Chapitre 3 : Liens invisibles

Kael ouvrit les yeux avec une lenteur inhabituelle. La lumière du jour filtrant à travers les rideaux le fit cligner des paupières, et il ressentit immédiatement un tiraillement dans ses muscles. Instinctivement, il chercha à bouger, à se redresser, mais une sensation familière l’enveloppa. Il était de nouveau piégé dans la forme du renard. Le dégoût monta dans sa gorge.

« Encore… » pensa-t-il avec frustration.

Il avait espéré que retrouver sa forme humaine la veille, même brièvement, signifiait que sa transformation était désormais sous son contrôle. Mais non. Son corps animal, petit et vulnérable, l'enchaînait encore. Kael se redressa péniblement, jetant un regard vers le bureau d'Ethan. Le vétérinaire n’était pas là.

Il se leva tant bien que mal, s’étira avec une grâce féline, et fit quelques pas en direction de la fenêtre. Dehors, le monde continuait son rythme habituel, ignorant les conflits internes d’un démon millénaire enfermé dans un corps de renard. Un soupir s'échappa de ses lèvres animales, un mélange d'agacement et de résignation. Il devait rester ici, du moins pour le moment. Il n'avait aucune autre option, ni aucun autre plan.

"Je dois reprendre forme humaine," songea-t-il, la détermination brûlant dans ses yeux dorés. Mais en attendant, il devait se contenter de ce qu'il avait. Ethan… ce simple humain… était peut-être la clé. D'une manière ou d'une autre, cet homme avait changé quelque chose en lui, l'avait rendu sa forme pour un instant. S'il restait à ses côtés, peut-être retrouverait-il sa forme véritable à nouveau.

Le vétérinaire apparut quelques minutes plus tard, l'air fatigué mais toujours calme. Kael le regarda en silence, ses yeux de renard scrutant chacun de ses gestes. Il le faisait par habitude désormais, observant avec attention ce jeune homme qui, contre toute logique, refusait de renoncer à sa petite clinique, malgré les difficultés. Ethan portait toujours cette aura d'épuisement, mais il avançait, obstiné. Chaque geste de l’humain transpirait la bienveillance, que ce soit lorsqu'il changeait les bandages d'un animal blessé ou nettoyait inlassablement la clinique.

Les jours passaient. Kael restait, impuissant dans sa forme animale, tandis qu'Ethan continuait son travail. Kael avait observé des humains pendant des siècles, mais il n'avait jamais prêté attention à leurs émotions, à leur résilience. Mais quelque chose chez Ethan l’attirait, l’intriguait. Ce n’était pas son argent, ni son pouvoir — deux choses auxquelles Kael avait été habitué. Non, c’était autre chose. Un sentiment.

Et puis, il remarqua un changement. Ethan était toujours gentil avec lui, mais quelque chose dans ses yeux avait changé. Une distance subtile s'était installée entre eux. L'humain ne le regardait plus avec cette douce fascination qu'il avait au début. Kael le sentait. Le vétérinaire semblait évitant, ses caresses distraites et ses regards fuyants.

Un soir, après une longue journée, Kael observait Ethan alors qu’il fermait la clinique. L’humain soupira, épuisé, avant de s'asseoir sur le canapé, le regard perdu dans le vide. Kael bondit sur le fauteuil voisin, s'allongeant près de lui. Un silence s'installa, mais il était lourd de non-dits.

Ethan sembla hésiter, comme s’il cherchait à dire quelque chose, puis il secoua la tête, un rire sans joie franchissant ses lèvres.

— "C’est ridicule," murmura-t-il à mi-voix. "Je parle à un renard maintenant… Comme si ça allait changer quoi que ce soit."

Kael, incapable de répondre, se contenta de le regarder fixement. Il aurait donné n’importe quoi pour retrouver sa voix à cet instant. La frustration brûlait en lui, mais elle se mêlait à autre chose, quelque chose de plus profond. Une sorte de crainte qu’il n’avait jamais ressentie auparavant.

Qu’est-ce qui m’arrive ? pensa-t-il, ses griffes s’enfonçant involontairement dans le coussin du fauteuil. Il n’avait jamais eu besoin de quelqu’un, jamais. Mais maintenant, il ne pouvait plus imaginer quitter cet humain. Et pas seulement parce qu’Ethan pouvait être la clé de sa transformation. Non, c'était plus que ça.

Il se surprit à admirer Ethan. Sa ténacité, sa façon de prendre soin de chaque animal avec la même dévotion qu'il avait montrée envers lui, un simple renard. Kael ressentait un respect, presque une forme de vénération qu'il n'avait jamais connue. Chaque geste d’Ethan, même fatigué, même vaincu par les circonstances, résonnait en lui d'une manière inattendue. Cela le dérangeait profondément, mais il ne pouvait nier la réalité : il ressentait une attirance pour cet humain fragile et pourtant incroyablement fort.

La nuit s’épaissit autour d’eux, la lune illuminant la petite clinique d'une lumière argentée. Kael était resté à observer Ethan longtemps après que ce dernier s'était assoupi sur le canapé. Il s’approcha silencieusement de lui, le regard plongé dans ses traits apaisés par le sommeil.

"Pourquoi ? Pourquoi toi ?", pensa-t-il, le cœur lourd. Pour la première fois en des siècles, il ressentait quelque chose d'autre que l’avidité ou la convoitise. Mais ce sentiment lui échappait, insaisissable, étranger à tout ce qu'il avait connu.

Ethan bougea légèrement dans son sommeil, sa main effleurant la fourrure de Kael. Le démon renard ferma les yeux, appréciant ce contact fugace, doux. Il resta ainsi, immobile, veillant sur cet humain qui occupait désormais toutes ses pensées.

Kael luttait contre lui-même. Il voulait retrouver son pouvoir, sa forme humaine. Il voulait redevenir celui qu’il était, mais une partie de lui, une partie de plus en plus grande, ne voulait plus partir.

Et au milieu de cette lutte silencieuse, Kael comprit qu’il ne cherchait plus seulement à récupérer ce qu’il avait perdu. Désormais, il cherchait à comprendre ce qu’il avait trouvé.

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