Le Réveil de l’Oubli

Chapitre 7

Le vent s’était intensifié, comme pour rendre plus lourd le silence du cimetière. Aric se tenait devant la tombe d’Alia, la Dame Sans Nom, son cœur battant à en étouffer sa poitrine. Il était loin de l’innocent jeune homme curieux qu’il avait été. Le fardeau de la malédiction pesait sur lui comme une pierre géante, et il savait que s’il n’affrontait pas ce qui l’attendait ici, il serait perdu pour toujours.

Il observa la pierre tombale une dernière fois, la froideur de la brume s’infiltrant dans ses os. Chaque fibre de son être lui criait de partir, de fuir, mais il était trop tard. Il avait franchi le seuil de l’inconnu. Le murmure des voix oubliées, ces âmes perdues que la Dame Sans Nom avait englouties, se faisait de plus en plus clair, comme un écho dans son esprit. Elles l’appelaient. Elles lui parlaient. Elles l’avertissaient.

"Si tu veux tout savoir, Aric," dit la voix douce mais ferme d'Alia, "tu dois comprendre que certains secrets doivent rester dans les ténèbres. Si tu cherches à déterrer tout ce qui a été enterré, tu risqueras non seulement ta vie, mais l’équilibre même des âmes."

Il tourna lentement la tête. Derrière lui, la brume s’épaississait, formant des silhouettes indistinctes qui semblaient se mouvoir dans l’obscurité. L’ombre d’Alia se dessina devant lui, et il la reconnut immédiatement. Son visage était plus pâle que jamais, et ses yeux, remplis d’un mélange de tristesse et de sagesse éternelle, l’observaient.

"Pourquoi ?" murmura Aric, sa voix étranglée par l’émotion. "Pourquoi as-tu été oubliée ? Pourquoi ai-je dû porter cette malédiction ?"

La Dame Sans Nom s’approcha lentement, ses pieds effleurant presque le sol, comme une apparition venant d’un autre temps. "Je n’ai pas toujours été ce que vous appelez ‘la Dame Sans Nom’." Sa voix était douce, mais elle portait une gravité immense. "Il fut un temps où mon nom était chéri, où je n’étais qu’une simple femme, pleine de vie et de promesses. Mais le monde a changé. Les hommes ont peur de ceux qui détiennent un savoir qu’ils ne peuvent comprendre."

Elle s'arrêta devant lui, et une brume dense se leva autour d'eux, comme un mur invisible qui les isolait du reste du monde. "Tu vois," continua-t-elle, "mon nom n’a pas été effacé parce que j’ai fait une erreur, mais parce que j’ai découvert quelque chose que l’humanité ne devait pas savoir. Un secret trop terrible pour être laissé dans la mémoire des hommes."

Aric la regarda avec une intense curiosité, mais aussi un peu de peur. "Quel secret ?"

Elle s'assit lentement sur le sol, et les pierres tombales autour d'eux semblaient se resserrer, formant un cercle invisible. "Le secret du véritable nom," dit-elle, "celui qui lie tout ce qui existe dans l’univers. Un nom qui n’appartient à personne, mais à tout. Le Nom Originel. Celui qui fait de l’homme un dieu, et qui, dans d’autres circonstances, peut le détruire."

Aric frissonna à ces mots. Un nom, tout-puissant, capable de détruire ou de créer. Mais ce qu’il ne comprenait pas, c’était pourquoi ce savoir était un fardeau. Pourquoi fallait-il l’effacer ?

"La vérité," répondit la Dame Sans Nom, comme si elle avait lu dans ses pensées, "est que ce nom ne devait pas être prononcé par les mortels. Le savoir de ce nom est un pouvoir si immense que, s’il est découvert, il détruit l’équilibre même de l’existence. C’est pour cela que j’ai été oubliée. Mon nom a été effacé pour empêcher qu’un tel pouvoir tombe entre de mauvaises mains. L’humanité, avec ses faiblesses et ses désirs, n’était pas prête à le connaître. Et personne ne le sera jamais."

Aric, bouleversé, se laissa tomber à genoux. "Alors, je suis condamné à vivre avec cette malédiction pour toujours ? Il n’y a aucun moyen de revenir en arrière ?"

