Ce Qui M'Appartient
Le monde de Léna était un monde d’ordre. Pas de place pour l’imprévu, encore moins pour le chaos. Elle l’avait connu autrefois, ce chaos, de trop près, trop fort. Elle l’avait enterré avec soin, à coups de routines bien rodées, de verres de vin rouge le soir, de silences bien choisis. Chaque geste, chaque choix avait été un rempart. Un quotidien millimétré pour éviter la faille.
À vingt-cinq ans, elle vivait seule dans un grand appartement au cœur de Lyon. Une forteresse de béton et de verre, baignée de lumière et de calme. Froide, en apparence. Mais chaque objet, chaque tableau, chaque teinte avait été choisi avec un soin presque maniaque. Comme elle, l’appartement était silencieux, géométrique, composé. Rien ne dépassait.
Elle travaillait dans une galerie d’art contemporain, lieu mouvant et bruyant qu’elle traversait avec une grâce distante. En parallèle, elle menait un projet technologique secret, presque organique, comme une vengeance contre le désordre du monde. Léna était discrète, mais redoutée. Son œil était sûr, chirurgical. Sa précision effrayait, sa façon de se déplacer sans jamais faire de bruit glaçait les bavards.
Elle plaisait, sans chercher à plaire. Une beauté froide, presque cruelle. Ses longs cheveux blonds toujours tirés en un chignon parfait. Ses lèvres, toujours un peu trop rouges. Ses yeux gris, perçants, opaques. Son parfum, lourd et boisé, traînait derrière elle comme une promesse tenue à moitié. Magnétique, intimidante. Rien de doux. Elle séduisait parfois, pour le plaisir, mais jamais pour combler un manque. L’amour, pensait-elle, était un piège pour les faibles. Un désordre de plus à dompter. Elle avait choisi le contrôle. Elle ne s’attachait pas.
Jusqu’à ce soir-là.
Un soir d’hiver. La galerie organisait un gala — événement clinquant qu’elle méprisait mais qu’elle orchestrait avec rigueur. Des toiles criardes, un buffet trop raffiné, des conversations superficielles portées par des verres de champagne trop pleins. Les mêmes regards, les mêmes sourires. Elle évoluait parmi eux comme un fantôme, droite, impeccable, seule.
Et lui.
Il n’était pas comme les autres.
Il ne parlait pas fort. Ne riait pas trop fort. Ne cherchait pas à être vu. Et pourtant, elle le vit. Dès l’instant où ses yeux se posèrent sur lui, Léna sut. Une sensation étrange, déstabilisante : elle le reconnut sans jamais l’avoir vu. Comme si une partie d’elle, bien enfouie, l’avait toujours attendu. Comme une mémoire ancienne, un écho.
Il s’approcha. Calme, assuré. Il portait un long manteau anthracite qui tombait parfaitement sur ses épaules larges. Dans sa main, une coupe. Dans ses yeux, quelque chose de tranquille et de perçant.
— Vous avez l’air ailleurs, murmura-t-il.
Elle tourna à peine la tête, le regarda sans sourire.
— Peut-être que je m’ennuie.
Un silence, court mais dense.
— Ou peut-être que vous n’avez pas encore trouvé ce que vous cherchez.
Il ne lui demanda pas son nom. Il ne dit pas le sien. Elle n’en avait pas besoin. Quelque chose venait de basculer. Un fil invisible venait d’être tendu entre eux, mince mais vibrant. Elle le sentit. Il tirerait bientôt. Et elle ne savait pas encore si elle résisterait.
Mais elle ne détourna pas les yeux.
Pas cette fois.
***Téléchargez NovelToon pour profiter d'une meilleure expérience de lecture !***
5 épisodes mis à jour
Comments
Aliya 2
Je suis déjà fan
2025-07-02
1