Le trône était à nouveau occupé, mais l’éclat du royaume restait terni par l’ombre de la guerre. Aelstrom avait retrouvé son apparence normale, abandonnant l’aura draconique de la bataille. Ses cheveux, longs et argentés, tombaient élégamment dans son dos, et ses yeux ambre brillaient d’un éclat calme mais impénétrable. Pourtant, derrière cette allure impériale, il portait un fardeau dont personne ne soupçonnait l’ampleur.
Il s’entraînait chaque jour sans relâche. À l’aube, alors que la capitale s’éveillait lentement, le roi descendait dans l’arène d’entraînement du palais. Le bruit des lames, des pas martelant le sol et des souffles hachés devenait une musique familière. Il affrontait des soldats d’élite, testait les jeunes recrues, corrigeait les gestes, toujours silencieux, concentré, implacable. On disait qu’il dormait à peine. Qu’il ne mangeait que par nécessité. Qu’il évitait toute festivité.
En privé, le roi restait distant. Il n’avait pas encore convoqué de conseil politique, et cela inquiétait les hauts dignitaires. Les demandes s’accumulaient. Les provinces réclamaient davantage d’autonomie, les seigneurs exigeaient des réparations, les alliés voulaient des garanties. Mais Aelstrom ne réagissait pas, comme s’il attendait quelque chose — ou quelqu’un.
Car certains soirs, il quittait discrètement le palais, seul, sans escorte. Il s’éloignait de la capitale, franchissait les forêts, jusqu’à une vallée cachée où résidait encore sa mère. Là, auprès d’un grand arbres protégé par de puissants enchantements, reposait Ilmarion. Toujours immobile, toujours plongé dans ce sommeil ancestral : l’Anzara.
Aelstrom s’asseyait près de lui, le regard posé sur le visage paisible de l’elfe. Il ne parlait pas. Il se contentait d’être là, parfois des heures entières, jusqu’à ce que le vent du soir lui rappelle ses devoirs de roi. Alors seulement, il se levait, posait une dernière fois sa main sur celle d’Ilmarion, et disparaissait dans la nuit.
Personne ne savait ce qu’était devenu le prince elfe. Les rumeurs allaient bon train. Certains pensaient qu’il avait succombé à ses blessures après la bataille. D’autres disaient qu’il avait été enlevé, ou qu’il avait choisi l’exil pour échapper aux responsabilités. Mais aucun n’osait poser la question au roi. Le regard d’Aelstrom suffisait à faire taire les plus audacieux.
La vérité, pourtant, avait été confiée à une seule personne.
Elaria.
Lors de la dernière visite qu’elle avait rendue à la capitale, Aelstrom l’avait fait venir en privé dans ses appartements. Là, sans cérémonie, il lui avait révélé ce que tous ignoraient : Ilmarion était tombé en Anzara, un sommeil profond et sacré, d’où nul ne pouvait le tirer avant le temps voulu. La jeune femme, forte de caractère mais au cœur tendre, avait serré les poings, luttant pour ne pas pleurer.
— Il reviendra, avait-elle murmuré. Je le sens.
Aelstrom avait hoché la tête, les traits fermes.
— Oui. Et ce jour-là, je serai prêt.
Depuis, Elaria gardait le secret, fidèle à la confiance du roi.
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Dans la salle du conseil, les tensions montaient. Le silence du roi devenait une source d’agitation.
— Nous avons besoin d’un traité avec les royaumes du Sud, gronda le chancelier Armin. Et les ressources de l’Est doivent être réparties ! Le peuple commence à murmurer, Majesté !
Aelstrom, debout devant la large carte du royaume, fit lentement volte-face. Son regard d’ambre balaya l’assemblée.
— Vous voulez des traités ? Des ressources ? Vous les aurez. Mais le cœur de ce royaume n’est pas politique. C’est sa mémoire. Et cette mémoire est encore en deuil. Tant que les cendres de nos morts n’auront pas refroidi, je ne danserai pas avec les diplomates.
Un silence glacé s’abattit sur la salle.
— Faites ce qu’il faut. Mais souvenez-vous : si vous jouez à reconstruire ce royaume pour votre gloire… je vous arracherai ces fondations de mes propres mains.
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La rumeur de ses paroles fit le tour du royaume. Certains y virent la preuve d’un roi déterminé à reconstruire sur des bases solides. D’autres y lurent le symptôme d’un souverain consumé par la perte, incapable de gouverner. Mais nul n’osa s’opposer frontalement à lui.
Car malgré son silence, Aelstrom restait le Roi-Dragon. Le seul à tenir en respect des forces qui dépassaient la compréhension des mortels.
Et chaque jour, il continuait de se battre. Contre l’instabilité politique, contre les ambitions de ses pairs… et contre l’attente qui le rongeait de l’intérieur.
Car dans un sanctuaire, loin des regards, Ilmarion dormait toujours.
Et Aelstrom, inlassablement, attendait son réveil.
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