Chapitre 3 : Dans les dessins de l'âme

Adrien gara la voiture devant l’immeuble moderne et élégant où vivait Luc, un complexe résidentiel de luxe au centre-ville. Les façades en verre et en acier reflétaient les lumières de la ville, et l’ambiance était sobrement chic. Adrien jeta un coup d’œil à son ami, toujours endormi sur le siège passager, la tête penchée contre la vitre. Luc avait l’air serein, mais Adrien savait que cette tranquillité était trompeuse. Sous son calme apparent se cachaient des tourments qu’il ne pouvait ignorer.

"Tu es vraiment un cas désespéré," murmura Adrien en secouant la tête, à la fois irrité et bienveillant.

Il descendit de la voiture et ouvrit la portière du côté passager. Luc grogna légèrement lorsqu’il essaya de le réveiller pour l’aider à sortir de la voiture. Adrien lui tendit un bras, le hissant maladroitement contre lui. Luc était lourd, comme s'il était déjà alourdi par ses propres pensées. Il réussit enfin à l’entraîner hors de la voiture et à le mener jusqu'à l’entrée de l’immeuble.

La porte en verre automatique s’ouvrit d’elle-même à leur approche. Adrien souffla en voyant le hall d’entrée moderne et spacieux : un grand espace blanc avec des finitions de marbre et des éclairages tamisés. L’architecture de l’immeuble était épurée, avec des touches de bois et de métal qui donnaient à l’endroit une atmosphère à la fois intime et haut de gamme. Un portier discret se leva derrière son comptoir, mais Adrien n’eut pas besoin de s’arrêter, il se contenta de hocher la tête en passant.

Luc vivait ici, dans un environnement luxueux, une récompense d'années de travail acharné. Et pourtant, en cet instant, son appartement semblait vide, comme s’il était piégé dans un monde sans vie.

Une fois devant la porte de Luc, Adrien fouilla dans ses poches à la recherche des clés. Il les trouva finalement et, après avoir ouvert la porte, le fit entrer dans l’appartement.

L'intérieur était tout aussi impressionnant que l'immeuble lui-même. De larges fenêtres laissaient entrer la lumière naturelle, illuminant les murs aux tons clairs. Le mobilier design, moderne mais confortable, occupait l’espace avec une certaine élégance discrète. Mais ce qui frappa le plus Adrien en entrant, ce fut la quantité incroyable de dessins qui occupaient les murs.

Les portraits étaient partout. Pas quelques dessins ici et là, mais des centaines, comme un flot ininterrompu de créations sur des papiers de tailles variées, encadrés et accrochés aux murs, certains posés sur des chevalets, d'autres même fixés sur des panneaux mobiles. Chaque visage qu’il apercevait était celui de Nox.

Adrien s’approcha d’un dessin accroché près de la fenêtre et se perdit un instant dans les détails. Les traits étaient si fins, si délicats, qu’on aurait pu croire que Luc avait passé une éternité à les perfectionner. Le visage de Nox semblait vivant sous la main de Luc, chaque ombre parfaitement placée, chaque ligne du visage, chaque mèche de cheveux capturées avec une intensité presque dérangeante.

Les croquis, les esquisses, les portraits à l’encre, tous se succédaient. Certains semblaient presque irréels, comme si Luc avait tenté de rendre visible la lumière dans les yeux de Nox. D'autres étaient plus sombres, les contours plus marqués, presque violents. Mais tous avaient un point commun : l'obsession.

Il se tourna vers le lit où Luc était désormais allongé, toujours profondément endormi. Adrien s'approcha lentement et déposa son ami sur le matelas. Luc semblait si paisible dans son sommeil, comme un enfant plongé dans un rêve profond.

Adrien s’éloigna du lit et commença à examiner les dessins autour de lui. Il attrapa un carnet posé sur une table en verre, un carnet qui semblait plus personnel que les autres. En le feuilletant, il tomba sur des pages remplies de croquis détaillant minutieusement le visage de Nox, accompagné de notes écrites à la hâte :

La courbure de ses lèvres. Ne pas oublier le grain sous l'œil gauche.

