Chapitre 3 : Un dilemme irrésolvable (la suite)

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— Quand Chad m'a secouru cette nuit-là, il m'a emmené à l'hôpital. Là, on m'a fait passer un tas d'examens et c'est comme ça que j'ai appris que j'étais enceinte... Mais aussi, les médecins ont découvert les marques de fouet sur mon corps. Quand l'infirmière m'a demandé « si mon mari me battait » ta mère et Irène étaient présentes... J'étais incapable de parler, mais Sarah a compris et l'a fait à ma place... En gros, nos familles savent à quel point nos jeux sexuels étaient tordus... J'ai refusé d'en dire plus, de leur donner les détails, mais elles ont compris l'essentiel...

Putain de merde.

— Ma mère doit être... oh, bon sang. Je n'ose même pas imaginer ce qu'elle doit penser de moi...

— Oui, elle était choquée... mais ça n'a pas d'importance sachant qu'elle te croit mort. Elle est aussi anéantie que moi...

— J'imagine... je suis tellement désolé, Isabella. Je regrette tous les mauvais choix que j'ai pu faire. Je regrette de t'avoir fait souffrir... je suis désolé.

Je baissai la tête, m'attendant à ce qu'elle m'ignore, à ce qu'elle me repousse ou encore à ce qu'elle me crie dessus, mais à la place, elle posa sa main sur ma joue, et caressa ma barbe. Mon corps s'électrifia.

— Tu vas encore me gifler ? essayai-je de plaisanter.

— Non... mais tu le mériterais.

— Si ça te permet de te défouler alors fais-le. Fais de moi ce que tu veux, mais par pitié, pardonne-moi. Je ne supporterais pas d'être privé de toi plus longtemps. Ces trois derniers mois ont été un véritable enfer...

— Pour moi aussi, murmura-t-elle.

Elle rapprocha mon visage du sien, et colla nos fronts. Je fermai les yeux.

— Ça ne va pas être facile, on doit réapprendre à nous découvrir, à nous supporter, à nous aimer... Avec ma grossesse, il m'arrive d'être très désagréable et méchante... je vais sûrement te faire payer chaque larme que j'ai versée, chaque cri que j'ai poussé, et chaque nuit blanche que j'ai passée... Tu vas en baver, Christopher, alors j'espère que tu es prêt à assumer tout ça.

— Prêt à cent pour cent.

Un petit rictus apparut sur ses lèvres. Mon cœur se réchauffa. Je tentais de réduire à néant le peu d'espace qui séparait nos lèvres, mais elle recula légèrement.

Ma punition commence déjà.

Isabella se détacha de moi, et se recoucha sur le lit, souriante de toutes ses dents. Elle était mignonne, mais... c'est tout ? Elle n'allait même pas m'embrasser ?

— Je peux rester ? demandai-je, hésitant.

— Oui.

Je ne me fis pas prier et m'allongeai à côté d'elle. Elle se réfugia contre moi, sa tête confortablement reposée contre mon torse, et son bras autour de moi. Elle était paisible, calme, belle... Ne sachant pas où mettre mon bras, je le laissai étendu sur le matelas.

— Vas-y.

— Quoi ? fis-je, confus.

— Tu peux toucher.

— Tes nichons ? plaisantai-je.

— Mon ventre, andouille !

Oh... Je ne pensais pas avoir cet honneur de sitôt.

Je déposai ma main moite et tremblante sur son ventre. À travers le tissu en satin de son pyjama, je sentais parfaitement sa peau ferme et étirée. Spontanément, je me mis à la caresser, la faisant soupirer contre moi.

— Des jumeaux, hein ?

— Oui, susurra-t-elle.

— Déjà qu'avec un ça ne sera pas facile, mais deux...

— Ça ne me change pas du gamin dans le corps d'adulte que je vais devoir supporter de nouveau, se moqua-t-elle de moi.

Je ris.

— C'est ta façon de dire que je t'ai manqué ?

— Ne prends pas cet air suffisant, tu es dans une position délicate, Chris.

— Changer fréquemment de positions c'est mon délire, tu le sais mieux que personne !

— Tu sais ce qui ne m'a pas manqué en revanche ? Ta manie de tout ramener au sexe.

Mes rires redoublèrent.

— Tu mens, chérie.

— J'ai appris des meilleurs !

Je grimaçai un peu, encaissant sa pique et toutes les autres à venir.

— Je compte aller au poste de police demain, pour avouer tout ce que j'ai fait et donner ma déposition pour qu'Ayden reste là où il est, changeai-je de sujet.

— Quoi ? paniqua-t-elle. Mais si tu as des problèmes ? Si on t'arrête ?

— Je dois le faire, Isabella. Je ne peux rester caché ici... Je dois le dire à ma famille, à la tienne, à mes potes. Je dois revenir parmi les vivants une fois pour toutes.

— Je ne permettrais pas que tu me sois enlevé une deuxième fois... Je te jure que je mettrais tout à feu et à sang s'il t'arrivait quoi que ce soit !

La profonde haine et la tristesse que j'aperçus dans ses yeux me glacèrent le sang.

