Kyoto.
Un matin calme. Le ciel est d’un blanc laiteux, presque irréel, comme suspendu dans le silence.
Dans l’atelier encore désert, seule la machine à coudre murmure. Le tissu glisse entre les doigts de Soraya Kazuki, appliquée. Ou du moins… elle essaie.
— Mince, je l’ai raté, souffle-t-elle en fronçant les sourcils.
Ses yeux sont cernés. Elle garde une expression impassible, maîtrisée, mais ses gestes… eux, trahissent la fatigue. Une couture déborde. Elle soupire, défait le fil, recommence.
— Soraya, tu es sûre que ça va ? demanda Sae, un peu inquiète.
— Oui, ça va. J’ai juste été un peu distraite, répondit-elle avec un petit sourire timide.
— Tu devrais faire une pause. Ça fait des jours que tu travailles sur cette commande.
— Ne t’en fais pas Sae, ça va aller, dit-elle poliment.
Au fond de l’atelier, Madame Kujo l’observe depuis la salle des stocks. Silencieuse. Les bras croisés. Elle fronce les sourcils : voilà trois jours que Soraya ne parle presque pas.
Elle s’avance lentement.
— Soraya, l’interpella-t-elle.
— Ah, c’est vous, Madame Kujo ! s’exclama Soraya. Je ne vous ai pas entendue.
— Je m’en doute bien, répondit-elle, le regard perçant. Tu es sûre que tout va bien ?
— Oui, affirma Soraya. J’étais juste en train de faire les dernières retouches.
— Tu n’as pas l’air d’être dans ton assiette.
— Non, je vais parfaitement bien. Ne vous en faites pas, ajouta-t-elle avec un sourire presque trop maîtrisé.
— Tu dors, ces temps-ci ? demanda alors Madame Kujo.
— Oui, un peu… dit-elle.
Un mensonge. Poli. Automatique.
Et Madame Kujo le comprend parfaitement.
— Tu n’en as pas l’air.
— C’est vrai que ces derniers temps, je ne dors pas assez… mais j’ai quand même du temps pour récupérer.
Madame Kujo ne répond pas. Elle s’éclipse un instant, puis revient avec une tasse fumante.
— Tiens, prends ça.
— Mais...
— Mes employés ont besoin de force pour bien réussir leur travail. Allez, prends-la.
Soraya, surprise, saisit la tasse chaude, l'air un peu ailleurs.
— Merci, Madame Kujo.
— Ne me remercie pas. C’est aussi mon rôle de prendre soin de vous, dit-elle avec douceur avant de s’éloigner.
Soraya la regarde disparaître dans l’atelier. Son regard revient vers le thé, puis vers son téléphone, posé juste à côté.
Écran noir.
Elle appuie. L’écran s’allume.
Une vidéo est en suggestion : "Naoki Fujimura - Acoustic Live // Night Sketch"
Juste en dessous : « Des fans spéculent sur sa chanson inspirée par une histoire vraie. »
Elle ne clique pas. Elle fixe l’écran comme on fixe une vitre qu’on n’a plus la force de traverser.
> Tu brilles… mais moi, je m’efface.
— Je me demande si les choses auraient pu être différentes, murmure-t-elle à mi-voix.
Elle ouvre l’application Messages. Ses doigts hésitent, puis tapent :
> « Salut… Je t’ai vu dans la vidéo. Tu as l’air bien. Je suis contente pour toi. »
Elle relit.
Efface tout.
Puis réécrit, plus neutre :
> « Comment va Tokyo ? »
Un instant d’hésitation. Puis elle appuie sur « envoyer ».
L’écran affiche : Message envoyé.
Pas lu. Pas de réponse.
Elle range son téléphone. Baisse la tête.
Et reprend la couture.
— Je m’en doutais… Franchement, à quoi est-ce que je m’attendais ?
Après-midi – Quartier Teramachi
Soraya sort pour livrer une commande.
Les rues sont animées, mais elle, elle marche vite. Comme si elle fuyait quelque chose.
— J’espère que tout va bien avec ta copine, Naoki… pensa-t-elle, le regard perdu.
Dans une vitrine de magasin, une télévision diffuse un extrait du groupe de Naoki. D’autres passants s’arrêtent pour regarder.
— Vous avez vu ? Ils sont vraiment doués, ce groupe ! s’exclame un homme.
— Oui, je les adore. Ils ont de super chansons… et y’a même des garçons mignons, ajoute une jeune fille en riant.
Soraya s’arrête, surprise.
