Chapitre 5 — Le choc des silences

Le vent d’automne balayait les feuilles rouges et dorées dans les rues de Tokyo.

Le ciel était gris pâle, menaçant de pluie, et Yuki Soma, cane en main, avançait lentement sur le trottoir d’un quartier qu’elle ne connaissait pas bien.

Elle avait fini plus tôt ce jour-là.

Un professeur absent. Et pour une fois, aucune moquerie dans les couloirs. Elle avait décidé de rentrer en marchant. De prendre un chemin plus long, loin du métro, loin des rires acides.

Elle aimait ces rues silencieuses, bordées de cafés chics et de vitrines luxueuses. Elle n’y avait pas sa place, mais ici au moins, personne ne la connaissait.

Ses pas étaient lents, mais sûrs. Chaque fois que son pied gauche touchait le sol, une petite douleur traversait sa jambe. Elle l’ignorait. Comme toujours.

Elle s'arrêta un instant, près d'une grande fontaine en marbre, dans une placette calme. Des gens bien habillés passaient, sans la voir. Elle était invisible ici, et c’était reposant.

Yuki se pencha légèrement, posa la main sur le rebord de la fontaine, et inspira profondément.

— Tu prends toute la place.

Une voix. Basse. Lointaine.

Mais glaciale. Tranchante. Inattendue.

Elle se redressa et tourna la tête. Lentement.

Un homme était là. Grand. Élégant. Imposant.

Il se tenait droit, vêtu d’un long manteau noir tombant sur un pantalon sombre, chemise ouverte, cheveux blancs lissés en arrière.

Ses yeux lavande. Clairs. Pénétrants.

Des yeux qui ne la regardaient pas… ils l’analysaient. Et pourtant, pas un frisson ne traversa Yuki.

Elle le fixa droit dans les yeux.

— Il y a de la place pour deux, non ?

Sa voix était douce. Sincère. Mais ferme.

Elle n’avait pas haussé le ton, n’avait pas baissé les yeux. Elle ne tremblait pas.

Et Izana Kurokawa, l’homme le plus dangereux du pays, sentit quelque chose lui traverser le souffle.

Une fraction de seconde, rien qu’une seconde, son regard se vida de sa froideur.

Un battement d’air dans sa poitrine.

Puis il se reprit.

— T’es toujours aussi insolente ou c’est juste quand tu croises un inconnu ? demanda-t-il, moqueur.

Yuki haussa les épaules, s’appuya légèrement sur sa canne.

— Seulement quand l’inconnu croit qu’il peut intimider les gens avec un ton glacial. C’est ridicule.

Izana arqua un sourcil. Elle ne savait manifestement pas qui il était.

Et pour une raison qu’il n’arrivait pas à expliquer… il n’en fut pas vexé.

Il se rapprocha d’un pas. Elle ne recula pas.

Elle le regardait toujours. Ses grands yeux rouges rubis brillaient d’un éclat étrange. Calme. Vif. Fier.

Elle portait un masque sur le bas du visage, un pull trop large pour elle.

Mais ses yeux… ces yeux-là le déstabilisaient.

Il croisa les bras, son ton toujours bas, mais plus… curieux.

— Tu n’as pas peur ?

— De toi ? Non. Tu es juste un type grand avec un regard prétentieux. Rien de très effrayant.

Un rictus bref passa sur les lèvres d’Izana. Pas un sourire. Un frisson de surprise.

— Tu me parles comme si j’étais ton égal.

Yuki le regarda fixement.

— Parce que tu l’es. Jusqu’à preuve du contraire, tu marches sur deux jambes et tu respires de l’air comme moi. Donc... tu n’as rien de divin.

Un silence.

Le vent souffla. Les feuilles volèrent.

Et dans le silence de cette fontaine en pleine ville, Izana sentit une étincelle.

Il ne répondit pas tout de suite. Il l’observa. Longuement.

Puis :

— Quel est ton nom ?

— Yuki.

Elle ne demanda pas le sien. Il le remarqua. Encore un détail. Elle n’essayait pas de le séduire, ni de le flatter. Elle n’était pas impressionnée. Elle ne jouait aucun rôle.

— Et tu fais quoi dans cette partie de la ville, Yuki ?

— Je rentre chez moi. Par un détour. J’aime marcher.

— Malgré ta canne ?

— Justement à cause d’elle.

Izana resta muet. Il ne savait pas s’il devait la classer dans une catégorie… ou juste continuer à la regarder comme un mystère qu’il n’avait jamais vu.

— Tu es... étrange, dit-il enfin.

— Et toi, tu es agaçant.

Il la fixa, un long moment. Puis il souffla, bas, presque dans un murmure.

— Intéressant.

Elle le contourna doucement, reprenant sa marche, sans précipitation.

— Bonne soirée, Izana.

Il fronça les sourcils. Se retourna.

— Comment tu connais mon prénom ?

Elle ne se retourna pas.

— Tu viens de me le dire. Tu m’as dit : “Tu me parles comme si j’étais ton égal.”

Un petit sourire discret, invisible sous son masque, effleura ses lèvres.

Elle tourna au coin de la rue, et disparut.

Izana, lui, resta figé devant la fontaine, le regard encore posé sur l’endroit qu’elle venait de quitter.

Pour la première fois depuis longtemps…

quelqu’un lui avait parlé comme à un homme, et non comme à un roi.

Et il n’arrivait pas à s’en détacher.

Episodes
Episodes

27 épisodes mis à jour

Télécharger maintenant

Aimez-vous ce travail ? Téléchargez l'application et vos enregistrements de lecture ne seront pas perdus
Télécharger maintenant

Bien-être

Les nouveaux utilisateurs peuvent télécharger l'application pour débloquer 10 chapitres gratuitement.

Recevoir
NovelToon
Ouvrir la porte d'un autre monde
Veuillez télécharger l'application MangaToon pour plus d'opérations!