Le crépuscule baignait la vallée d’une lumière sanglante lorsque Kaelan atteignit enfin la lisière de la Forêt de Lyr’Nael. Ses pas étaient lourds, sa cape en lambeaux, ses pensées embrouillées par des jours de fuite, de douleur et de solitude. Chaque pas le rapprochait du cœur d’un territoire ancien, oublié de la plupart des hommes, hanté par des murmures de pactes anciens et de puissances oubliées.
La Forêt de Lyr’Nael. Là où, disait-on, les lois du monde n’avaient plus cours. Les bêtes y parlaient avec la voix des morts, et les arbres se souvenaient du sang des rois.
Kaelan n’avait qu’un nom : Lysara. Murmuré dans un songe fiévreux par un ancien prêtre avant qu’il ne succombe à la folie. Une entité, une créature magique, qui pourrait lui révéler les secrets liés à la malédiction. Mais l’approcher revenait à franchir une limite dangereuse — celle entre l’homme et l’obscur.
Il pénétra dans la forêt au moment exact où le soleil s’éteignait. Une fraîcheur surnaturelle tomba sur lui comme un linceul. Les arbres, noirs et noueux, semblaient se pencher, épier ses mouvements. Chaque craquement sous ses bottes résonnait comme un glas. La lumière diminuait sans logique naturelle — l’ombre s’imposait, envahissante, consciente.
Puis le silence fut brisé. Une voix douce, éthérée, presque enfantine, mais chargée d’un pouvoir ancien.
— Tu as traversé les terres mortes, les champs de larmes, et le seuil de l’interdit. Pourquoi viens-tu troubler le sommeil des oubliés, sang royal ?
Kaelan s’arrêta net. Autour de lui, la brume se souleva, et une silhouette apparut. D’abord floue, puis nette. Une femme à la beauté irréelle, les cheveux flottant comme dans l’eau, les yeux brillants d’un éclat lunaire, vêtue d’une robe tissée de brume et de lumière. Lysara.
— Je cherche des réponses, dit-il, sa voix plus rauque qu’il ne l’aurait voulu.
— Tous viennent chercher, peu repartent. Et ceux qui repartent... changent.
Elle s’approcha lentement, chacun de ses pas semblant déformer la réalité elle-même. Un parfum de fleurs d’outre-monde l’enveloppa, enivrant, déroutant.
— Tu portes la souillure du trône. Le sang ancien. Le fardeau des Rois de Sang. Pourquoi crois-tu que je t’aiderai ?
Kaelan sentit sa gorge se serrer.
— Parce que je n’ai plus d’armes. Plus d’armée. Seulement une cause. Si la malédiction n’est pas brisée, Elyndor sombrera. Et avec lui… tout ce que tu protèges dans cette forêt.
Un silence pesant suivit. Puis un ricanement. Cristallin. Cruel.
— L’humanité pense toujours pouvoir marchander. Tu offres le salut de mon monde en échange de ton propre. Noble… ou stupide.
Kaelan sentit la colère monter, mais il se força à rester calme. Il savait qu’il marchait sur une ligne dangereuse. Il s’agenouilla, le regard baissé.
— Je suis prêt à faire un pacte.
Le vent se tut. Puis elle parla, plus grave, plus sérieusement :
— Alors écoute bien, Kaelan d’Elyndor. Je peux t’ouvrir la voie vers les vérités perdues. Je peux éveiller la mémoire du sang. Mais en retour, tu devras me donner ce que tu chéris le plus. Pas aujourd’hui. Mais au moment où je l’exigerai.
— Et si je refuse, ce jour-là ?
— Tu ne le feras pas. Parce que ce que je te montrerai changera ta compréhension de ce monde. Et parce que tu n’auras plus rien d’autre à perdre.
Il hésita. Puis, lentement, prononça les mots.
— Je consens.
Elle s’approcha, posa sa main glacée contre son front. Une lueur bleu sombre traversa son esprit. Une magie ancienne, écrite en runes oubliées, s’insinua dans ses pensées. Il vit des images — des palais effondrés, des cris de douleur, un roi portant une couronne ensanglantée. Un pacte ancien. Une trahison divine.
