Le téléphone vibra doucement sur la table de chevet. Une seule notification. “Appel entrant : Mariana.”
Evana hésita une seconde. Il était presque une heure du matin. Mais elle décrocha.
— Allô ?
— T’es réveillée ? demanda une voix douce mais vive, reconnaissable entre mille.
— Maintenant oui. répondit Evana avec un sourire discret. Qu’est-ce que tu fais debout ?
— J’ai eu comme un… pressentiment. Et j’avais envie d’entendre ta voix.
— Je vais bien, Mariana. Pas besoin de t’inquiéter.
Un petit silence.
— Tu dis toujours ça quand ça ne va pas.
Evana ferma les yeux. Mariana connaissait ses silences mieux que ses mots. Depuis qu’elles étaient enfants, elle avait toujours eu cette manière étrange de ressentir les choses.
— J’ai repensé à une vieille crise. J’en ai rêvé, ou peut-être pas. Tu te souviens de celle où maman avait pleuré ?
— Oui. souffla doucement Mariana. Je m’en souviens très bien. J’étais dans ma chambre. Je t’ai entendue hurler. J’ai eu peur… et je ne suis pas sortie.
Evana resta muette. Elle n’avait jamais su que Mariana avait été là, ce soir-là.
— J’étais lâche. murmura Mariana. J’aurais dû venir.
— Tu étais une ado, comme moi. On faisait ce qu’on pouvait.
Un autre silence s’installa. Mais cette fois, il n’était pas lourd. Juste rempli de souvenirs.
— Tu sais, reprit Mariana, je te regarde souvent avec admiration. Tu vis avec ce feu en toi, cette intensité… Moi, j’ai toujours fui les vagues. Toi, tu les prends de face.
— Et je me noie la moitié du temps. souffla Evana, ironique.
— Peut-être. Mais tu ne renonces jamais. C’est ce qui te rend… toi.
Evana se redressa légèrement, le cœur serré.
— Et si cette version de moi ne suffisait pas ? S’il me fallait être plus calme, plus stable… pour être aimée ?
— Tu parles de lui, là. devina immédiatement Mariana.
— Oui.
— Ev… tu sais ce que je pense ? Si tu dois te taire pour qu’il t’écoute, te retenir pour qu’il te regarde… alors ce n’est pas toi qu’il aime, c’est une idée de toi.
Ces mots claquèrent dans l’air comme une vérité qu’Evana n’était pas prête à entendre.
— Mais j’ai besoin de croire qu’il y a quelque chose. Même infime.
— Alors crois-le. Et vis-le à ta manière. Mais promets-moi de ne jamais te perdre toi-même dans cette histoire.
Evana ferma les yeux, un sourire triste aux lèvres.
— Promis.
— Je t’aime, petite tornade.
— Moi aussi, grande sœur.
Elles restèrent quelques secondes encore, sans rien dire, juste à écouter leur respiration à travers les ondes.
Quand l’appel se termina, Evana posa doucement le téléphone contre son cœur.
Elle était encore perdue. Mais un peu moins seul.
Le matin s’était levé lentement, voilé par un ciel gris pâle. Evana, emmitouflée dans un gros pull beige, était restée longtemps assise sur le rebord de sa fenêtre, une tasse de thé fumant entre les mains. Son téléphone reposait à côté d’elle.
Elle l’observait comme s’il pouvait lui parler. Comme s’il pouvait lui dire si c’était une bonne idée.
Mais après quelques minutes d’hésitation, elle inspira profondément et composa le numéro.
“Maman.”
Il y eut deux tonalités, puis la voix de sa mère, douce mais légèrement surprise, retentit.
— Evana ? Tout va bien ma chérie ?
— Oui… enfin… je sais pas. J’avais juste envie de t’entendre.
Un silence.
— Tu sais que tu peux m’appeler quand tu veux. Même quand ça ne va pas. Surtout quand ça ne va pas.
Evana esquissa un petit sourire.
— C’est justement pour ça que je t’appelle. J’ai repensé à… certaines choses. À moi, ado. À tout ce que j’ai fait subir à la maison.
Sa mère ne répondit pas tout de suite. Puis sa voix revint, plus posée.
— Tu n’as rien “fait subir”, Evana. Tu vivais quelque chose que personne ne comprenait complètement. Même pas toi. Tu étais en détresse. Et nous… on ne savait pas comment t’aider.
— J’ai été dure. Méchante, parfois. Je criais, je pleurais, je fuyais. Et toi, tu restais. Tu restais toujours.
— Parce que je t’aime. Parce qu’une maman ne part pas.
La gorge d’Evana se serra. Elle ferma les yeux un instant, retenant l’émotion.
— Je suis encore en train de me chercher, tu sais ?
— Je sais. Et tu as le droit. Tu es jeune, Evana. Tu te construis. Tu tomberas encore, et ce sera parfois brutal. Mais tu sais te relever. Tu l’as toujours su.
Un silence confortable s’installa.
— Tu m’as manqué, maman.
— Toi aussi. Mais je sais que tu vis ce que tu dois vivre. Et je suis fière de la femme que tu deviens.
Evana eut un petit rire timide.
— Même quand je tombe amoureuse d’un homme compliqué et beaucoup trop âgé pour moi ?
Un soupir maternel se fit entendre.
— S’il te fait du mal, je viendrai personnellement lui tirer les oreilles.
Evana rit pour de bon cette fois.
— Tu viendrais jusqu’aux États-Unis juste pour ça ?
— Pour toi, je traverserais le monde.
Elle sentit ses yeux s’humidifier, mais elle laissa les larmes couler en silence. C’était une chaleur rare, celle qu’on garde enfouie, mais qui guérit tout.
— Merci de ne pas m’avoir laissée tomber. Même quand je ne valais pas grand-chose.
— Tu as toujours valu beaucoup. Même dans tes silences. Même dans tes cris. Et surtout dans ton courage.
La voix de sa mère s’adoucit encore.
— Tu n’as jamais été une erreur, Evana. Tu as été une tempête. Mais une belle tempête.
Evana ne répondit pas. Elle n’en avait pas besoin.
Elle resta là, le téléphone contre l’oreille, les yeux fermés, le cœur un peu plus apaisé.
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