L’ombre du passé

Chapitre 8

L'oubli était un vide silencieux. Aric n’avait plus de nom, plus de visage. Il n’était ni homme ni ombre, mais une brume flottante, une existence dénuée de tout repère. La brume qui l’avait enveloppé après ses derniers mots à la Dame Sans Nom s’était dissoute dans l’air, emportant avec elle tout ce qu’il avait connu. Il se trouvait maintenant dans un espace indistinct, entre les mondes. Un lieu où le temps n’existait plus, où la mémoire et la douleur étaient réduites à un flou insaisissable.

Les premières secondes de son oubli étaient floues, comme un rêve dont on ne retient que l’impression, mais qu’on ne parvient jamais à saisir pleinement. Il ne savait plus où il se trouvait, ni même ce qu’il était censé faire. Était-il toujours humain ? Était-il encore vivant ? Le vide était total, une absence d’existence qui se déployait devant lui, sans début ni fin. Il se sentait suspendu, comme si son esprit se trouvait dans un espace liminal, entre la vie et la mort, entre le connu et l’inconnu.

Puis, soudainement, une image se forma dans l’obscurité. Ce n’était pas une image réelle, mais plutôt une vision, un souvenir partiel, une brèche dans l’oubli qu’il avait demandé. C’était la silhouette de la Dame Sans Nom, mais cette fois, elle était différente. Son visage, habituellement impassible, était marqué par une profonde tristesse. Ses yeux, qui avaient autrefois renvoyé la sagesse d’un être ancien, étaient désormais vides, sans aucune lumière.

"Tu es venu ici pour comprendre," dit-elle, mais sa voix semblait lointaine, déformée par l’écho de l’oubli. "Mais parfois, comprendre n’est pas une libération. C’est un piège."

Aric voulut répondre, mais il ne parvint pas à prononcer un mot. Il essaya de bouger, de se tendre vers elle, mais son corps était immobile, figé dans l’espace vide. Il comprit alors que l’oubli ne le libérait pas de ses chaînes ; il les avait simplement échangées contre un autre type de souffrance. La souffrance du vide, de l’isolement éternel.

"Tu as cherché à me comprendre, Aric," reprit la voix, résonnant autour de lui. "Tu as voulu briser la malédiction, mais en le faisant, tu as fait le pire choix. Car l’oubli n’est pas une fin, c’est une continuité. Un état entre la vie et la mort, une recherche sans fin pour retrouver ce que tu as perdu."

Des éclats d’images et de sensations frappèrent son esprit, comme des fragments de souvenirs arrachés au temps. Il revit le village, la place où il avait grandi, les visages des habitants qu’il avait oubliés. Il revit les rues qu’il avait parcourues, les sons du marché, les rires des enfants. Tout était là, intact dans sa mémoire, mais étrangement inaccessible. Chaque image semblait brisée, déformée, comme si elle appartenait à un autre monde, un autre temps.

"Tu étais un homme," dit la Dame Sans Nom. "Tu avais un nom, une place parmi les vivants. Mais ce nom t’a conduit ici. Il t’a amené à chercher ce qui ne pouvait être trouvé. Et maintenant, tout est perdu. Mais il existe une vérité que tu n’as pas encore comprise."

Les mots s’imbriquaient dans son esprit comme des pièces de puzzle qui n’avaient jamais été assemblées. La vérité… quelle vérité ? Avait-il vraiment découvert tout ce qu’il devait savoir ? Ou l’oubli était-il le seul refuge qu’il restait à ceux qui, comme lui, avaient trop cherché ?

"Tu n’as pas effacé la malédiction, Aric. Tu l’as juste déplacée." La voix de la Dame Sans Nom se fit plus forte, plus incisive. "L’oubli n’est pas une échappatoire, c’est une transformation. Une fois que tu as connu la vérité, tu n’es plus un simple homme. Tu es un vestige, un fragment de ce qui a été effacé."

"Mais comment… comment briser cela ?" réussit-il à murmurer. Sa voix semblait être l’écho d’un autre temps, comme si elle ne venait pas de lui.

"Tu cherches toujours une issue," dit la Dame Sans Nom. "Mais il n’y en a pas. Le savoir que tu portes est un fardeau que tu ne peux rejeter. Tu dois accepter que la vérité ne se brise pas. Elle se porte."

Aric sentit la pression du vide s’alourdir autour de lui. Ses pensées se brouillaient sous l’effet de l’angoisse et de la confusion. Il avait voulu briser le cycle, vaincre l’oubli, mais il comprenait à présent que l’oubli était une partie de lui. L’oubli n’était pas quelque chose qu’il pouvait chasser ; il était devenu une partie de son essence, un fardeau qu’il portait désormais en lui, et qui le suivrait jusqu’à la fin des temps.

"Ce que tu dois comprendre, Aric," dit la voix de la Dame Sans Nom, "c’est que tu as déjà choisi ton destin. Tu n’es plus un homme parmi les hommes. Tu es un être entre les mondes. Tu n’appartiens ni à la vie ni à la mort. Tu n’es qu’un souvenir, une ombre qui ne s’effacera jamais."

À ces mots, Aric sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Il était ce qu’il avait craint : une légende, une histoire effacée, un spectre errant à travers l’obscurité. Les habitants du village, les amis, la famille, tout ce qu’il avait connu n’était plus qu’un lointain souvenir. Le passé qui l’avait forgé n’existait plus dans le monde des vivants. Et maintenant, il ne restait rien de lui.

"Il n’y a plus de retour possible," souffla la Dame Sans Nom. "Mais il y a une liberté dans ce vide. Dans l’oubli."

Aric tenta de se souvenir de ce qu’il avait été. Il se rappela de son nom, d’une époque où il s’appelait encore Aric, d’un monde où il avait eu une place parmi les autres. Mais tout cela s’éloignait de plus en plus, comme des rêves qui se dissipent au réveil. La mémoire de son existence s’effritait, se diluait dans la brume de l’oubli.

Pourtant, une partie de lui résista. Il ne voulait pas disparaître dans le néant. Une lueur d’espoir, aussi faible soit-elle, persistait. Peut-être que l’oubli était sa seule chance de comprendre. Peut-être qu’en acceptant ce vide, il parviendrait à percer le secret de son existence, à retrouver une forme d’équilibre.

Mais au fond de lui, Aric savait que la vérité qu’il avait cherchée n’était plus de ce monde. Il avait dépassé la frontière de ce que les hommes pouvaient comprendre, et maintenant, il appartenait

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