La signature

La lumière grise du matin perçait à peine à travers les vitres du cabinet. Jinrai était déjà là, installé dans son bureau depuis l’aube, les rideaux tirés, la veste suspendue à l’arrière de son fauteuil. Devant lui, sur le bureau en acajou, un dossier. Mince. Trop mince pour ce qu’il représentait.

Le divorce.

Il le regardait depuis une heure sans le toucher. Une tasse de café froid à sa droite. Le silence, seulement troublé par le tic-tac régulier de l’horloge murale.

Anna entra sans frapper. Comme toujours.

— Il faut que tu signes, Jin.

Il leva lentement les yeux vers elle. Elle s’était ad adossée au mur, bras croisés, comme si elle sentait déjà qu’il allait résister.

— Je sais, répondit-il. Je le ferai.

— Elle les a déjà signés. Elle veut que ce soit réglé avant la fin de la semaine.

Il hocha la tête. Un long silence suivit.

— Tu crois qu’elle m’a aimé ? demanda-t-il doucement.

Anna s’adoucit. Elle n’avait pas entendu cette voix-là depuis longtemps. Une voix sans défense.

— Je pense qu’elle t’a aimé. Mais elle aimait aussi d’autres choses. D’autres hommes.

Il détourna le regard. Les mots ne le heurtaient plus autant. Il avait épuisé ses émotions, éteint son feu. Il ouvrit finalement le dossier. Une page, deux signatures. Il ajouta la sienne d’un trait rapide et net. Sans trembler.

— C’est fait, dit-il simplement.

Anna s’approcha, reprit les documents.

— Tu te sens comment ?

Il prit une gorgée de son café. Froid.

— Libre, je suppose. Mais vide aussi.

— Tu veux que je reste un peu ?

— Non. Tu as des dossiers à préparer.

Elle hésita, puis sortit sans insister. La porte se referma doucement.

Jinrai resta seul. Il se leva lentement, alla jusqu’à la baie vitrée. Dehors, la ville s’éveillait, indifférente à son histoire qui se terminait.

Flashback — Sept ans plus tôt

Le Japon au printemps. Les cerisiers étaient en fleurs, et l’air tiède de Tokyo portait un parfum de renouveau. Jinrai, 23 ans, revenait d’un long cours de droit pénal à l’université. Il portait son costume froissé et sa mallette à la main, le regard fatigué.

Il s’arrêta au petit café près de la gare. Un endroit qu’il appréciait pour sa tranquillité. Ce jour-là, il n’y avait presque personne.

Et puis elle était entrée.

Ayumi.

Vêtue d’un tailleur crème, elle tenait un classeur contre sa poitrine. Ses cheveux noirs, coupés droit, contrastaient avec sa peau pâle. Elle semblait pressée… et légèrement perdue.

— Vous cherchez quelqu’un ? demanda Jinrai, en relevant les yeux de son café.

Elle le fixa une seconde. Puis sourit.

— Le bureau du professeur Haneda. Vous êtes étudiant ici ?

Il s’était levé aussitôt, poli, sûr de lui comme toujours.

— Je peux vous y conduire. C’est sur mon chemin.

Elle accepta. Ce fut le début.

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Ils avaient commencé à se fréquenter peu après. Ayumi était vive, ambitieuse, et savait exactement ce qu’elle voulait. Elle adorait défier Jinrai, débattre avec lui, même lorsqu’ils n’étaient pas d’accord. Il l’admirait. Elle le rendait moins rigide. Elle riait fort, parlait vite, bougeait beaucoup. L’opposée de son calme constant.

— Tu réfléchis trop, Jin, disait-elle souvent en riant. Laisse-toi vivre un peu.

Il souriait. Et se laissait entraîner.

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Un an plus tard, ils s’étaient mariés dans un temple discret. Seuls leurs amis proches étaient présents. Anna avait pris l’avion depuis les États-Unis pour être témoin. Jinrai se souvenait du regard de sa meilleure amie, ce jour-là. Un mélange d’inquiétude et de réserve. Mais il n’avait rien voulu entendre.

— Je l’aime, avait-il dit simplement à Anna.

— Je sais, avait-elle répondu. Mais l’amour ne suffit pas toujours.

Il n’avait pas compris.

Pas encore.

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Les premières années furent heureuses. Puis il y eut les absences d’Ayumi. Les silences. Les mensonges. Jinrai se doutait de quelque chose, mais il refusait d’affronter la vérité. Jusqu’à ce qu’elle éclate.

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Retour au présent

Dans son appartement vide, Jinrai se servit un verre. Il s’assit sur le canapé, le regard perdu.

Il repensa à ce jour précis où il avait surpris Ayumi avec un autre homme. Il n’avait rien dit. Juste fermé la porte. Et depuis, un mur s’était dressé entre lui et le monde.

Il n’aimait plus.

Il ne faisait que survivre.

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