『 IV Croyez-la 』

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PDV HOPE

Ce n'est pas possible.

   Mes mains viennent d'elles-mêmes trouver refuge devant ma bouche s'ouvrant de surprise. Je fais tout pour cacher mes expressions mais malgré moi, je sens mon corps trembler et des larmes me monter aux yeux que je retiens de justesse. Est-ce un rêve ?

   J'essaie de parler, encore. Je veux m'exprimer, demander à cet homme qui il est et pourquoi son visage m'est si familier. Comme moi, son regard semble essayer de me sonder intégralement. Des yeux vides, glacés, dépourvus de sentiments. Je ne vois à l'intérieur qu'une certaine forme de fureur accompagnée de dégoût.

   Je marche à vive allure vers l'homme ayant refermé la porte pour s'y adosser sans un bruit. En faisant abstraction de ma migraine, je trouve la petite ardoise d'hier et commence à écrire dessus un mot, un prénom ayant fait l'objet de tant d'angoisses et nuits blanches.

« Kerry ? »

   Au moment où le garçon lit le message sur l'ardoise tendue, j'arrive rapidement à voir une expression surprise dans ses iris. Mais avant une autre réaction, je sens une douleur me prendre le long de ma colonne vertébrale à l'instant où mon dos rencontre avec force le mur. Mes lèvres se serrent dans une ligne fine pour empêcher le moindre son de sortir par surprise.

   — Comment connais-tu ce prénom ? demande-t-il d'une voix dure et froide.

   Comme un serpent s'enroulant doucement autour de mon cou et coupant mon souffle, une forte une pression apparaît et s'empare de mon âme. J'étouffe, mon corps est compressé entre le mur froid de la chambre et un torse musclé. Je ne respire plus.

   Le visage de l'homme se rapproche petit à petit du mien. Un souffle calme et contraire à ma respiration saccadée s'abat sur mes joues rougies. Après quelques secondes sans réponse de ma part, la poigne de l'inconnu s'affirme.

   — Réponds.

   Mes mains se posent sur celles du garçon, espérant lui faire lâcher prise. Malheureusement, je n'obtiens même pas une petite faiblesse de sa part. Comparée à sa réaction en voyant le prénom de mon amie, je ne peux voir ses émotions à travers son visage.

   Très rapidement, l'air me manque, mes poumons se compriment, mon cœur accélère et une vive douleur s'immisce dans mon corps. Après quelques secondes de lutte, mes bras retombent d'eux-mêmes sur mes flancs et mes yeux se ferment, j'abandonne. Et alors que je pensais mourir à nouveau, la pression devient plus légère, jusqu'à disparaître.

   Mon corps tombe sur une surface dure et froide : le sol. Pourquoi ne puis-je jamais tomber en douceur ? Je suis vraiment maudite...

   — Tu ne sais pas parler ou quoi, putain ? continu l'inconnu en reculant de deux pas.

   Pour ma défense, je pointe du doigt l'ardoise au sol à un mètre de moi qui fut lâchée pendant cette attaque surprise. L'homme comprend rapidement ce geste et l'attrape ainsi que le feutre pour me tendre sans douceur le tout.

   — Maintenant, réponds-moi, poursuit-il, sa voix est froide, brusque.

   D'une main tremblante, j'écris doucement une réponse pouvant le satisfaire. Parler de mon amie disparue depuis tout ce temps ravive en moi une douleur tenace que j'essayais d'étouffer et faire taire dans mon esprit. 

« Kerry fut ma meilleure amie pendant des années. »

   Avant que je ne puisse tendre l'ardoise, on me l'arrache avec férocité des mains pour la lire. Une certaine appréhension nait dans ma poitrine. Connait-il Kerry ? Pourquoi lui ressemble-t-il autant ? La réaction qu'affiche son visage en lisant ma phrase répond déjà à ma première question. Il semble... surpris, en colère ?

   — C'est quoi ce bordel ? Tu parles de Kerry Lowe, la fille de dix-neuf disparue ?

   J'acquiesce d'un mouvement furtif de tête, encore tremblante. Mon dieu j'ai si honte. Que ferrait mon amie si elle me voyait aussi vulnérable maintenant ? Si nous étions devenues aussi proches, c'était grâce à mon caractère explosif qui avait tout de suite plu à cette fille aussi forte que moi. Je n'avais peur de rien, elle non plus.

   — Comment tu t'appelles ? demande finalement après une longue minute de silence le garçon.

