Le bureau était vide. Les stores à demi fermés tamisaient la lumière du soir. Jinrai était resté seul, assis derrière son immense bureau, les yeux fixés sur le dossier de divorce désormais refermé.
Il l’avait signé quelques jours plus tôt, presque mécaniquement. Un geste sans éclat, sans cris, sans larme. Ayumi n’était même pas venue. Son avocat avait transmis les papiers. Froidement. Professionnellement. Parfaitement à leur image, ces derniers mois.
Mais ce soir… le silence lui semblait différent. Il n’était plus pesant. Il était vide.
Il porta un verre de whisky à ses lèvres, en avala une gorgée, puis le reposa sans le finir. Son regard se perdit sur les lumières de la ville à travers la baie vitrée.
— C’est fini.
Il le dit à voix haute. Pour s’en convaincre. Mais ça sonnait comme une évidence douloureuse. Pas parce qu’il aimait encore Ayumi. Mais parce qu’il détestait échouer. Et là, c’était un échec. Un mariage brisé. Une confiance trahie. Un cœur durci.
Il passa une main sur son visage fatigué. Les nuits étaient courtes, ces derniers temps. Le travail l’occupait à peine. Même les procès les plus tendus ne parvenaient plus à le distraire comme avant.
Il pensait à Anna, qui avait tout deviné sans un mot. À son silence complice, à ses regards pleins de jugement bienveillant. Et… il pensait à Evana.
Il détestait penser à elle.
Et pourtant, elle revenait. Par flashs. Ses yeux brillants. Sa voix tranchante. Sa façon d’entrer dans une pièce comme une onde de choc.
— Elle est trop jeune. Trop vive. Trop entière. murmura-t-il, presque agacé.
Mais dans le fond… ce n’était pas elle qu’il rejetait. C’était lui-même. Sa réaction. Son trouble. Sa peur.
Il n’avait pas aimé sentir son cœur s’emballer quand elle s’approchait. Pas aimé la manière dont elle l’avait regardé, sans masque, sans prudence. Elle le voyait. Vraiment. Et ça, c’était insupportable.
Il se leva, fit quelques pas vers la fenêtre. Une pluie fine commençait à tomber.
— Tu n’as pas le droit de la regarder comme ça. Elle est la petite sœur d’Anna. Et toi… tu es brisé.
Mais les sentiments ne se commandent pas. Il le savait mieux que quiconque. Et il détestait ça.
Il ferma les yeux. Revit un instant fugace : Evana, un après-midi, dans le jardin d’Anna, adolescente, les cheveux au vent, en train de rire pour rien. À l’époque, il n’avait rien vu. Aujourd’hui, il ne voyait que ça.
Il rouvrit les yeux et revint à son bureau. Un message clignotait sur son téléphone. Un rappel : “Réunion avec le cabinet d’architecture – projet Boston.”
Il l’ignora. Pour une fois.
Il s’assit de nouveau, lentement. Et dans le silence, pour la première fois depuis longtemps, il se demanda :
— Et maintenant ?
— Maître Azuma, le client insiste pour revoir les conditions du contrat. Il menace de retirer son dossier si on ne trouve pas une solution aujourd’hui.
La voix de Clara, son assistante, claqua dans le bureau.
Jinrai leva à peine les yeux du document qu’il annotait.
— Il menace ? Très bien. Préparez une lettre de rupture. Nous ne courons pas après ceux qui doutent de notre efficacité.
— Mais c’est un gros contrat… tenta-t-elle.
— Et alors ? coupa-t-il froidement. Laissez-moi les clients qui savent ce qu’ils veulent. Pas les girouettes.
Clara se mordit la lèvre, hocha la tête, puis sortit.
Le silence retomba. Jinrai passa une main sur sa nuque, tendue. Il avait mal dormi. Encore. Depuis la signature du divorce, son sommeil était entrecoupé de souvenirs, de regrets, et de visages qu’il n’avait pas envie d’affronter.
Mais au travail, il redevenait l’avocat redouté. Le requin. Le perfectionniste. Il ne laissait rien filtrer.
Le téléphone sonna. Il décrocha.
— Azuma.
— C’est Anna. Tu as deux minutes ?
Il soupira.
— Si tu veux encore me parler d’Evana, la réponse est non.
— Je t’appelle pour le cabinet. Calme-toi.
Elle attendit un instant.
— Tu es tendu ces temps-ci. Même tes associés le sentent. Il faut que tu souffles un peu, Jinrai.
— Je vais bien. coupa-t-il.
— Mens-toi si tu veux. Mais pas à moi. Tu refuses des dossiers, tu refuses de déjeuner avec l’équipe, tu refuses de… vivre. Tu veux qu’on en parle ?
Il resta silencieux, les dents serrées. Puis :
— Je n’ai pas besoin d’aide.
— Très bien. Mais tu sais que je suis là. Et que je vois clair dans ton jeu.
Elle raccrocha avant qu’il ne réponde.
Il posa le téléphone lentement. Se leva. Fit les cent pas.
Une jeune avocate du cabinet passa dans le couloir et le salua d’un regard impressionné. Il ne répondit pas. Il n’avait pas le temps pour les politesses.
Mais malgré tout, il se sentait vide. Ses journées étaient remplies de décisions, de confrontations, de stratégies… mais il ne ressentait plus rien.
Pas de satisfaction. Pas de victoire. Rien.
Il s’assit à nouveau et fixa le tableau accroché au mur. Une reproduction de Van Gogh qu’Anna lui avait offerte il y a des années. “Les cyprès sous la lune.”
— Je suis fatigué. murmura-t-il.
Et personne ne l’entendit.
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