La vérité du nom

Chapitre 3

Aric suivit la Dame Sans Nom dans la nuit noire, son esprit empli d'une étrange énergie. La brume montait du sol comme un voile épais, effaçant les contours des tombes anciennes et recouvrant les sentiers du cimetière. La silhouette de la dame, distante et éthérée, se déplaçait avec une légèreté surnaturelle. Ses pas semblaient à peine toucher le sol, et Aric, bien qu’armé de toute sa détermination, se sentait étrangement déstabilisé, comme si la terre sous ses pieds lui échappait lentement.

Il avait cru que la vérité était simple, que découvrir son nom suffirait à briser la malédiction. Mais à chaque pas qu’il faisait, il sentait que quelque chose échappait à sa compréhension, comme si les ombres autour de lui se refermaient doucement, l’aspirant dans un piège invisible.

"Tu ne devrais pas être ici," dit la Dame Sans Nom sans se retourner. Sa voix était douce, presque mélancolique, mais il y avait dans ses mots une fermeté qui fit frissonner Aric.

"Je dois savoir qui tu es," répondit Aric, sa voix pleine de résolu. "Je ne suis pas comme les autres. Je suis prêt à tout pour comprendre. Même si cela me coûte."

La Dame Sans Nom s'arrêta brusquement, se tournant lentement vers lui. Ses yeux brillaient dans l’obscurité, un éclat de tristesse infinie dans leur profondeur. "Tu penses que le nom, c’est la clé, mais tu te trompes. Ce que tu cherches, ce n’est pas un nom. C’est un souvenir."

Aric la fixa, perplexe. "Un souvenir ?"

Elle acquiesça lentement, ses lèvres esquissant une ombre de sourire. "Oui. Parce que les noms ne sont pas simplement des mots. Ils sont des portes. Des portes qui mènent à des mondes oubliés. Et ce que tu ne sais pas, Aric, c’est que ce que tu cherches à réveiller est bien plus ancien que toi. Bien plus ancien que tout."

Il se figea. Comment savait-elle son nom ?

"Tu vois," continua-t-elle, sa voix devenant plus faible, "je suis née d’un rêve. Un rêve que les hommes ont eu un jour, celui de pouvoir effacer ce qu’ils ne voulaient pas se souvenir. J’étais une femme comme les autres. Mais un jour, on m’a demandé de prononcer un nom, un nom que j’ai oublié, un nom que personne ne devait connaître. Et, en le prononçant, j'ai oublié qui j’étais. J’ai oublié tout ce que j'avais été."

Aric sentit une vague d’incompréhension se lever en lui. "Mais pourquoi ? Pourquoi toi ? Pourquoi cette malédiction ?"

Elle ferma les yeux un instant, comme si les souvenirs étaient douloureux, puis reprit, son ton devenu plus grave. "Parce que j’ai été choisie pour porter le fardeau des oublis. Mon nom a été effacé non pas par un sort, mais par la volonté d'un peuple tout entier. Un peuple qui avait peur de ses propres souvenirs, peur de la vérité. Et, comme ils l’ont fait pour moi, ils l’ont fait pour d’autres. J'ai été maudite à cause de cette peur, à cause de l’oubli qu’on m’a imposé. Et c'est cela, Aric, que tu ne comprends pas encore. Celui qui connaît mon nom n’est pas libre. Il devient le prisonnier de l’oubli, tout comme moi."

Les mots frappèrent Aric comme un coup de tonnerre. Il n’avait pas envisagé cette possibilité. La Dame Sans Nom n’était pas seulement un être maudit, elle était le reflet d’une histoire plus vaste, d’une société brisée par sa propre peur. Et cette peur, elle se transmettait à ceux qui, comme lui, cherchaient à découvrir la vérité.

"Mais… si je te donne mon nom, tu seras toi aussi emprisonné dans cette quête. Tu deviendras mon successeur. Celui qui cherche à libérer les autres sans jamais pouvoir se libérer lui-même." Elle fit une pause, puis ajouta, "Est-ce cela ce que tu veux, Aric ? Devenir comme moi ?"

Aric, déstabilisé par la gravité de ses paroles, fit un pas en arrière, comme s’il avait eu un éclair de lucidité. "Je… je ne sais pas. Je ne veux pas être emprisonné dans cette quête sans fin."

La Dame Sans Nom l’observa intensément, ses yeux brillants de compassion et de douleur. "C'est trop tard. L’instant où tu m’as suivie dans ce cimetière, tu t'es déjà lié à moi. Tu es devenu le prochain maudit. Peu importe ce que tu fais maintenant, tu porteras ce fardeau."

Aric sentit la terre se dérober sous lui. Il n’avait pas anticipé cela. Il croyait avoir tout contrôlé, être celui qui allait briser la malédiction, mais il comprenait à présent que la vérité ne se trouvait pas dans la recherche du nom. Il était piégé dans un cercle sans fin, et la seule manière d’échapper à cette malédiction serait de l’oublier, de tourner le dos à cette quête… mais il ne pouvait plus.

"Il n'y a pas de sortie", dit-elle doucement, presque désolée. "La quête de ton nom ne fait que commencer, Aric. Comme tous les autres avant toi, tu deviendras la nouvelle légende. La Dame Sans Nom te guidera à travers les ténèbres, jusqu’à ce que tu sois aussi oublié que moi."

Aric tenta de lutter contre l’angoisse qui montait en lui. Son esprit se révoltait contre l'idée d'être pris au piège. Il voulait s’enfuir, tout laisser derrière lui, mais ses jambes étaient comme figées dans la terre. Le nom de la Dame Sans Nom, il le connaissait maintenant, et il savait que c'était une malédiction bien plus complexe qu’il ne l’avait imaginé. Il n’était plus un simple chercheur de vérité. Il était devenu une partie du mythe, un acteur dans la longue danse de l'oubli.

Alors, dans un dernier élan de désespoir, il s’effondra à genoux, ses mains tremblantes sur le sol froid du cimetière.

"Je… je ne veux pas devenir comme toi", murmura-t-il. "Je veux partir. Je veux tout oublier."

Mais la Dame Sans Nom, en silence, se tourna et s’éloigna lentement, sans répondre. Elle savait que ses paroles avaient touché un point sensible, mais cela n’avait pas d’importance. Le destin d’Aric était scellé. Il avait cherché à comprendre, mais désormais, il faisait partie de l’histoire de ceux qui, un jour, avaient cherché à connaître la vérité et avaient été engloutis par elle.

Le vent souffla dans le cimetière, emportant les derniers mots d’Aric, et le silence retomba, lourd et définitif.

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