Le silence régnait dans la Forêt des Esprits. Seuls les murmures des feuilles et les chants cristallins des rivières venaient troubler la quiétude de cet ancien sanctuaire. Aelstrom tenait toujours Ilmarion contre lui, les bras tremblants sous le poids de la douleur plus que celui du corps. Le souffle de vie, transmis par la bouche dans un geste empreint d’un amour silencieux, s’était fait. Ilmarion avait légèrement réagi — un frisson, une vibration d’âme presque imperceptible. Mais ses paupières ne s’étaient pas ouvertes. Son corps restait inerte, figé comme une statue d’ivoire.
La mère d’Aelstrom, l’Esprit Primordial de la Forêt, s’approcha. Ses ailes scintillantes s’étaient repliées doucement derrière elle, et son regard portait toute la sagesse du monde ancien. Sa voix douce mais ferme perça le silence :
— Il a répondu… mais le prix était lourd.
Aelstrom releva la tête, son regard doré implorant une réponse.
— Il est vivant, Aelstrom. Tu l’as sauvé, mais il est tombé en Anzara.
Le roi fronça les sourcils, murmurant ce nom comme une sentence.
— Anzara… Le Sommeil Profond.
L’Esprit acquiesça.
— Seuls ceux qui frôlent la mort et dont l’âme refuse encore de partir y sombrent. Ce sommeil peut durer des années, des siècles même. Le temps n’a plus d’emprise sur lui désormais.
Aelstrom baissa les yeux vers le visage paisible d’Ilmarion. Il était magnifique, comme figé dans une éternité de lumière. Aucune douleur ne marquait ses traits. Ses ailes arrachées avaient disparu, remplacées par un voile d’énergie douce, presque imperceptible. Il ressemblait à un être des étoiles, entre la vie et le néant.
— Il est trop tôt pour toi de rester ici, ajouta sa mère. Ton peuple a besoin de toi, mon fils. Et lui… il a besoin de repos.
Aelstrom serra un instant Ilmarion contre lui, puis le déposa avec la plus grande délicatesse sur le lit de feuilles que les esprits avaient préparé. Il resta agenouillé à ses côtés, le front contre le sien. Sa voix, à peine un souffle, s’échappa entre ses lèvres.
— Reviens-moi, un jour… je t’attendrai. Aussi longtemps qu’il le faudra.
Puis il se leva. Son regard croisa celui de sa mère, et elle posa une main sur sa joue.
— Tu es né de moi, mais tu es aussi l’enfant du feu et du combat. Tu as accompli ton devoir, mon fils. Maintenant, tiens ta promesse.
Aelstrom déploya lentement ses ailes de dragon, ces ailes qu’il avait tant de fois refusé d’utiliser. Elles étaient magnifiques, faites d’or et de flammes, puissantes et imposantes. Les esprits autour s’inclinèrent en silence, reconnaissant en lui plus que le roi des humains : un héritier des dragons, un être né d’un ancien pacte oublié.
Il prit un dernier regard vers Ilmarion. Son cœur se serra, mais il ne laissa pas une larme tomber. Le roi devait rester fort. Pour lui. Pour eux.
Puis il s’envola.
Le ciel s’ouvrit à lui comme s’il avait été longtemps attendu. Les vents le portèrent au-dessus des cimes argentées, traversant les brumes magiques de la Forêt des Esprits, vers les terres ravagées par la guerre.
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Pendant ce temps, dans le camp elfe, les frères et sœurs d’Ilmarion pleuraient leur aîné. Kaelen tenait Naelia contre lui, et Aerys fixait le ciel, les poings serrés. Personne ne disait mot. Même la nature semblait s’être tue en hommage à leur prince.
Quand Aelstrom revint au palais, les gardes s’agenouillèrent sur son passage. Les généraux baissèrent les yeux. Le peuple s’était rassemblé, tremblant d’inquiétude et d’espoir mêlés.
Il atterrit lentement, et lorsqu’il replia ses ailes, un silence sacré se fit.
Il leva les yeux vers les siens et dit d’une voix grave, brûlante de l’éclat d’un serment :
— La guerre est finie. Le Dormant et Varkhan sont tombés. À présent, nous devons reconstruire. Honorer les morts. Et préparer l’avenir.
Son regard balaya la foule. Personne ne parla. Puis, une main se leva. Une voix s’éleva, tremblante :
— Vive le roi !
D’autres suivirent.
— Vive le roi Aelstrom !
— Gloire à Ilmarion, prince de lumière !
Les acclamations remplirent le ciel. Mais Aelstrom n’éprouvait aucun triomphe. Il n’y avait que ce vide dans sa poitrine, cette absence brûlante qu’aucune victoire ne pouvait combler.
Il releva la tête, les yeux brillants d’un éclat ancien.
Et dans son cœur, une seule promesse résonnait :
Je t’attendrai. Aussi longtemps qu’il le faudra.
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