Tokyo, tôt le matin.
Un studio d’enregistrement vide, baigné d’une lumière tamisée.
Le silence est une rareté dans cette ville toujours vibrante, mais ici, il règne comme une présence fragile, presque sacrée. L’air sent le câble chauffé, le bois ciré, les souvenirs.
Naoki Fujimura est seul, sa guitare sur les genoux. Ses doigts effleurent les cordes, mais aucun son n’en sort. Il ne compose pas. Il pense.
Il sort son téléphone. Un point rouge clignote dans l’application Messages.
> « Comment va Tokyo ? » — Soraya Kazuki.
Envoyé il y a douze heures.
Naoki reste immobile. Il relit le message. Une fois. Deux fois. Trois.
Une phrase simple, anodine. Mais il le sent : quelque chose s’y cache. Quelque chose de doux, de triste. De non-dit.
Il commence à écrire :
> « Kyoto te manque ? »
Mais il s’arrête.
Il efface.
Puis repose le téléphone à côté de lui, sans rien envoyer.
Flashback — Printemps, quelques années plus tôt.
Le petit parc derrière leur école.
Naoki joue de la guitare, concentré, le regard perdu quelque part entre les branches et les cordes.
À côté de lui, Soraya, en uniforme, genoux repliés, un carnet de croquis sur les jambes.
— « Tu crois que tu peux vraiment en vivre ? De la musique ? »
— « Je sais pas… Mais si je le tente pas, je regretterai toute ma vie. »
Il s’arrête de jouer.
— « Et toi ? »
— « Moi… J’aimerais créer des choses que les gens portent les jours heureux. Une robe pour un premier rendez-vous. Une veste pour le jour où on embrasse quelqu’un pour la première fois. »
Ils avaient ri tous les deux.
Mais ce jour-là, aucun des deux n’avait osé regarder l’autre.
Retour au présent.
La porte s’ouvre doucement. Renji entre, manteau noir, un dossier sous le bras.
— « T’es là depuis combien de temps ? »
— « Pas longtemps. Je pensais travailler un peu. »
— « Tu travailles beaucoup ces derniers temps. »
— « Ouais, mais c’est normal. Je gère aussi les affaires du groupe. »
Renji s’assoit sur un ampli. Il aperçoit l’écran allumé du téléphone de Naoki.
— « Soraya t’a écrit. »
Naoki ne répond pas tout de suite. Il inspire profondément.
— « Ouais. »
— « Tu vas lui répondre ? »
Un long silence.
— « …Je sais pas quoi lui dire. »
Renji hoche la tête.
Il connaît Soraya. Il connaît aussi ce silence qu’elle laisse derrière elle, ce silence qui parle pour elle.
Et il sait que Naoki, malgré ses sourires, ne sait toujours pas l’écouter.
— « Tu sais, elle t’écrit pas juste pour bavarder. »
— « Je sais. Mais… »
— « …Mais tu es avec Sayuri maintenant. »
— « Ouais, je le sais. Et crois-moi, j’aime beaucoup Sayuri. Soraya, c’est comme une sœur pour moi. En fait, c’est ma meilleure amie. »
— « Alors pourquoi tu hésites autant à lui répondre ? »
Naoki baisse les yeux.
— « Je crois que je me suis habitué à ce qu’elle soit là… sans jamais me demander pourquoi elle y était. »
— « Dis-moi, Naoki. Qu’est-ce qu’elle représente pour toi ? »
— « Qu’est-ce que tu veux dire ? »
— « Je te demande : à tes yeux, qu’est-ce qu’elle est, Soraya ? »
— « Je te l’ai déjà dit. C’est comme ma sœur. Et ma meilleure amie. »
La porte s’ouvre à nouveau.
Miyabi entre, suivi de Toma.
— « Salut les gars, vous avez la forme ? »
— « Bonjour tout le monde. »
— « Tiens donc, les deux retardataires. »
— « Ça va, Renji, nous fais pas la morale. On est désolés. »
— « Ouais, désolé, dit Toma. J’ai eu une panne d’oreiller ce matin, c’est pour ça que j’étais un peu à la bourre. »
— « Pas besoin de vous excuser. Vous êtes toujours en retard, de toute façon. »
— « Au fait, Naoki, demanda Miyabi, t’as des nouvelles de Soraya ? »
— « Elle m’a écrit récemment. »
— « Ah ouais ? Et elle a dit quoi ? »
— « Juste… “Comment va Tokyo.” »
— « Quoi ? C’est tout ? »
— « Ouais. Elle a juste écrit ça. »
— « Soraya a jamais été douée avec les mots. Elle est toujours restée discrète… »
— « Tu m’avais pourtant dit qu’elle se laissait pas faire ! » ajouta Toma. « Et franchement, elle a jamais été bavarde. Même à l’époque, elle parlait pas beaucoup. »
— « C’est vrai, rétorqua Miyabi. Mais j’ai l’impression que ces derniers temps, elle s’est encore plus refermée. »
— « Soraya pense toujours aux autres avant elle-même, dit Renji. Mais si elle avait un problème, je pense pas qu’elle nous le cacherait. »
— « J’espère bien, » dit Toma. « Je préfère la savoir heureuse que triste. »
— « Très bien, dit Miyabi. Et si on commençait notre répétition ? »
Plus tard, dans la salle d’enregistrement.
