracle de ma vie et maintenant nos bébés... je vous aime tellement, de tout mon cœur.

— On t'aime aussi.

Ses lèvres se recollèrent aux miennes et là, j'explosais de mille feux. Je me sentais revivre. Renaitre de mes cendres tel un phénix. J'avais retrouvé mon homme. Mon havre de paix. Mon bonheur inconditionnel. Et cette fois, je ferai tout pour le préserver. Pour le protéger. Pour le garder auprès de moi et ne laisser personne me l'enlever. Personne.

Après nos embrassades et nos câlins amoureux qui durèrent une dizaine de minutes, nous retrouvâmes Caroline qui nous attendait derrière son bureau. Elle avait été gentille de patienter le temps qu'on se remette de nos émotions.

— Encore félicitations, nous sourit-elle.

— Merci ! Je n'ai pas les mots pour décrire à quel point je suis heureuse !

Chris prit ma main, et l'embrassa.

— Bon, j'imagine que le papa à quelques questions, dit-elle.

Le concerné arqua les sourcils, prit de court.

— Comment ça ?

— Des questions auxquelles j'aurais pu répondre lors des premières échographies... Écoutez monsieur Warner, je sais que votre situation est un peu délicate, et chaque futur père réagit à sa façon... Vous avez raté le premier trimestre, mais vous avez le temps de vous rattraper auprès d'Isabella et de vos bébés. La solution, c'est la communication. Je vous écoute, prenez votre temps.

Je voyais une lueur de panique dans le regard de mon mari quand il rencontra le mien. J'aurais dû savoir que Caroline réagirait de cette façon, qu'elle endosse son rôle de thérapeute pour cerner le futur papa. Ça faisait partie du processus, il aurait dû avoir cette conversation avec elle lors du premier rendez-vous, mais vu les circonstances...

— La date prévue de l'accouchement, par exemple, voulus-je aider.

— Oui, bon, alors. Si on suppose que la grossesse arrive à terme, l'accouchement aura lieu la première semaine de juin, mais comme c'est une grossesse gémellaire bichoriale, le meilleur terme serait vers les 37 SA, donc fin mai.

— Le petit enfoiré, marmonna-t-il.

— Quoi ? fis-je étonnée par sa réplique.

Il secoua la tête pour se reprendre.

— Rien, je pensais à Henri. Il s'est bien foutu de ma gueule. Il m'a dit de rentrer avant juin et là, je comprends pourquoi !

Je souris pour le réconforter. Caroline poursuivit :

— En supposant la date de l'accouchement, on peut aussi estimer la date de conception, si vous tenez à savoir...

Ses yeux s'élargirent, soudain plus intéressé.

— C'était entre le 8 et le 12 septembre, répondis-je.

— Comment... c'est arrivé ? bégaya-t-il.

— Je n'ai pas oublié ma pilule, mais je ne la prenais pas à la même heure fixe. Je ne pensais pas que c'était si important que ça...

Je me mordis la lèvre, appréhendant sa réaction suite à mon aveu, mais étrangement, il ne branchait pas. Il plissa le front et se mit à réfléchir.

— Tu as fait un test de grossesse et il était négatif, tu as aussi eu des saignements et on croyait qu'il s'agissait de tes règles... Je ne comprends pas...

— C'étaient des saignements d'implantations. Après avoir été fécondée l'ovule vient s'accrocher à la paroi utérine, ce qui provoque de légers saignements. Ça peut persister les premiers mois, et on peut les confondre avec les menstruations, expliqua Caroline.

— Et le test de grossesse ?

— Il était positif, avouai-je. J'ai regardé le résultat trop tôt ; la deuxième barre n'avait pas eu le temps d'apparaître. Enfin, je suppose que c'est ça, sinon, c'était un faux-négatif. J'étais trop énervée ce jour-là alors j'ai jeté le test rapidement sans revérifier. On ne saura jamais ce qu'il en était.

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