Chapitre 6 : L’ambiguïté du moment

Le silence pesait lourdement sur la forêt, rompu uniquement par le bruissement des feuilles sous leurs pas. La lune, haute dans le ciel, projetait une lumière pâle à travers les branches entrelacées, dessinant des ombres mouvantes sur le sol. Layla avançait en tête, son allure rapide trahissant une agitation qu’elle peinait à dissimuler. Chaque pas semblait chasser quelque chose d’invisible, une pensée qu’elle ne voulait pas affronter.

Derrière elle, Hanna peinait à suivre, sa blessure à l’épaule ralentissant ses mouvements. Chaque pas était une lutte, chaque respiration une victoire. Pourtant, elle s’accrochait, refusant de laisser la douleur dicter son rythme. Elle savait que Layla ne lui témoignerait ni pitié, ni douceur, et elle n’en demandait pas. Mais elle ne pouvait ignorer la tension croissante entre elles, une tension qui la laissait aussi intriguée qu’inquiète.

Les mots d’Hanna résonnaient encore dans l’esprit de Layla, comme une mélodie entêtante dont elle ne parvenait pas à se débarrasser. "Tu peux me blesser autant que tu veux, mais ça ne changera rien." Cette phrase, simple mais puissante, s’était gravée en elle, remuant quelque chose de profondément enfoui, une vérité qu’elle n’était pas prête à affronter.

Elle serra les poings, ses ongles s’enfonçant dans la paume de ses mains. Ce n’était pas de la colère, pas totalement. C’était autre chose, quelque chose d’étrange et de désagréablement familier. Une fissure dans le mur qu’elle avait érigé autour de son âme.

Hanna, quant à elle, ne se laissait pas submerger par la douleur. Chaque pas, bien que difficile, était un acte de défi envers son propre corps affaibli, mais aussi envers Layla. Elle voyait au-delà des paroles cruelles et du masque d’indifférence que la démone portait si fièrement. Elle sentait une faille, une lutte intérieure que Layla tentait désespérément de cacher.

Quand la lune atteignit son zénith, baignant la forêt d’une lumière glaciale, Layla s’arrêta brusquement. Hanna, absorbée par ses pensées, faillit lui rentrer dedans. La démone se tourna lentement, ses yeux rouges brillant intensément dans l’obscurité.

— Tu parles trop, murmura Layla, sa voix rauque emplie d’une menace latente.

Avant qu’Hanna ne puisse réagir, Layla franchit la distance qui les séparait avec la rapidité d’un félin. Sa main, ferme mais étrangement douce, attrapa le visage d’Hanna, ses doigts se refermant autour de sa mâchoire avec une précision presque délicate.

— Pourquoi tu continues ? souffla Layla, son regard plongeant dans celui d’Hanna. Pourquoi tu ne te contentes pas de détester ?

Hanna, malgré la surprise et la douleur, soutint son regard. Ses yeux brillants de détermination semblaient chercher quelque chose, une réponse cachée dans les profondeurs de ceux de Layla.

— Parce que je vois ce que toi, tu refuses de voir, répondit-elle d’une voix à peine audible.

Leur proximité était écrasante, une tension palpable suspendue dans l’air. Puis, avant qu’Hanna ne puisse ajouter quoi que ce soit, Layla se pencha et posa ses lèvres sur les siennes. Le baiser fut bref, brutal, mais chargé d’une intensité qui semblait faire trembler l’univers.

Layla recula aussitôt, ses yeux plissés comme si elle luttait contre un ouragan intérieur.

— Ne crois pas que ça signifie quoi que ce soit, grogna-t-elle en se détournant. Tu n’es rien pour moi, compris ?

Sans attendre de réponse, elle reprit sa marche, ses pas lourds et rapides trahissant le chaos qui régnait en elle. Hanna resta figée, les doigts effleurant ses lèvres, encore sous le choc. Ce baiser, aussi bref soit-il, avait réveillé en elle une myriade de questions et d’émotions qu’elle ne savait pas nommer.

Layla avançait, mais ses pensées tourbillonnaient comme une tempête. Pourquoi avait-elle fait ça ? Pourquoi ce besoin de briser la distance qu’elle avait si farouchement protégée ? Elle se sentait furieuse, non contre Hanna, mais contre elle-même, contre cette faiblesse qu’elle ne comprenait pas.

Derrière elle, Hanna reprit finalement sa marche. Chaque pas lui coûtait, mais elle avançait, déterminée à ne pas laisser Layla échapper à ce qu’elle venait de provoquer. Les réponses viendraient en temps voulu, mais pour l’instant, elle se contentait de suivre, consciente que leur chemin venait de basculer dans une direction qu’aucune d’elles n’aurait pu prévoir.

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