La Dame Sans Nom secoua lentement la tête. "Non, Aric. Mais tu n’es pas seul dans ta souffrance. Tous ceux qui ont prononcé mon nom ont subi le même sort. Ils ont perdu leur identité, effacée pour protéger le monde de la vérité qu’ils ont découverte. Mais toi, tu es différent."

Il la regarda avec des yeux emplis de confusion et d’espoir. "Comment suis-je différent ?"

"Parce que tu es celui qui détient la clé." Elle marqua une pause, comme si elle cherchait les mots justes. "Le véritable nom que je porte n’est pas seulement un pouvoir. Il est aussi une malédiction. Mais il existe un moyen de briser ce cycle, de renverser le destin. Si tu veux vraiment t’en libérer, tu devras affronter la vérité que tu portes, et accepter que certains secrets ne peuvent jamais être rendus. Si tu veux vraiment guérir, il te faut abandonner ce nom. Il n’est pas à toi."

Les mots résonnèrent dans l’esprit d’Aric, comme un écho venant d’un autre monde. Abandonner ce nom. Abandonner la vérité. Comment pouvait-il se résoudre à cela ? S’il faisait ça, s’il renonçait à ce savoir, serait-il prêt à accepter l’oubli définitif ? Serait-il prêt à tout effacer pour se sauver lui-même ?

Il se leva lentement, le regard fixé sur la Dame Sans Nom. "Et si je refuse ?" demanda-t-il, une détermination nouvelle dans la voix.

Elle le fixa intensément. "Alors tu vivras dans l’ombre pour toujours, lié à la vérité que tu portes, sans jamais pouvoir la partager. Tu seras comme moi. Oublié par le monde, une légende pour ceux qui te croiseront. La vérité, une fois révélée, ne laisse aucun retour possible. Elle te consume."

Un frisson parcourut l’échine d’Aric. Le poids de la décision qui se profilait devant lui était immense. Il n’avait pas l’impression que c’était encore un choix. C’était un destin, une obligation. Il avait ouvert la porte de l’enfer en prononçant ce nom, et il ne pouvait pas revenir en arrière. Mais pouvait-il vraiment abandonner tout ce qu’il avait découvert ? Pouvoir, vérité, et rédemption semblaient être à portée de main, mais à quel prix ?

"Je…" Aric hésita. "Je ne sais pas si je peux accepter cela. Je ne sais même pas si je peux abandonner ce nom."

La Dame Sans Nom s’approcha doucement de lui, sa silhouette se dissolvant lentement dans la brume, comme une apparition éphémère. "Ce n’est pas à toi de choisir si tu l’acceptes ou non, Aric. C’est le destin. Le nom que tu cherches à découvrir te détruira si tu ne l’oublies pas. La vérité est un poison, mais parfois, l’oubli est la seule guérison."

Les mots de la Dame Sans Nom résonnèrent profondément en lui. Aric sentit un tremblement intérieur. Il n’y avait pas de sortie. Si le nom qu’il avait prononcé pouvait le sauver, il était trop tard. Il avait déjà franchi le seuil, et il n'y avait plus de retour possible.

"Alors, que dois-je faire ?" demanda-t-il, la voix brisée par l’angoisse.

"Tu dois entrer dans l’oubli," répondit-elle, sa voix résonnant dans le vent comme un dernier souffle avant la tempête. "Tu dois oublier tout ce que tu sais. Ce n’est qu’alors que la malédiction sera brisée. Mais souviens-toi, Aric, l’oubli n’est pas un effacement. C’est une libération."

La brume se leva, enveloppant Aric dans un voile épais, un voile de silence et de ténèbres. La Dame Sans Nom s'effaça, son visage se dissolvant dans l'air. Et Aric, perdu entre deux mondes, comprit enfin ce que signifiait être oublié : ce n’était ni une malédiction, ni une rédemption. C’était un voyage sans fin, vers un endroit où même les souvenirs ne pouvaient plus le suivre.

Il ferma les yeux, et, dans un ultime acte de révolte et d'acceptation, laissa son nom se dissoudre dans l’oubli.

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