— Accompagne-moi, proposai-je alors. On sera plus fort à deux.

Elle se détendit légèrement puis hocha la tête.

— D'accord...

Ses paupières se refermèrent et je compris que le sommeil la guettait.

— Je t'aime, lui susurrai-je tendrement.

Elle ne me répondit pas, car elle dormait déjà. Et c'était ainsi que je succombais au sommeil à mon tour. Un profond sommeil paisible et imperturbable dont j'étais privé depuis des mois.

***

Point de vue d'Isabella :

Un petit ronflement familier me tira de mon sommeil, et je fronçai les sourcils quelques secondes avant d'ouvrir les yeux. Mon regard fatigué se posa directement sur le visage détendu de mon mari ; ses cheveux en pagaille, ses paupières closes, son nez retroussé, sa bouche entrouverte...

Mon cœur rata un battement. Je n'avais pas rêvé. Il était là, en chair et en os.

Trois mois, putain.

Trois mois à croire que son corps se décomposait au fond de l'East Rivers, emporté par le courant...

Trois mois à appréhender qu'on m'annonce que son cadavre avait été retrouvé, que c'était terminé, qu'il était bel et bien mort...

Trois mois à vivre dans l'angoisse et le chagrin, en plus de devoir gérer mes hormones.

Je n'arrivais pas à croire qu'il m'ait fait ça. Peu importe ses raisons, je ne méritais pas ça.

— Bébé ?

Je sursautai légèrement. Cette voix rauque, elle m'avait tant manqué. Je ne bougeai pas quand Chris changea sa position pour se mettre sur le flanc, face à moi. Un sourire étira ses lèvres, et ses yeux bleus ensommeillés pétillèrent en croisant les miens.

La boule dans mon ventre grandissait. Je ne régissais pas. Je ne pouvais pas lui sourire, ni le repousser. Je ne savais plus quoi faire. Il m'avait fait du mal, mais je l'aimais d'une intensité insoutenable. J'avais beau le détester pour ce qu'il m'avait fait, mon amour pour lui demeurait intact.

Je faisais face à un dilemme irrésolvable.

— Ça va ma puce ? Tu as bien dormi ?

Je le dévisageai sans émotions dans les yeux, à part la tristesse qui ne m'avait pas quitté. De plus en plus intrigué par mon silence, le brun posa doucement sa main sur ma joue. Son contact m'électrocuta et je sursautai brusquement.

C'est trop pour moi.

— Isabella ?

Cette fois, ma réaction se résumait à quitter le lit comme une voleuse pour m'enfermer dans la salle de bain. J'avais apprécié notre conversation et nos confidences sur l'oreiller la veille, mais je l'avais prévenu. Je ne pouvais pas effacer ces trois derniers mois à souffrir de son absence, comme par magie.

S'il était retenu captif quelque part, torturé et sans aucun moyen de me contacter, je me serais jetée dans ses bras et je ne l'aurais plus jamais lâché. Mais lui, il se prélassait tranquillement dans la ville d'à côté en me faisant de moi une veuve colérique, déprimée, et brisée...

Je croyais que mes enfants allaient grandir sans père !

Je m'étais passée le scénario où ils me poseraient des questions sur les circonstances de sa mort un nombre incalculable de fois. Je m'étais imaginé leur dire que leur père était un héros, qu'il s'était battu courageusement pour moi, et pour eux – sans le savoir – jusqu'au bout. Mais la vérité était toute autre. Leur père a pris la fuite.

— Isabella...

— Laisse-moi, s'il te plaît.

Les mains posées sur le lavabo, le corps penché vers l'avant, j'aspirais de profondes goulées d'air, tentant de calmer ma rage et de contenir mes larmes. Je sentais la présence de mon mari derrière moi, son regard probablement empreint d'inquiétude, mais pour le bien de nos bébés, il devrait respecter ma volonté de rester seule.

— Ma puce, ne fait pas ça, s'il te plaît. Parle-moi, engueule-moi, frappe-moi si tu veux, mais ne m'ignores pas...

Mon regard noir, quand je me tournai furieusement vers lui, le fit déglutir.

— Tu n'as pas le droit d'exiger de moi quoi que ce soit ! Est-ce que tu dormais paisiblement ? Ces trois mois où j'ai versé toutes les larmes de mon corps pour toi, où j'ai crié jusqu'à en perdre la voix, où j'ai entendu les médecins me dire, je ne sais plus combien de fois que je risquais de perdre mes bébés si je ne me reprenais pas en mains... Est-ce que toi, tu trouvais le sommeil, Christopher ?

Ses yeux se perlèrent de larmes.

— Je n'étais pas au courant de ta grossesse...

— Comment je peux te croire alors que tu as simulé ta mort !?

— Henri m'a fait croire que tu avais une gastrite et je... je refusais de regarder les infos et les photos que les paparazzis ont prises de toi... Peut-être que si je l'avais fait, j'aurais remarqué que ton corps avait changé et j'aurais compris... mais le chagrin m'a aveuglé et je ne me suis rendu compte de rien, Isabella... Je te juge que si j'avais su que tu étais enceinte, je n'aurais jamais fait ça... je ne t'aurais jamais fait ça...