« Hope Murky. »

   — Moi c'est Earl Lowe, le grand frère de Kerry, poursuit-il sérieusement.

   Mes yeux s'ouvrent grands, quoi ? Je croyais que Kerry était fille unique. Il faut croire que je n'étais pas la seule à avoir des secrets.

« Tu lui ressembles tellement. »

   Il ne décroche pas un sourire, mais un mince rayonnement dans ses yeux châtains me prouve que je le touche ; il a les mêmes qu'elle.

   — Pourquoi je ne t'ai jamais rencontré avant si vous étiez amies ? Tu n'es jamais venue chez nous et Kerry ne m'a jamais parlé de toi.

   La tendresse et la joie ayant pris place dans mon cœur se transforment malheureusement en un sentiment non-inconnu au bataillon : le désespoir. 

« Elle savait qu'il ne fallait pas parler de notre amitié, même aux proches. Je n'avais pas le droit d'aller chez elle. »

   Et c'est une triste réalité. J'ai dix-neuf ans depuis un moment déjà et pourtant, hier fut ma première nuit passée en dehors de chez moi. En vérité, je n'avais pas le droit d'avoir d'amis.

   « C'est un plaisir réservé aux bonnes personnes », disait ma -mère- « Pas à un monstre comme toi ». Mais est-ce ma faute si mes yeux sont de cette couleur ? Je n'ai rien demandé, rien voulu, rien gagné. Seulement un nombre incalculable de regrets plus gros les uns des autres. Le regret d'avoir été adoptée à quatre ans par mes parents, le regret d'avoir ces yeux, le regret d'être née aussi.

   Plongée dans toutes ces réflexions, je n'avais pas remarqué que Earl semblait me regarder depuis un moment déjà.

   — Tu descends ? finit-il par demander en se dirigeant vers la porte.

   Après un instant d'hésitation, je finis par le rejoindre accompagnée de l'ardoise or de la chambre en essayant d'oublier ma migraine persistante. Dans le salon, tout est calme. J'y vois Garett, allongé sur un des canapés face à la télévision. À sa droite, Akke semble concentré à la lecture d'un journal dans le fauteuil sans prêter attention à ma venue.

   Mais je vois aussi une personne que je ne connais pas, dos à moi. Une carrure musclée, assise sur un siège haut du bar séparant la cuisine du salon. Je ne peux voir qu'un large dos caché par un t-shirt noir simple. Des cheveux corbeaux coiffés en bataille et une aura que je peux sentir des escaliers. Il dégage quelque chose d'encore plus puissant et sinistre que Akke ou bien Earl. J'ai l'impression que si nous étions à moins de trois mètres, je pourrais être aspirée par la noirceur de son âme. Je n'ai toujours pas vu son visage et pourtant, il m'intimide déjà.

   — Les gars, cette fille connaît Kerry, me pointe Earl du doigt en bas des escaliers.

   Les réactions sont immédiates : Akke recrache presque son café sur le journal et se tourne vers moi brusquement. Garett lui, tombe du canapé dans un gros boum ainsi qu'un juron pour « sa fesse droite » ayant été touchée dans sa chute.

   Je suis gênée, même plus, j'ai la frousse. Un sentiment semblant ne plus vouloir me quitter depuis un petit moment déjà.

    Heureusement, je connais parfaitement les choses à faire pour ne pas montrer ses émotions. Mon -père- le faisait toujours, c'est bien la seule chose que j'ai essayé de copier sur lui. Depuis, personne ne peut savoir ce que je pense. Je suis prisonnière de cette bulle in-éclatable qui ne me laisse pas montrer ce que je pense. Ma voix est à l'extérieur, je le sais. Je dois sortir de ce cercle vicieux qu'est mon esprit pour pouvoir enfin être heureuse. Parler, sourire, rire, aimer, être heureuse, vivre.

   Le troisième homme, cet inconnu dont je ne connais que la couleur de ses cheveux fini par se tourner d'une lenteur infinie, on dirait presque qu'il essaie de faire durer le suspense. Pour je ne sais quelle raison, voir son visage me fait appréhender. J'ai peur de revoir un regard haineux, des gestes brusques, de la méchanceté, de la violence... ce que j'ai trop vu. Mais pourtant, lorsque mes yeux rencontrent les siens, je ne regrette plus de ne pas de les avoir fermés.

