chapitre 4

Il s’appelait Samir. Chez lui, les murs semblaient garder les mots qu’on lui lançait : des phrases sèches, des reproches qu’on répétait comme on récitait une prière. À force d’être rendu petit, Samir avait appris à masquer son cœur sous des vêtements trop grands, à avaler la faim et la colère, à parler en phrases courtes pour ne pas provoquer. Les sourires qu’il offrait à l’extérieur étaient devenus des masques précis ; ils tenaient le temps d’un trajet, d’un cours, d’un regard.

La violence n’était pas toujours visible. Parfois, elle se tissait en retenue — interdiction de sortir, moqueries systématiques, privations savamment distribuées. Parfois, elle éclatait en gestes qui laissaient des marques que personne ne voulait voir. Ses nuits étaient longues à cause d’un bruit : le poids des choses qu’il gardait pour lui. Il écrivait des phrases sur des bouts de papier, non pas pour les lire, mais pour savoir qu’il existait encore dans un monde où on lui refusait le nom.

‎Un soir d’hiver, tout sembla s’aligner pour rendre l’air plus lourd. La maison vibrait d’un silence imposé ; les voix qui ordonnaient étaient parties plus tôt que d’habitude. Samir prit un sac, y glissa quelques objets, et une lettre — courte, sans accusation, juste des fragments de mémoire et d’amour furtif qu’il n’avait jamais pu dire à voix haute. Il marcha sans destination précise, seulement la sensation froide que partir serait la manière la plus nette d’arrêter la machine.

‎Il trouva un ancien immeuble abandonné, ses marches couvertes de poussière, son palier comme une pause dans la ville. Il monta jusqu’au toit. Le vent y mordait plus fort, emportant avec lui les souvenirs de chaleur. Assis au bord, il laissa ses pensées dérouler leur fil, lourdes et précises. Il n’y avait pas de drame cinématographique, juste la décision qui s’installait, calme et implacable.

‎Pourtant, dans le café en bas, une femme travailliant de nuit — Sarah — remarqua quelqu’un assis sur le toit du bâtiment d’en face. Ce n’était pas un regard héroïque mais un réflexe : elle connaissait la pluie qui tombait sur les épaules des personnes seules. Elle appela un ami, prit la vieille échelle du dépôt, et monta. Elle n’avait pas de plan, seulement une inquiétude qui l’animait. Quand elle arriva au toit, elle ne dit rien d’autre que « Tu n’es pas obligé d’être seul ce soir. » Sa voix était basse, sans jugement, comme une couverture posée sans fracas.

‎Samir ferma les yeux, surpris par la manière dont la phrase entra par une fissure qu’il avait oubliée d’endurcir. Ce qu’elle proposa ensuite ne fut pas un sauvetage spectaculaire : ce fut un partage maladroit de cigarettes froides, de mots qui n’avaient pas à expliquer la blessure, de silences tenus côte à côte. Sarah ne promettait pas de résoudre ce qui était cassé. Elle proposait une présence — une présence qui ne cherchait pas à effacer la douleur mais à la porter un peu moins seule.

‎Ils descendirent ensemble. Sarah appela une amie qui connaissait un petit groupe d’aide locale ; aucune démarche administrative lourde, seulement la promesse d’un lieu où l’on buvait du thé et l’on disait les choses sans être corrigé. Samir accepta parce que, pour la première fois depuis longtemps, il sentit qu’il pouvait mettre un mot sur la fatigue qui le dévorait et le poser devant quelqu’un d’autre.

‎Les semaines qui suivirent furent un labyrinthe. Certains jours, il se levait et n’arrivait pas à croire qu’il avait accepté d’aller au groupe. D’autres jours, la colère revenait en vagues, éclaboussant les progrès. Il y eut des visites familiales qui finirent en cris et des appels où la voix paternelle se faisait plus menaçante. Mais il y eut aussi des gestes minuscules et étrangement décisifs : un bénévole qui l’accompagnait à une consultation, une amie qui le récupérait quand la maison devenait trop lourde, un médicament prescrit pour apaiser les nuits.

‎L’histoire de Samir ne se referma jamais de façon nette. La douleur resta une compagne qui revenait parfois sans prévenir. Mais cette nuit sur le toit devint un croisement : il aurait pu être la fin, et il fut le moment où quelqu’un a choisi de regarder plutôt que de détourner les yeux. Avec le temps, il apprit à poser ses mots, à réclamer des limites, à reconnaître les signes qui annonçaient la chute. Il ne devint pas invincible — personne ne l’est — mais il trouva un fragile réseau qui rendait la survie possible.

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