Le restaurant était sobre, élégant, feutré. La lumière chaude des suspensions baignait la table d’une ambiance presque intime.
Anna leva les yeux vers Jinrai, surprise.
— Tu m’invites à dîner. Volontairement. Sans crise ni prétexte professionnel. Dois-je m’inquiéter ?
Il esquissa un sourire discret.
— Pas encore. Attends le dessert.
Elle rit, mais son regard se fit plus doux. Elle sentait qu’il y avait autre chose.
Le serveur prit leur commande. Une fois seuls à nouveau, un silence s’installa. Jinrai jouait distraitement avec la serviette, chose rare chez lui.
— Tu vas me parler, ou tu veux que je devine ? demanda Anna doucement.
Il inspira profondément, sans la regarder.
— Je suis fatigué, Anna. Vraiment fatigué.
Elle se redressa légèrement.
— Tu veux dire… du cabinet ?
— De tout. Des procès. De ce rythme. De cette ville. De moi.
Il releva enfin les yeux vers elle.
— Je me rends compte que je suis devenu un homme que je n’aime pas. Froid. Rigide. Distant. J’ai besoin de faire un pas en arrière.
Anna resta silencieuse, attentive.
— Je voudrais prendre un congé. Long. Un an. Peut-être plus.
Elle haussa les sourcils, mais ne dit rien.
— Je pars au Japon. continua-t-il. Je veux retourner là où tout a commencé. Là où j’ai étudié, aimé… souffert aussi. J’ai besoin de me retrouver. De comprendre comment j’en suis arrivé là.
Un silence respectueux s’installa. Puis Anna posa sa main sur la sienne.
— Tu n’as pas à te justifier, Jinrai. Tu as porté ce cabinet à bout de bras pendant des années. Si tu as besoin de temps… prends-le.
Il parut soulagé, un peu.
— Tu me couvres ?
— Évidemment. Je peux gérer. Mais… elle le fixa, malicieuse, tu vas faire quoi, là-bas ? Méditer avec des moines ?
Il esquissa un sourire plus sincère.
— Je ne sais pas. Peut-être. Peut-être juste marcher. Respirer. Dormir. Regarder le ciel. Parler japonais. Ou ne parler à personne.
Elle acquiesça, touchée.
— Tu le mérites.
Il se pencha un peu vers elle, baissant la voix.
— Tu savais pour Ayumi depuis le début, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Et tu ne m’as rien dit.
— Parce que tu ne voulais pas l’entendre. Et parce que tu n’étais pas prêt.
Il resta silencieux. Puis :
— Merci.
Le dessert arriva, interrompant leur échange. Mais quelque chose avait changé. Jinrai semblait un peu plus humain, un peu plus léger.
Et dans ce calme retrouvé, il y avait comme un début de paix.
L’aéroport était silencieux à cette heure-là. Jinrai marchait d’un pas calme, sa valise noire glissant derrière lui. Une seule. Il avait tout laissé derrière. Le reste attendrait son retour… ou pas.
Il portait un long manteau sombre, ses cheveux attachés en une queue basse. Son visage, fermé, trahissait une tension intérieure. Mais ses yeux, eux, semblaient un peu plus apaisés.
Dans sa main, son billet pour Tokyo.
Il passa la sécurité sans un mot. Pas de regards inutiles, pas de gestes d’hésitation. Tout était maîtrisé, comme toujours. Et pourtant, dans le fond de son estomac, un léger vertige.
Il s’arrêta devant une baie vitrée donnant sur le tarmac. Les avions alignés, prêts à s’élancer, semblaient lui rappeler que lui aussi, cette fois, quittait réellement quelque chose. Une vie. Une image. Un rythme.
— Un an. Peut-être plus. murmura-t-il pour lui-même.
Il sortit son téléphone. Une dizaine de messages non lus. Anna, Clara, quelques collègues… et un message d’un numéro inconnu, sans doute Ayumi. Il ne l’ouvrit pas.
Il chercha instinctivement un dernier message d’Evana, mais il n’y en avait aucun.
Il sourit doucement. Bien sûr qu’elle ne dirait rien. Il avait mis une distance. Elle l’avait respectée. Une partie de lui en était soulagée. Une autre, déçue. Mais il chassa l’idée. Ce voyage n’était pas pour elle. C’était pour lui.
Une voix féminine annonça l’embarquement.
Il reprit son chemin vers la porte d’embarquement. Les battements de son cœur étaient calmes. Trop calmes, peut-être. Mais il n’avait plus peur. Il ne fuyait pas. Il allait à la rencontre de lui-même.
Juste avant de remettre son téléphone en mode avion, il envoya un message à Anna :
J’embarque. Merci pour tout. Tu es la seule personne en qui j’ai encore confiance. Ne laisse pas le cabinet s’effondrer sans moi. On se revoit dans un an.
Puis, après un instant d’hésitation, il en rédigea un autre, plus bref. À Evana :
Je pars. Je te souhaite de continuer à briller, Evana. Ne change pas.
Il resta quelques secondes à observer le message, puis appuya sur “envoyer”.
Et enfin, il s’éloigna.
L’avion l’attendait.
Et pour la première fois depuis longtemps, Jinrai avait l’impression de respirer un peu mieux.
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