chapitre 5: Les marques que la nuit trace

Les marques apparurent comme des lettres que son corps refusait de prononcer. Au début ce furent de petites choses, des gestes furtifs dans la nuit : la paume se crispe, le souffle qui saccade, la douleur qui redonne une forme au chaos intérieur. Élias n’en parlait jamais. Les bandages devinrent ses vêtements secrets ; il apprit à les cacher sous des manches trop longues et des sweats trop grands. La douleur physique n’était pas une solution — il le savait confusément — mais elle avait, pour quelques instants, la brutalité honnête d’un signal clair : ça existe, c’est là.

Chaque nouveau jour écrasait un peu plus sa capacité à s’endurer. Les rumeurs s’épaississaient ; à la cantine, on laissait une place vide à côté de lui comme une révérence moqueuse. Le monde lui refusait l’espace pour respirer. Il tentait pourtant d’agir normalement : prendre un bus, répondre en cours, sourire à un professeur. Tout cela demandait une dépense d’énergie que rien ne compensait.

Quand il s’automutilait, ce n’était jamais pour obtenir pitié ou attention. C’était un langage privé, maladroit et tragique, une tentative de maîtriser l’indicible. Après chaque geste, le sang — quand il y en avait — le ramenait au présent. Il comptait ensuite, dans sa tête, jusqu’à cent pour se calmer, pour forcer les battements du cœur à revenir dans une cadence moins affolée. Puis il nettoyait, pansait et reprenait son masque. Le soir, il griffonnait dans son carnet des phrases où la violence revenait sous forme d’images : des murs qui se refermaient, des mains qui n’en finissaient pas de lâcher.

Noah voyait parfois ces traces. Il ne posait pas de questions directes. Il s’approchait, regardait, puis fixait l’horizon comme si le monde extérieur avait la réponse. Parfois, quand Élias refusait toute aide, Noah restait simplement à côté, immobile, jusqu’à ce que la tornade intérieure se calme. Cela suffisait, parfois ; d’autres fois, cela ne servait à rien.

La douleur physique engendrait aussi des conséquences visibles : il perdait de la force, il avait sans cesse froid, il se repliait sur des habitudes d’isolement. Les médecins, les professeurs bien intentionnés ou les travailleurs sociaux ne parvenaient pas à percer le rempart que sa honte avait bâti. Il refusait souvent de consulter, craignant que l’on ouvre son corps pour en faire un spectacle. Le monde, une fois exposé, ne se contentait pas d’écouter : il jugeait.

Et pourtant, paradoxalement, c’est dans ces creux d’agonie que la parole se faisait plus franche, mais uniquement sur le papier. Le carnet noir devint un autre corps : plié, lourd, plein de ratures et de mots qu’il n’osait jamais lire à haute voix. Il y révélait des confessions plus nettes, des noms partiels, des phrases qui cherchaient un accusateur. À travers l’écriture, il essayait de nommer l’inacceptable ; mais nommer n’apportait pas la sécurité.

La nuit, il se levait parfois, marchait jusqu’à la fenêtre et regardait la ville. Il imaginait de petits gestes qui effaçaient tout — une fuite, un saut, un départ sans bruit. Chaque fois, quelque chose le retenait : la peur panique du vide, parfois l’idée d’une rage qui ne voulait pas mourir sans avoir frappé. Il ne savait pas encore si la conséquence serait une guérison lente, une destruction complète, ou une forme de monstruosité qu’il n’osait pas imaginer.

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