Une larme roula sur sa joue. Les miennes inondaient mon visage.

— Peut-être que tu n'aurais pas fait ça à tes enfants, mais moi, tu m'as abandonné sans scrupule ! Ne prétends pas l'avoir fait pour me protéger, je refuse d'entendre ça ! Cette nuit-là, je t'ai supplié de ne pas partir et tu m'as promis que tu en aurais pour une heure, et ça fait trois mois. Qui sait, quelque part, tu voulais peut-être obtenir ton ultime vengeance... tu m'as abandonné exactement comme Alice t'a abandonné, et le plus ironique dans tout ça c'est que j'ai eu les mêmes envies suicidaires que toi... sans les jumeaux qui grandissaient en moi, j'aurais peut-être sauté de ce foutu pont, et...

Je me tus quand Chris tomba à genoux devant moi. Je sentis ses mains tremblantes sur mes hanches et il colla son front à mon ventre en éclatant en sanglots. Je rapportai ma main à ma bouche pour étouffer les miens. Je n'avais plus la force de me battre. J'en avais plus qu'assez de souffrir. Je ne méritais pas ça.

On ne méritait pas ça.

Chris n'était pas parfait, mais son cœur saignait aussi. Ses larmes, à cet instant, ce n'était pas de la comédie. Mes mots l'avaient poignardé exactement comme il m'avait blessé en m'abandonnant. Ça faisait très mal, mais j'avais besoin de lui dire tout ça avant de pouvoir tourner la page pour de bons.

— Je suis... désolé... tellement... désolé...

Je pris sur moi pour calmer mes hoquets, et m'abaissai pour m'agenouiller sur le sol froid, et sans décrocher les mains de Chris de mon ventre, je l'attirai contre ma poitrine. Il continua de pleurer pendant un long moment contre moi, extériorisant toute la douleur qu'il avait cumulé pendant ces trois mois - ou peut-être bien avant. Il se mettait rarement à nu comme ça, en proie à ses émotions, et ça lui ferait du bien de tout lâcher d'un coup.

— Je suis tellement désolé, répéta-t-il d'une petite voix.

J'embrassai son front avant qu'il ne se détache lentement de moi. Ses yeux rouges et gonflés me nouèrent la gorge.

— Je sais, fis-je en passant ma main dans ses cheveux.

— Je n'aurais jamais fait ça pour te faire souffrir comme Alice m'a fait souffrir... ça n'a absolument rien à voir avec elle, j'ai tourné définitivement cette page quand je suis tombé amoureux de toi, Isabella... si je suis parti s'était réellement pour te protéger et pour tendre un piège à Ayden... je pensais naïvement que ça serait l'affaire d'une semaine ou deux, mais je me suis retrouvé piégé dans mon propre mensonge et j'ai dû continuer de me cacher. J'étais lâche et égoïste, tu as raison, mais il ne s'est pas écoulé une seule journée sans que je ne pense à toi chaque seconde, tu me manquais trop, c'était insupportable, mais à chaque fois que l'envie me démange de t'appeler et d'entendre le son de ma voix, je me dis que tu es sûrement mieux sans moi, entourée de ta famille et vivant une vie tranquille loin de la merde dans laquelle je t'ai embarqué...

Son regard se baissa sur mon ventre, et il passa sa paume dessus.

— Je ne savais pas que tu attendais nos bébés, je te jure sur ma vie que si j'avais su...

— Je sais, mon amour, je sais... j'ai été dure avec toi, mais j'avais besoin que ça sorte. Je ne peux pas être hypocrite et t'embrasser en me réveillant dans tes bras alors que je t'en veux... Là, ça va un peu mieux. Tu m'as manqué, toi aussi...

Je pris son visage entre mes mains et plaquai ma bouche contre la sienne. Il se tendit une seconde avant de se laisser aller à l'échange sensuel que je dirigeais. Ma langue caressa la sienne et mes doigts tirèrent sur les pointes de ses cheveux jusqu'à le faire gémir. L'une de mes mains glissa sur son torse, tâtonnant ses muscles couverts par son t-shirt, et quand j'agrippai son ourlet, il posa sa main sur la mienne pour m'arrêter. Je me détachai.

— Ne précipitons pas les choses, d'accord ?

— Comment ça ? fronçai-je les sourcils.

— Je dois regagner ta confiance, ma puce. Pour que les choses redeviennent comme avant, je dois regagner ma place dans ton cœur avant de pouvoir te toucher. Je dois mériter tout ce que tu es prête à me donner. Je ne veux plus merder avec toi, Isabella, plus jamais.

Mes yeux se remplirent d'eau et je hochai la tête. Je l'aime tellement.

— Tu es toujours d'accord pour m'accompagner au poste ? demanda-t-il.

— Oui, mon amour...

— On devrait se dépêcher alors... j'ai hâte de faire mon grand retour.

— Et après, tu veux bien m'accompagner à mon rendez-vous chez la gynécologue pour découvrir les sexes de nos bébés ? lui demandai-je.

Ses yeux s'illuminèrent de joie.

— Oui... oui ! J'adorerais ma puce. Merci !

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