   Des sourcils bien taillés, de belles lèvres pleines, une mâchoire carrée sans traces de poils, une magnifique cicatrice à l'arcade sourcilière et une autre au niveau de son front. Autant sur moi, les cicatrices sont écœurantes, mais ici, à cet endroit et chez lui, elles sont magnifiques. Comme on dit, tout va bien aux personnes belles de nature. Ce qui n'est pas mon cas. Lorsque mes yeux descendent vers les siens d'un noir intense, quelque chose semble se passer :

   En un regard, je veux m'approcher de lui, mais m'éloigner. Lui accorder aveuglément ma confiance, quitte à ne plus revoir le jour. Crier ma peine, tout en ne prononçant aucun mot. Courir, tomber, me relever, repartir. Affronter mes enfers, mourir à la bataille. Chercher le ciel, trouver la pluie. Croiser un fleuve, plonger dedans, ne jamais en ressortir. Je sens mes poumons s'emplir d'eau, un feu s'embrase en moi, l'évapore, mais s'éteint la seconde d'après. L'eau revient, est chassée par la chaleur qui elle-même me quitte directement. Pour revenir, encore et encore. Noyée, brulée, noyée, brulée, ne jamais s'en sortir.

   Que se passe-t-il donc à l'intérieur de mon cœur ? Qu'essaie de me dire mon esprit ? Suis-je en train d'éprouver quelque chose ? Est-ce cela, la sensation de vivre ? Je veux le sentir encore, ne plus jamais sembler vide et froide, comme un corps déjà mort.

   Je m'étais trompée. Dans les yeux de cet inconnu, je ne peux rien voir. Ni joie, ni tristesse, ni colère, ni haine. Il n'y a rien. C'est cela, voilà ce qui me touche chez lui. J'ai l'impression de me voir dans un miroir. Aucune émotion. C'est si beau et à la fois si triste. Lui est-il arrivé quelque chose pour qu'il devienne ainsi ? Je ne le connais de nulle part et pourtant, je veux déjà tout savoir de lui. Nous sommes enveloppés dans quelque chose de beau et invisible.

   — Elle... ? me surprend d'une voix dégoutée, quelqu'un au loin.

   Soudainement, tout se brise. Je sursaute, regagne mes esprits. On me regarde, quoi ? J'ai comme l'impression de sortir d'une trance ayant duré plusieurs heures alors qu'en réalité, cela ne doit faire qu'une minute ou deux. Je détourne vite les yeux et fais-en sorte de ne pas recroiser les siens. Je n'ai pas vu sa réaction, j'aimerais la connaître.

   — Ouais, c'était sa meilleure amie. Et j'la crois, poursuit Earl en regardant Akke. (Il semble que personne n'a remarqué l'échange explosif que je viens d'avoir avec cet homme. À la place, ils ont l'air choqué par la réponse de leur ami.)

   — Earl... tu crois une... fille ? semble horrifié Garett, s'étant remis de sa chute de tout l'heure.

   Quelqu'un me croît ? Je m'empresse d'écrire sur l'ardoise restée dans ma main :

« Tu me crois ? »

   — Ouais, hoche-t-il des épaules en tournant sa tête vers moi. (Mes yeux s'ouvrent grands lorsque j'arrive enfin à lire quelque chose dans les siens, de l'espoir.) Je suis persuadé que cette rouquine ne ment pas, elle a quelque chose à voir avec ma sœur.

Bravo Hope. Et que vas-tu faire maintenant que quelqu'un est de ton côté, tu penses gagner ? N'oublie pas d'où tu viens. Il n'est peut-être pas ici en ce moment, mais lorsqu'il reviendra, tu seras morte, me dit cette voix.

Et alors que je me remémore mes maux, je ne remarque pas la porte principale s'ouvrir pour laisser passer la fraicheur de l'automne. Lorsque ma tête se relève, je n'ai que le temps d'apercevoir un homme à capuche qu'un bruit résonne dans la pièce : un coup de feu.

❝ Mystères, mystères,

apprenez à venir aux moments

propices aux maux. ❞

© 2019-M

∞

Alors, ce chapitre ? (͡° ͜ʖ ͡°)

La rencontre avec Earl était-elle attendue ?

Franchement, j'ai juste adoré écrire la rencontre entre Mather et Hope !

Dites-moi ce que vous en avez pensé, je ne mords pas haha

Prenez soin de vous

𝕃𝕠𝕧𝕖 𝕪𝕠𝕦 𝕞𝕠𝕣𝕖 𝕥𝕙𝕒𝕟 𝕚𝕥'𝕤 𝕡𝕠𝕤𝕤𝕚𝕓𝕝𝕖

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