Le groupe joue un nouveau morceau. L’ambiance est un peu tendue, l’accord n’y est pas totalement.
Une fois l’enregistrement terminé, Sayuri entre dans la pièce.
Maquillée, souriante.
— « Bonjour tout le monde ! » s’écria-t-elle en entrant.
— « Sayuri ? Quelle surprise ! » lança Naoki. « Qu’est-ce que tu fais ici ? J’étais censé venir te chercher. »
— « Ouais, je sais, répondit-elle en riant. Mais j’étais trop impatiente de te voir. Alors je suis venue. »
Elle lui prend la main.
— « Allez, on y va ? »
— « Laisse-moi juste ranger mes affaires. »
Quelques heures plus tard.
Naoki et Sayuri marchent ensemble, main dans la main.
Promenade d’amoureux.
Mais Naoki a l’esprit ailleurs. Très loin.
— « Dis-moi, tu en dis quoi… »
Mais il ne répond pas. Il ne suit pas la conversation. Son regard flotte, perdu dans ses pensées.
Sayuri le sent. Son regard cherche le sien. Elle devine. Il pense à quelqu’un d’autre.
Elle serre un peu plus fort sa main.
— « Naoki… »
— « Hm ? »
— « Qu’est-ce que tu as ? Ça fait des heures que je parle, et tu réponds à peine. »
— « Excuse-moi, Sayuri… C’est juste que… »
— « Dis-moi, Naoki… »
— « Hein… ? »
— « Tu crois au destin ? »
Il la regarde, déstabilisé.
— « Je croyais… jusqu’à ce que je réalise que j’ai peut-être laissé passer quelque chose d’important. »
Sayuri reste silencieuse.
— « Et ensuite je t’ai rencontrée, toi… »
Ses mots allument une étincelle dans ses yeux.
— « Je peux maintenant dire que oui… je crois au destin. Depuis que je t’ai rencontrée. »
Sayuri rougit. Elle baisse les yeux, timide, et serre doucement sa main.
Le soir, à Kyoto.
Soraya regarde son téléphone.
Toujours rien.
— « Toujours rien… »
Elle soupire. Pose son téléphone sur la table.
Sa mère entre dans la chambre et la trouve plongée dans ses pensées.
— « Soraya… »
Surprise, elle sursaute.
— « Maman… c’est toi. »
— « Ma chérie, quelque chose ne va pas ? »
— « Non, maman, tout va bien. »
— « Soraya… Ne me mens pas. Je suis ta mère. Je te connais. Dis-moi ce qui ne va pas. »
Elle inspire profondément. Puis se confie enfin.
— « Maman… Si tu aimes quelqu’un de toutes tes forces, mais que cette personne trouve le bonheur avec une autre… Qu’est-ce que tu ferais ? »
— « Je vois. Je comprends mieux maintenant. »
— « Oh… »
— « Écoute, ma fille. Parfois, la vie est compliquée. Et l’amour peut être… stupide. Mais il y a une chose que tu dois retenir. »
— « … »
— « Si tu aimes vraiment cette personne, alors tu dois le laisser partir. Même si ça fait mal. Parce qu’aimer quelqu’un, ça veut aussi dire vouloir son bonheur. »
— « Et si j’y arrive pas ? Et si malgré tous mes efforts, je n’y arrive pas ? »
— « Alors, le temps sera ton remède. »
— « Mais… »
— « Dis-moi, Soraya. Tu crois au destin ? »
— « Le destin ? »
— « Oui. Il se peut qu’aujourd’hui, l’amour que tu cherches t’échappe… Mais si vous êtes faits pour être ensemble, l’univers trouvera une façon de vous réunir. »
Soraya resta silencieuse. Les mots de sa mère glissèrent en elle comme un baume.
Un peu plus légère, un peu moins perdue.
— « Merci, maman. »
— « Je t’en prie, ma chérie. »
— « Tu es vraiment la meilleure maman du monde. »
— « Et toi, tu es la fille la plus précieuse qu’on puisse avoir. Et la prochaine fois… viens me parler plus tôt. »
— « Promis. »
Sa mère quitta la chambre.
Soraya, le cœur un peu plus léger, retourna à sa couture.
Le silence ne lui faisait plus aussi peur. Pas ce soir.
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