Luc n’avait pas vraiment compris pourquoi Adrien l’avait traîné jusqu’à la pharmacie. Il savait que son ami voulait l'aider à se remettre de sa gueule de bois après la soirée désastreuse à la boîte de nuit, mais il avait l'impression qu'il y avait un sous-entendu qu'il ne saisissait pas surtout que cette fois-ci il avait beaucoup insisté pour qu'il soit sobre. Adrien était toujours à l’affût de ces moments où Luc perdait pied, et il avait visiblement prévu de l’éloigner de ses pensées sombres, mais Luc n’était toujours pas certain du but de cette sortie.
Ils arrivèrent dans une petite pharmacie du coin. Adrien semblait concentré, presque pressé, tandis que Luc traînait des pieds, encore noyé dans les images qui hantaient son esprit. Tout ce qu’il voulait, c’était un peu de tranquillité, mais il savait que son ami ne lui laisserait pas de répit. Adrien, d'un geste fluide, se dirigea vers les rayons des médicaments, feignant de chercher des pilules pour soulager la douleur de Luc. Mais Luc, dans son esprit embrouillé, n’arrivait plus à se concentrer sur autre chose que les souvenirs de Nox.
Il balaya la pièce du regard, observant distraitement les étagères bien rangées, les boîtes de médicaments, les produits pharmaceutiques étalés. Et puis, quelque chose attira son attention, un détail qui fit battre son cœur plus vite. C’était lui. C'était bien Nox.
Luc se figea, ses yeux se posant sur une silhouette familière. Le jeune homme était en train de discuter tranquillement avec le pharmacien, un sourire timide sur son visage. Ses cheveux sombres étaient toujours là, encadrant un visage qu’il n’aurait jamais pu oublier. Mais un détail, un détail qui frappait comme une gifle, ne lui échappa pas : Nox tenait une canne blanche.
Le monde de Luc vacilla. Non… Non, ce n’était pas possible. Nox… aveugle ? Il sentit une vague de panique l’envahir, et un vertige de confusion le submergea. C’était trop. Trop pour lui. Comment ? Pourquoi ? Luc sentit son souffle se couper, son cœur s’emballer.
"Adrien..." dit-il d’une voix presque inaudible, mais son ami, toujours aussi observateur, l’avait déjà remarqué. Il se tourna vers lui, son regard perçant cherchant des explications.
"Tu sais ce qu’il te reste à faire," répondit Adrien en le fixant droit dans les yeux. "Respire. Prends une grande inspiration. Pas la peine de courir après lui comme un psychopathe."
Luc, tout de suite désorienté, passa une main nerveuse sur sa nuque. Il ne savait plus quoi faire. Que devait-il dire ? Que devait-il faire dans cette situation où le passé semblait ressurgir comme un monstre du fond de l’abîme ? Il avait tant espéré retrouver Nox, mais l’idée qu’il soit aveugle le bouleversait profondément. Cela changeait tout. Nox… aveugle. C’était impossible.
Adrien, en voyant la panique dans le regard de Luc, poussa un soupir d’exaspération, mais il savait aussi que son ami n’était pas dans son état normal. "Allez, calme-toi. On va juste parler un peu," dit-il d’un ton plus doux, avant de se diriger vers le jeune homme, décidé à faire le premier pas.
Luc hésita. Il aurait voulu s’éloigner, disparaître dans la foule, mais quelque chose le poussait à rester. Il devait savoir. Il devait savoir ce qui s’était passé. Comment Nox avait-il changé ? Pourquoi était-il devenu aveugle ?
Adrien s’approcha donc d'Hely, le nom qu’il avait appris en discutant avec le pharmacien. Ce n’était pas un nom qu’il avait entendu dans les histoires de Luc, mais Adrien savait que la réalité de chaque individu avait ses propres secrets. Hely tourna la tête et observa Adrien, un peu surpris par cette approche aussi directe. Mais il sembla immédiatement à l’aise, et un sourire timide s’afficha sur ses lèvres.
"Salut, je m'appelle Adrien, et mon ami ici, Luc, est un véritable artiste. Il adore faire des portraits et il aimerait beaucoup dessiner le vôtre, si cela ne vous dérange pas. Nous sommes à l’université du coin," expliqua Adrien, avec un sourire, tout en lançant un coup d'œil furtif à Luc.
Luc, rouge de confusion et de malaise, se contenta de donner un léger coup de poing sur le bras de son ami. "Adrien !" s’écria-t-il, gêné par l’impulsivité de son ami. "Ce n'est pas nécessaire…"
Mais Hely ne sembla pas rebuté. Au contraire, il réfléchit sérieusement à la proposition d'Adrien avant de hocher lentement la tête.
"Eh bien… Pourquoi pas ?" répondit-il après un instant. "Je n'ai pas grand-chose à faire aujourd’hui de toute façon, et si cela peut aider. C’est un peu… étrange, mais pourquoi pas."
Luc, déstabilisé, sentit une vague de soulagement l’envahir. C’était comme si, pour un instant, il retrouvait un peu de calme au milieu de la tempête qui secouait son esprit. Il avait l’impression de remonter à la surface, de pouvoir enfin respirer après un long moment sous l’eau, englouti par ses propres peurs et ses regrets. Peut-être que tout cela allait finalement avoir un sens. Peut-être que Nox… Nox n’avait pas tout changé.
Adrien échangea un regard rapide avec Luc, comme pour vérifier que tout allait bien. "Tu vois ? Ce n’est pas si compliqué, non ?" dit-il d’un ton plus léger, tout en se dirigeant vers le comptoir pour régler la note.
Luc hocha la tête sans vraiment comprendre ce qu’il se passait. Mais il était trop perturbé pour se concentrer sur autre chose. Il observa Hely de plus près, cherchant des indices, des détails qui pourraient lui permettre de comprendre ce qui s’était passé avec Nox. Mais Hely, malgré l’évidence de sa canne, semblait aussi calme et serein qu’il l’avait toujours été.
"Quand et où tu veux qu’on se retrouve pour ce portrait ?" demanda Luc, sa voix faible, mais remplie d'une volonté nouvelle.
Hely sourit à nouveau, un sourire qui semblait à la fois heureux et un peu timide. "On peut se retrouver à l’université, quand ça vous arrange. J’ai pas d’emploi du temps bien chargé et mon grand frère y est aussi."
Luc hocha la tête, sa tête bourdonner de pensées contradictoires. C’était Nox. C’était bien Nox. Mais ce Nox était un autre Nox. Il avait une famille et semblait plus heureux et serein.
Leurs échanges se firent plus discrets alors que Luc se perdait dans ses réflexions. Finalement, Hely se leva, remercia le pharmacien d’un signe de tête et se dirigea vers la sortie, la canne frappant le sol dans un rythme lent et mesuré.
Luc resta là, figé dans la même position, avant de se tourner lentement vers Adrien. "Je dois le voir. Demain. Il faut que je le voie encore," dit-il d’une voix ferme, mais tremblante d’une émotion qu’il n’arrivait pas à décrire.
Adrien ne répondit rien, mais son regard en disait long. Luc était déterminé, et rien ni personne ne pouvait l’arrêter.
Mais pour la première fois depuis longtemps, il avait l'impression que quelque chose était possible. Peut-être que Nox, malgré tout, n'était pas une ombre fugitive. Peut-être que, cette fois, il pourrait enfin reconstruire ce qui s'était brisé.
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