Il chancela, faillit tomber, mais Lysara le retint.
— Tu as vu ? murmura-t-elle. Le pacte de Draemhar. Le premier roi d’Elyndor. Il a lié sa lignée à une puissance pour protéger son trône. Une magie de sang. Mais le prix… était une malédiction éternelle.
Kaelan haleta.
— On… peut… rompre ce lien ?
— Oui. Mais il te faudra l’artefact de Jorh'El — la Larme d’Éclipse. Elle dort dans les ruines de l’Œil du Monde. Protégée par une créature qui dévore les souvenirs. Et nul n’y survit sans guide.
— Tu me guideras ?
Elle pencha la tête. Son sourire n’était ni bienveillant ni cruel — seulement… ancien.
— Je t’ai déjà lié. Je suis ton ombre, désormais. Mais rappelle-toi, sang royal : l’ombre peut protéger… ou consumer.
Ils quittèrent la clairière quelques heures plus tard. Kaelan, encore tremblant, sentait la présence de Lysara comme un feu froid sous sa peau. Elle avançait à ses côtés, sans bruit, flottant presque. Il savait que le prix de son aide serait élevé, mais il n’avait plus le luxe de reculer.
Sur leur route vers l’Œil du Monde, ils traversèrent les terres mortes de Narn'Zul. C’est là que Kaelan aperçut une silhouette se faufiler dans les ombres. Par réflexe, il dégaina son épée.
— Qui va là ?
Un sifflement. Une flèche vint frapper le sol à quelques centimètres de son pied.
— Si j’avais voulu te tuer, tu serais déjà mort, répondit une voix féminine.
Maela. La guerrière rebelle. Vêtue d’une armure de cuir, les cheveux en bataille, elle émergea d’un rocher, l’arc toujours tendu.
— Tu es loin du palais, Prince. Et très mal accompagné.
Son regard se fixa sur Lysara, un mélange de défi et de crainte dans les yeux.
— Tu sais ce qu’elle est ?
— Elle m’aide.
— Ou te manipule. Ces créatures n’ont pas d’âme.
Lysara sourit.
— L’ironie, venant d’une descendante de l’homme qui a brisé le Pacte des Quatre Peuples. Ton sang est aussi souillé que le sien.
Kaelan leva les mains pour apaiser la tension.
— Assez ! Maela… j’ai besoin de toi aussi. La Larme d’Éclipse. L’Œil du Monde. Tu connais ces lieux ?
Elle hésita. Puis hocha la tête.
— Je connais l’entrée. Mais j’ai juré de ne jamais y retourner.
— Alors reviens pour ton peuple, pas pour moi.
Un silence.
— Très bien. Mais si elle trahit… je la tue.
Lysara rit.
— Si je trahis, ma chère… vous serez déjà poussière avant de comprendre pourquoi.
La nuit tomba. Leur campement se dressait au pied d’un ravin noir. Les étoiles étaient absentes. Autour du feu, les tensions persistaient. Kaelan sentait le poids des regards : la méfiance de Maela, la condescendance froide de Lysara, le doute en lui-même.
Il se leva, scrutant l’horizon.
— Demain, nous entrons dans les ruines. Ce que nous trouverons changera tout. Ou nous détruira.
Maela s’approcha, à voix basse :
— Tu leur fais trop confiance, Kaelan. À elle, surtout. Tu joues avec une magie que tu ne comprends pas.
Il la regarda, épuisé, mais déterminé.
— Et toi, tu ferais quoi ? Rester à regarder le royaume s’effondrer ? Attendre qu’un autre se sacrifie ?
Elle soupira.
— Je t’aiderai. Mais j’aurai toujours une lame prête à trancher sa gorge si elle te trahit.
Lysara, à l’écart, caressait une pierre gravée de runes. Elle murmura :
— Ils croient tous être libres… Jusqu’à ce que les chaînes se révèlent.
Fin du Chapitre 3
Dans le dernier instant, un hurlement venu des ruines fit trembler la terre. Pas un cri humain. Quelque chose s’éveillait. Quelque chose d’ancien… et de très, très affamé.
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