Les promesses d'Estella

Chapitre IV – Les promesses d’Estella

Douala s’enveloppait d’un crépuscule orangé ce soir-là. Les rues grouillaient de voitures, de klaxons impatients, de vendeurs criant leurs derniers prix avant la nuit. Les effluves de poisson braisé et d’épices se mêlaient à l’air humide, donnant à la ville ce parfum familier qui collait à la peau et aux souvenirs. Adrian, lui, marchait d’un pas décidé vers le petit appartement d’Estella, situé dans une résidence discrète à Akwa.

Il avait le cœur battant, comme à chaque fois qu’il s’apprêtait à la voir. Chaque rencontre semblait intensifier la force de leur lien, comme si une main invisible resserrait autour d’eux les fils d’un destin commun. Lorsqu’Estella ouvrit la porte, vêtue d’une robe simple couleur ivoire, ses cheveux encore humides d’une douche rapide, Adrian eut la sensation d’être face à une apparition. Elle lui sourit, et ce sourire effaça d’un coup toutes les ombres que Ricardo avait laissées dans son esprit.

— Tu arrives au moment parfait, dit-elle en l’invitant à entrer. J’ai préparé quelque chose.

Sur la petite table du salon, une nappe blanche recouvrait les assiettes, un bouquet de fleurs improvisé trônait dans un verre, et deux bougies diffusaient une lueur chaude qui rendait la pièce intime. Le parfum du ndolé parfumait l’air, mêlé à la douceur du vin qu’elle avait servi. Adrian resta un instant sans voix, touché par l’attention.

— Estella… tu n’étais pas obligée…

— Je le voulais, répondit-elle simplement. Parce que tu comptes.

Le repas se déroula dans une complicité naturelle. Ils parlaient de tout et de rien : des souvenirs d’enfance d’Estella à New-Bell, des rêves d’Adrian d’un jour quitter la routine étouffante de son bureau, des projets, des rires, des silences lourds de sens. Chaque échange scellait davantage leur proximité, chaque regard ouvrait la porte à des promesses muettes.

Quand les assiettes furent vides et que la nuit enveloppa la ville, Estella se leva, prit la main d’Adrian et l’attira sur le balcon. Douala s’étendait devant eux, vivante, bruyante, magnifique. Le fleuve Wouri reflétait les lumières des bateaux de pêche. Les moteurs, les cris, la musique des bars montaient comme une symphonie chaotique.

— Regarde cette ville, murmura Estella. Elle brûle de mille feux, mais elle cache aussi ses blessures. Comme nous, peut-être.

Adrian tourna vers elle un regard troublé. Elle semblait parler avec une profondeur qui dépassait le moment présent, comme si ses mots contenaient un avertissement voilé. Mais avant qu’il ne puisse l’interroger, elle posa ses mains sur son visage et l’embrassa. Le baiser, intense et tendre, fut suivi de paroles qui marquèrent Adrian au plus profond de son âme.

— Je te promets, Adrian… tant que nous marcherons ensemble, je ne t’abandonnerai jamais.

Ces mots résonnèrent comme un serment sacré. Adrian sentit ses doutes fondre, ses peurs se taire. Il avait besoin de croire en cette promesse, besoin de s’y accrocher comme on s’accroche à une bouée au milieu d’une mer agitée. Dans les yeux d’Estella brillait une sincérité qui effaçait tout le reste : Ricardo, ses avertissements, ses ombres.

La nuit s’écoula dans une ivresse douce. Ils parlèrent jusqu’à l’aube, lovés l’un contre l’autre, partageant des rêves d’avenir. Estella disait vouloir écrire, voyager, peut-être même quitter Douala pour voir Paris, Lagos ou Abidjan. Adrian promettait de l’accompagner, de construire avec elle une vie hors des limites étroites de leur quotidien. Leurs promesses se superposaient comme des pierres dressées pour bâtir un temple invisible, celui de leur amour.

Pourtant, au matin, lorsque la lumière pâle entra dans la chambre et qu’Adrian se réveilla à ses côtés, il crut percevoir une ombre dans le regard d’Estella. Elle contemplait la fenêtre, le visage grave, comme absorbée dans une pensée qu’elle ne partageait pas. Lorsqu’il lui demanda à quoi elle songeait, elle secoua la tête et répondit :

— À rien… juste au futur.

Mais sa voix manquait d’assurance.

Les jours qui suivirent furent emplis de gestes tendres. Ils se retrouvaient dans les cafés de Bonapriso, marchaient le long des quais au coucher du soleil, riaient sous les averses imprévues. Et toujours, Estella revenait à cette promesse, comme pour l’ancrer en lui : « Je ne t’abandonnerai jamais. » Adrian, emporté par l’ardeur de son cœur, ne voyait pas que dans les yeux d’Estella, cette promesse cachait une lutte intérieure, une contradiction silencieuse.

Un soir, alors qu’ils sortaient d’un cinéma en centre-ville, Adrian croisa Ricardo au détour de la rue. Les lampadaires projetaient des ombres longues sur le trottoir mouillé, et le regard de Ricardo se fixa aussitôt sur leurs mains entrelacées. Il eut un sourire étrange, ni joyeux ni triste, mais chargé d’une intensité inquiétante.

— Adrian… Estella, dit-il calmement, comme s’il savourait chaque syllabe. Vous formez un beau couple.

Estella se raidit imperceptiblement. Adrian, lui, sentit son cœur se contracter. Il connaissait trop bien ce sourire. Derrière ces mots polis, il y avait une tempête.

Ricardo ajouta d’une voix douce :

— Mais souvenez-vous… toutes les promesses ne survivent pas à la réalité.

Puis il s’éloigna, les laissant seuls, mais avec une tension qui s’inscrivit profondément entre eux.

Adrian serra plus fort la main d’Estella, comme pour défier ce présage. Elle, cependant, garda le silence. Ses yeux brillaient d’émotions contradictoires, et Adrian comprit qu’au-delà de l’amour qu’elle lui portait, il y avait des secrets qu’elle n’avait pas encore révélés.

La flamme brûlait plus que jamais, nourrie par leurs promesses et leurs désirs. Mais déjà, quelque part dans l’ombre, se dessinait la fracture.

Télécharger maintenant

Aimez-vous ce travail ? Téléchargez l'application et vos enregistrements de lecture ne seront pas perdus
Télécharger maintenant

Bien-être

Les nouveaux utilisateurs peuvent télécharger l'application pour débloquer 10 chapitres gratuitement.

Recevoir
NovelToon
Ouvrir la porte d'un autre monde
Veuillez télécharger l'application MangaToon pour plus d'opérations!