Le petit restaurant italien près du campus était presque vide ce soir-là. Anna avait insisté pour inviter Evana à dîner, prétextant un besoin de “temps entre sœurs”. Evana s’était présentée sans grande envie, mais par politesse, elle avait accepté.
— Tu manges toujours aussi peu ? lança Anna en la regardant pousser les pâtes dans son assiette.
Evana leva un sourcil, l’air neutre.
— Et toi, tu critiques toujours aussi vite ?
Anna soupira, déjà agacée.
— Je ne critique pas, j’observe. C’est différent.
— Évidemment. Tu es avocate, toi aussi, maintenant ?
Anna posa sa fourchette, croisa les bras.
— Tu comptes être désagréable toute la soirée, ou seulement jusqu’au dessert ?
— Je ne suis pas désagréable, je suis fatiguée. Et un peu surprise que tu te souviennes que j’existe.
Anna ferma les yeux une seconde.
— J’ai un cabinet à faire tourner. Des clients, des procès. Et… Jinrai à gérer.
Le nom tomba comme un couperet. Evana ne répondit pas immédiatement. Elle reprit une bouchée de son assiette, lentement.
— Ah. Donc on y vient.
— Évidemment qu’on y vient, répliqua Anna. Tu crois que je ne vois rien ? Tu recommences, Evana.
— Je recommence quoi ?
— À tourner autour de lui comme quand tu avais quinze ans !
Evana posa sa fourchette, son ton baissa, mais ses mots furent tranchants.
— Sauf qu’aujourd’hui, je ne suis plus une gamine. Et je sais ce que je ressens.
— Ce que tu ressens est dangereux, Evana. Il vient de divorcer. Il est brisé. Il ne peut pas… t’aimer.
— Et toi, tu parles en son nom maintenant ?
Anna serra la mâchoire.
— Je parle en tant que sœur. Je te connais. Tu vas t’attacher, espérer, et souffrir. Et je refuse de te ramasser en morceaux, pas encore.
— Tu refuses ? répéta Evana avec un rire amer. C’est ça, le plan ? M’interdire de l’aimer parce que ça t’arrange ?
— Ce n’est pas une question de moi, bon sang ! Tu ne sais rien de ce qu’il traverse.
— Alors raconte-moi ! cria presque Evana. Dis-moi pourquoi je devrais rester loin. Qu’est-ce que tu ne dis pas, Anna ?
Un silence pesant s’installa. Anna évita son regard, but une gorgée de vin, puis déclara simplement :
— Il est brisé. Et tu mérites quelqu’un de… entier.
Evana baissa les yeux. Sa voix tremblait, mais elle tenait bon.
— Ce n’est pas à toi d’en décider. Ni à lui. C’est à moi.
Anna soupira longuement. Les deux sœurs finirent leur repas sans un mot.
⸻
Quand Evana sortit du restaurant, le vent frais de la nuit lui mordit la peau. Elle regarda son téléphone, hésita, puis le rangea sans envoyer de message.
Elle était en colère. Contre sa sœur. Contre Jinrai. Contre elle-même.
Mais surtout, elle était déterminée.
Le lendemain matin, Evana traversait le hall du cabinet Azuma & Stone. Elle n’avait prévenu personne. Elle était là pour Anna. Mais une partie d’elle espérait le croiser.
Elle ne fut pas déçue.
— Evana ? fit une voix derrière elle.
Elle se figea. Lentement, elle se retourna.
Jinrai était là, costume sombre, cheveux impeccables, regard… fatigué. Comme toujours. Mais il y avait un quelque chose dans ses yeux. Une ombre. Ou peut-être une lumière qu’il tentait d’éteindre.
— Tu viens voir ta sœur ? demanda-t-il.
— Oui. Elle m’a laissée en plan hier soir. Je venais m’assurer qu’elle n’avait pas été kidnappée par un client mécontent.
Un sourire discret passa sur les lèvres de Jinrai.
— Elle est en réunion. Mais elle ne devrait pas tarder.
Ils restèrent là, dans le hall. Le silence s’éternisa, pesant. Puis Evana prit une inspiration.
— Tu sais, je ne regrette pas de t’avoir attendu pendant toutes ces années.
Il fronça légèrement les sourcils, visiblement surpris.
— Evana…
— Pas pour que tu me regardes différemment, non. Juste pour pouvoir te le dire en face, un jour.
Elle le fixa droit dans les yeux. Lui, en revanche, détourna le regard. Ses mains se crispèrent.
— Tu es jeune. Tu ne sais pas encore ce que tu veux.
— Arrête. Ce n’est pas une excuse. Ce n’est pas moi que tu protèges. C’est toi.
Il leva les yeux vers elle, cette fois sans fuir.
— Peut-être.
— Tu viens de signer ton divorce. Tu crois que je l’ignore ? Tu crois que je ne sais pas ce que ça coûte de tourner une page ? Mais moi, Jinrai, je ne suis pas une distraction. Et tu le sais.
Il ne répondit rien. Un employé passa près d’eux. Jinrai reprit un air neutre, professionnel. Evana sentit la distance se réinstaller d’un seul coup.
— J’ai une réunion, dit-il.
— Et moi, une sœur à engueuler.
Ils se frôlèrent en se croisant. Il y eut un courant d’air, une tension, une vibration invisible. Mais rien de plus.
Juste un silence.
⸻
Dans l’ascenseur, Jinrai serra les poings. Elle avait grandi. Elle n’était plus l’adolescente qui le regardait en cachette.
Et lui… il n’était plus l’homme qu’elle avait aimé.
Il était pire.
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