Chapitre 3 : 1/2.

Le choc fut si violent qu'Emily atterrit sur le parquet avant même d'avoir conscience d'être tombée du lit. Les yeux embués de sommeil, elle palpa son coude endolori tandis qu'un bruit de verre brisé résonnait encore dans ses oreilles. Encore un réveil en douceur, ironisa-t-elle intérieurement.

Les cris qui éclatèrent soudain en bas l'arrachaient définitivement à sa torpeur. Elle reconnut instantanément les voix - ce ton particulier que prenaient ses parents lorsqu'ils franchissaient le point de non-retour. Pieds nus, elle dévala l'escalier, évitant instinctivement la septième marche qui grinçait toujours.

La scène qui l'attendait au salon lui tordit l'estomac. Sa mère, recroquevillée sur le vieux canapé, sanglotait à fendre l'âme. Face à elle, son père, le visage déformé par une colère qu'elle ne lui connaissait pas, brandissait un verre vide dont les débris jonchaient maintenant le sol.

_ Papa... maman... ?

Sa voix sembla briser le sortilège. Son père se figea, les épaules soudain affaissées. Sans un mot, il tourna les talons, mais trop tard - Emily avait déjà vu l'éclair de fureur dans ses yeux noisette, cette mâchoire serrée à s'en briser les dents.

_ Qu'est-ce qui... ?

Son regard tomba sur les éclats de cristal étincelant au soleil matinal. Un frisson lui parcourut l'échine. Elle enjamba les débris avec précaution pour se jeter aux pieds de sa mère.

_ Qu'est-ce qui se passe ? répéta-t-elle d'une voix étranglée.

Le silence qui suivit fut plus éloquent que tous les mots. Emily se releva d'un bond et agrippa le bras de son père avec une force insoupçonnée, le forçant à lui faire face. Dans les veines saillantes de son cou, dans le tremblement de ses lèvres, elle lut toute l'histoire d'un mariage en train de s'effondrer.

_ Demande à ta mère, cracha-t-il avant de s'arracher à son étreinte.

La porte d'entrée claqua comme un coup de feu. Emily resta pétrifiée, le regard perdu entre sa mère effondrée et les éclats de verre qui scintillaient comme autant de larmes cristallisées. Deux minutes. Trois. Puis, brusquement :

_ Très bien ! Puisque c'est comme ça...

Elle monta quatre à quatre, claqua sa porte à son tour et s'effondra contre le battant, les mains plaquées sur sa poitrine comme pour en contenir les battements désordonnés. La douche brûlante qui suivit ne lava pas cette sensation de naufrage.

***

Dès qu'elle mit le pied dehors, le soleil de neuf heures lui cingla le visage comme une gifle. Elle ajusta machinalement son sac sur son épaule et entama d'un pas vif les trente minutes de marche jusqu'à l'université.

Comme toujours, les regards s'accrochèrent à sa silhouette. Les hommes, admiratifs. Les femmes, envieuses. Si seulement ils savaient, songea-t-elle avec amertume en repensant à son lycée, à ces années d'harcèlement, de ricanements et de regards louches. L'unique bon souvenir qu'elle avait gardé était la rencontre de James, un jeune qui l'avait secouru lors d'une agression. Seul lui avait su voir au-delà de l'enveloppe - James qui n'était plus qu'un fantôme dans son passé.

L'ambiance étrange du campus la tira de ses pensées. Partout, des étudiants regroupés par grappes inquiètes, des chuchotements derrière des mains, ce des écrans de smartphones scrutés avec une fascination horrifiée. Elle allait passer son chemin quand une main se posa sur son épaule, la faisant sursauter.

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