Ses yeux sont plus perçants que tout le reste. Mais il ne regard jamais vraiment les gens dans les yeux.

Il sent la vanille...

Chaque page semblait représenter une nouvelle tentative de capturer une essence que Luc semblait redouter de perdre. Comme si chaque portrait était un ancrage, une manière pour lui de ne pas oublier le moindre détail, de conserver le souvenir de ce visage.

"Luc…" murmura Adrien, abasourdi. "Tu t’enfermes dedans. C’est de l’obsession."

Il déposa doucement le carnet et se dirigea vers la cuisine pour trouver de quoi soulager la gueule de bois de son ami. À son grand désarroi, il se rendit vite compte que la boîte de médicaments était vide.

"Évidemment…" grogna-t-il en secouant la tête. Il se tourna alors vers l’armoire à pharmacie, mais celle-ci était également vide. Un soupir de frustration s'échappa de ses lèvres. "Tu es vraiment une tête de mule, Luc."

...****************...

Adrien se rendit rapidement dans la pharmacie la plus proche. L’air frais de la rue lui fit un peu de bien, mais la tension dans son estomac ne se dissipa pas. Il s’empressa de trouver les médicaments nécessaires, parcourant les allées rapidement. Il n’avait pas envie de traîner, surtout avec Luc dans cet état.

En sortant des rayons, il percutait quelqu'un. Il se tourna précipitamment.

"Pardon," dit Adrien.

Un jeune homme, un peu moins âgé que Luc, tenait une canne de malvoyant, ses cheveux noirs légèrement ondulés tombant autour de son visage fin. Son manteau sombre contrastait avec la lumière de la pharmacie. Adrien ne put s'empêcher de le fixer un instant, une sensation étrange l’envahissant.

"Ce n’est rien," répondit le jeune homme en souriant poliment, avant de se diriger vers la porte.

Adrien resta figé, un étrange malaise l’envahissant. Il n’arrivait pas à expliquer pourquoi, mais quelque chose dans la posture de cet homme lui semblait terriblement familier. Alors qu’il tournait pour partir, Adrien se rendit compte.

C'était lui.

Le garçon des portraits.

Il prit une inspiration rapide et se précipita à l’extérieur, mais il était déjà trop tard. Le jeune homme était monté dans un bus, dont les portes se fermaient juste devant lui. Adrien se figea, son cœur battant la chamade.

"Non, non, non…" Il tenta de courir derrière le bus, mais il était déjà loin.

Adrien retourna alors à l'intérieur de la pharmacie, la tête pleine de pensées. Il se dirigea vers le comptoir et posa sa question à la pharmacienne.

"Excusez-moi, le jeune homme qui vient de sortir… vous le connaissez ?"

La pharmacienne sembla un peu surprise. "Oh, vous voulez parler de ce garçon avec la canne ? Oui, il vient souvent ici. Il s'appelle Hely. Il vient parfois seul, mais avant, il était toujours accompagné de son grand frère."

Adrien fronça légèrement les sourcils en entendant le prénom. "Son grand frère ? Vous savez où il va ?"

"Non, désolée, je ne sais pas où il vit exactement, mais il vient souvent ici pour prendre ses médicaments. Il m’a dit une fois que son frère était étudiant à l’université. Il ne vient plus avec lui, je crois que son frère est en période d’examen."

Adrien prit un moment pour digérer cette information, puis il se leva. "Merci beaucoup."

Il se précipita hors de la pharmacie, un plan se formant dans son esprit. Dimanche prochain, il trouverait un moyen d’emmener Luc ici, pour qu’il puisse enfin confirmer si ce garçon était bien Nox. Mais Adrien savait aussi que ce n’était pas une bonne idée de donner à Luc de faux espoirs. Si c’était bien lui, il fallait être sûr avant d’agir.

...****************...

De retour chez Luc, Adrien posa les médicaments sur la table de chevet. Il regarda son ami, allongé sur le lit, toujours inconscient.

"Tu es complètement obsédé, tu sais ça ?" murmura-t-il doucement, les yeux rivés sur le tas de portraits de Nox qui recouvraient les murs.

Il baissa les yeux et, dans un souffle, murmura : "J'espère vraiment ne pas me tromper."

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