La descente dans l'oubli

Chapitre 6

Le vent soufflait avec une violence inouïe à travers les ruelles du village, comme pour effacer les dernières traces d’humanité. Aric marchait sans but, son esprit en proie à une confusion profonde. La Dame Sans Nom, ou Alia, lui avait révélé une vérité qu’il n’était pas prêt à entendre. L’oubli. La malédiction de l’oubli. Un fardeau aussi vieux que le temps lui-même. Comment une simple rencontre pouvait-elle mener à une telle plongée dans les ténèbres ? Comment une personne, un être vivant, pouvait-elle être réduite à un simple écho du passé, une ombre qui erre à la recherche de son nom perdu ?

La vérité, comme un poison, avait envahi son esprit. Chaque pas qu'il faisait semblait l’enfoncer un peu plus dans un gouffre dont il ne voyait pas le fond. Aric ne savait plus si la peur qu’il ressentait venait de la malédiction elle-même ou du poids des révélations qui l’avaient frappé si brutalement. Il avait cherché la vérité, mais à présent, il se demandait s’il aurait préféré ne jamais l’avoir trouvée. La vérité ne le libérait pas, elle le condamnait.

La vieille femme qu’il avait rencontrée avant de retourner au cimetière ne cessait de hanter ses pensées. "Il n’y a pas de rédemption pour ceux qui croisent la Dame Sans Nom," avait-elle dit. Mais il avait encore un espoir. Ou peut-être était-ce simplement le dernier reflet d’une illusion, une lueur fragile à laquelle il se raccrochait désespérément. Il ne pouvait pas croire que tout était fini, qu’il n’y avait plus de sortie, que l’oubli était sa seule fin.

Il arriva devant la maison de la vieille femme. L’air autour de la maison semblait différent, comme si elle était protégée par une sorte de barrière invisible, une ligne entre le monde des vivants et celui des ombres. Aric frappa à la porte, la main tremblante. Il espérait, plus que tout, trouver une réponse, une explication. La vieille femme avait parlé d’une vérité encore plus profonde, mais l’avait-elle seulement partagée en entier ? Il en doutait. Il sentait qu’elle savait bien plus, mais qu’elle ne lui avait pas tout révélé. Peut-être que cette fois, elle lui dirait ce qu’il devait faire pour briser la malédiction.

La porte s’ouvrit lentement, laissant apparaître la silhouette de la vieille femme, comme si elle l’avait attendu. Son regard était aussi pénétrant que la première fois, mais il y avait maintenant une touche de pitié dans ses yeux.

"Tu as découvert ce que tu cherchais, n’est-ce pas ?" demanda-t-elle d'une voix calme, mais lointaine.

Aric hocha la tête, le cœur lourd. "Oui, mais je ne comprends pas. Je ne comprends plus rien. Pourquoi moi ? Pourquoi avoir cherché la vérité si c’est pour me condamner à cette existence, à cette… à cette malédiction ?"

La vieille femme le regarda un long moment sans répondre. Puis, d'une voix grave, elle murmura : "Parce que le savoir, Aric, est une chose dangereuse. L’oubli n’est pas simplement une malédiction. C’est un voile qui recouvre les pires vérités. Ceux qui sont oubliés… ne le sont pas par hasard. Leur nom, leur histoire, sont effacés pour une raison. Ce que tu dois comprendre, c’est que l’oubli est souvent plus clément que la vérité. La vérité, une fois révélée, ne laisse aucune place à l’innocence."

Aric sentit son estomac se tordre sous l’intensité des mots de la vieille femme. "Alors quoi ? Je dois accepter de vivre avec cette malédiction ? De vivre dans l’ombre de ce que j’étais ?"

La vieille femme le regarda fixement, ses yeux s’assombrissant. "Non, Aric. Tu dois comprendre ce que la Dame Sans Nom cherche. Elle a été oubliée, oui. Mais ce n’est pas pour rien. Il y a un équilibre, une raison pour laquelle son nom a disparu de l’histoire. Et si tu veux vraiment briser cette malédiction, tu devras l’affronter, non pas en cherchant à la comprendre, mais en acceptant ce que tu vois devant toi."

"Mais je ne peux pas l’accepter !" cria Aric, une bouffée de colère éclatant dans sa poitrine. "Elle m’a dit que j’étais lié à elle, que je porterai son fardeau ! Je suis devenu ce que je craignais le plus !"

La vieille femme ferma les yeux, comme pour ravaler une profonde tristesse. "C’est ce que le destin fait à ceux qui cherchent à échapper à leur sort. Ceux qui sont liés à l’oubli sont rarement prêts à accepter la vérité qu’ils découvrent. Mais l’oubli, Aric, est plus qu’un châtiment. C’est une libération. Tu crois qu’en cherchant à briser la malédiction, tu trouveras la paix. Mais parfois, il vaut mieux que certains secrets restent enfouis."

Il se leva, la frustration montant en lui. "Tu veux dire que je dois abandonner ? Laisser la Dame Sans Nom continuer à hanter les âmes perdues, à dévorer les souvenirs de ceux qui croisent son chemin ? Et moi, je dois vivre comme une ombre, portant un fardeau que je n’ai pas choisi ?"

La vieille femme le fixa un instant, puis soupira profondément. "Il n’y a pas de réponse simple à ce genre de question, Aric. Tout ce que je peux te dire, c’est que tu n’es pas le premier à être attiré par cette légende. Beaucoup avant toi ont tenté de comprendre, d’affronter la Dame Sans Nom, et tous ont échoué. Mais peut-être que toi, tu as une chance. Si tu veux vraiment briser la malédiction, tu devras aller au cœur du mystère. Tu devras entrer dans l’oubli, et peut-être, juste peut-être, trouver un moyen de le vaincre."

Aric la regarda, désemparé. "Et comment suis-je censé faire ça ?"

"Tu devras retourner à l’endroit où tout a commencé. Le lieu où la Dame Sans Nom a perdu son nom. Là, tu trouveras peut-être la clé de ton destin."

Elle disparut dans la pénombre de la pièce, et Aric se retrouva seul, plus perdu que jamais.

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