— Oh… ! s’étonne-t-elle.
Le son est coupé. Mais elle reconnaît immédiatement son visage.
Naoki.
— C’est Naoki… ? répète-t-elle, bouche entrouverte.
Son sourire.
La foule qui l’entoure.
Il brille. Vraiment.
— Tu l’as vraiment fait, Naoki… Je te félicite, murmure-t-elle, sincèrement heureuse.
Dans la vitrine, son propre reflet se superpose à l’image.
Une silhouette pâle. Presque invisible à côté de lui.
> Je ne devrais pas… m’accrocher à ça.
Elle détourne les yeux. Reprend sa marche.
— De toute façon, il a déjà une copine. Et moi… je suis juste son amie. Et c’est comme ça.
— Oui. S’il a besoin de mon aide, je serai là. Comme une vraie amie le ferait.
Mais ses mains tremblent légèrement.
Elle avait beau se le répéter… elle ne pouvait pas étouffer ces sentiments indéfiniment.
Soir – Retour à l’atelier
Elle rentre enfin, dépose ses affaires, et se dirige vers l’arrière-salle.
— Eh Soraya !! s’écrie Sae en la voyant.
— Sae… Qu’est-ce que tu fais encore à l’atelier ?
— À ton avis ? Tu n’étais pas encore rentrée, alors je t’ai attendue !
— Tu n’étais pas obligée de le faire, tu sais.
— Mais qu’est-ce que tu me racontes encore là ? soupira-t-elle. Je te rappelle que je suis ton amie. Et en tant qu’amie, j’ai le devoir de te soutenir !
— C’est vraiment très gentil.
— Dis-moi un peu… Il t’a écrit, au moins ?
— De qui tu parles ?
— Allez, fais pas l’innocente. Tu sais parfaitement de qui je parle.
— Tu sais qu’il a une copine… Je ne peux quand même pas lui faire ça.
— Arrête, Soraya. Tu penses un peu à toi ? s’exclama Sae, peinée. Tu ne cesses de penser à son bonheur, et toi, tu t’éteins à cause d’un amour que tu ne peux même pas lui avouer.
— Mais non, tu te trompes. Je ne ressens rien pour lui. Naoki est juste mon ami.
— Tu parles… Tu essaies encore de te convaincre de ça.
— C’est juste que…
— Tu devrais vraiment lui parler ! s’écria-t-elle. Il a beau avoir une copine, ça ne veut pas dire qu’il finira sa vie avec elle. Réfléchis-y.
Soraya reste figée. Silencieuse.
Puis elle se lève.
— Je me fais vraiment du souci pour toi, conclut Sae. Tu devrais essayer de lui en parler.
Elle s’en va, laissant Soraya seule dans l’atelier.
Les mots de Sae résonnaient. Et même si elle ne voulait pas l’admettre… elle savait que c’était la vérité.
Nuit – Dans l’arrière-salle
Soraya ouvre doucement son carnet de croquis.
Une robe. À moitié dessinée.
— Je me souviens encore de ça, murmure-t-elle.
Une robe inspirée d’un souvenir.
Un jour où Naoki avait joué sous un cerisier en fleurs.
> — Qu’est-ce que tu fais, Soraya ?
— Ne regarde pas, c’est pas encore fini !
— Tu fais encore des croquis ?
— Oui, mais celui-là est spécial. Je te le montrerai une fois terminé.
— Tu peux au moins me dire ce que c’est !
— Désolée, tu n’en sauras rien ! dit-elle en lui tirant la langue.
Ce souvenir… elle l’avait gardé précieusement.
Sur le croquis, un tissu couleur pétale. Un col souple. Une jupe légère comme le vent.
Elle trace une ligne. Puis une autre.
Puis… elle s’arrête.
> À quoi ça sert ?
— De toute façon… il ne le verra jamais.
Elle referme brusquement le carnet.
— Si seulement je le lui avais dit…
Son poing se serre. Puis elle murmure :
— Non. Non… C’est absurde. C’est mieux ainsi.
Son téléphone vibre. Un message de Renji :
> “Toujours à Kyoto ?
Le groupe est un peu… agité. Tu nous manques.”
Elle hésite. Puis répond :
> “Je vais bien. J’avance. C’est juste… un peu calme ici.”
Mensonge. Encore un.
Elle envoie le message. Puis regarde l’atelier vide.
— En fait… vous me manquez terriblement, pense-t-elle.
Elle serre les bras autour d’elle, comme pour ne pas se dissoudre dans le silence.
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