Chapitre 2 — L’Exil Inévitable

Le vent mordait la chair comme des crocs invisibles. La cape de Kaelan claquait dans la tempête, lourde de pluie et de sang séché. Il ne s’était pas retourné depuis qu’il avait franchi les portes du palais en flammes. Le regard figé, le cœur en lambeaux, il courait vers un avenir incertain, les échos de la trahison bourdonnant encore dans ses oreilles.

Chaque pas l’éloignait de la tombe ouverte de son père, du trône éclaté et du cri muet de son peuple. Il était le dernier sang royal encore en vie… du moins, pour l’instant. Car il sentait déjà la malédiction palpiter dans ses veines, comme un serpent s’enroulant lentement autour de son cœur.

La forêt de Nyr se dressait devant lui — vaste, obscure, pleine de murmures et de légendes oubliées. On disait que ceux qui y entraient sans bénédiction n’en ressortaient jamais. Kaelan n’avait ni bénédiction ni prière. Juste une dague royale, une bourse presque vide… et la voix mourante de son père lui ordonnant de survivre.

Les premières nuits furent les plus rudes. Il n’y avait pas de feu. La peur était son unique chaleur. Des yeux l’observaient depuis les arbres, brillants, inhumains. Mais Kaelan tenait bon. Il avait grandi avec l’épée et la stratégie, mais jamais avec la survie. Maintenant, il n’avait que ses instincts, et une rage sourde contre les dieux qui avaient condamné sa lignée.

Un soir, alors que la pluie cessait enfin, il s'effondra dans une clairière. Son corps tremblait de fatigue, ses membres alourdis par le froid. Il rêva de flammes. Du trône ensanglanté. D’un miroir brisé reflétant un visage qui n’était pas le sien, mais celui d’un roi ancien, les yeux vides, la bouche hurlante.

À son réveil, quelque chose avait changé.

Sur son bras gauche, là où une écorce l’avait griffé la veille, une marque sombre s’était formée. Un cercle brisé, parcouru de lignes comme des veines. Elle brûlait, sans blessure apparente. Kaelan sut, d’instinct, que c’était la première manifestation de la malédiction. Elle le traquait, et maintenant, elle le touchait.

Au sixième jour, il rencontra un vieil homme au bord d’une rivière. L’homme portait une cape rapiécée et un bâton tordu, mais ses yeux brillaient d’un feu ancien.

— Tu es perdu, jeune sang royal, dit-il sans se présenter. Et pourtant, tu marches droit vers ton destin.

Kaelan recula, la main sur sa dague.

— Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous mon nom ?

— Ce n’est pas ton nom que je connais, mais ton sang. Il hurle. Il réclame vengeance… ou rédemption. Et les bois de Nyr entendent ce cri.

Le vieillard leva une main, et la rivière s’apaisa, comme soumise.

— Je suis Elandor. Jadis mage du palais. Aujourd’hui, exilé par la peur de ton père.

Kaelan ouvrit de grands yeux. Ce nom… son père le mentionnait souvent, dans les récits de guerre contre les Mages du Sceau.

— Si vous étiez un traître, je vous tuerais.

— Et si j’étais ton dernier espoir, me tuerais-tu quand même ? répondit Elandor en souriant.

Un silence lourd s’installa.

— La malédiction, dit Kaelan d’une voix basse. Elle est réelle. Elle m’a touché.

Elandor hocha lentement la tête.

— Le Sang Royal est lié au Pacte du Trône. Un serment ancien passé entre les premiers rois et les dieux du Néant, pour obtenir pouvoir et victoire. Mais tout pacte a un prix… et celui-ci n’a jamais été payé.

— Quel est ce prix ?

— Le sang. Le tien. Celui de tous tes ancêtres. La lignée royale s’est nourrie de conquêtes et de mensonges, oubliant que le pouvoir vole ce qu’il donne. Le pacte réclame le cœur du dernier héritier.

Kaelan sentit un frisson courir le long de sa nuque.

— Je ne veux pas mourir.

— Alors trouve la source. Brise le cercle. Sinon, le royaume tombera, et toi avec.

Elandor traça un symbole dans la terre : un serpent se mordant la queue, entrelacé à une couronne.

— Va au-delà de la Forêt de Nyr. Là se trouve l’entrée vers l’ancien monde, là où les rois ont scellé leur serment. Mais prends garde, prince. Tous ceux qui ont tenté ce voyage n’en sont jamais revenus. Et certains… sont devenus autre chose.

Il tendit à Kaelan un petit cristal bleu sombre, qui pulsait au rythme d’un cœur battant.

— Ceci te guidera, si tu écoutes. Mais il ne pardonne pas l’hésitation.

Kaelan voyagea encore, à travers vallées dévastées, villages en ruine, champs de bataille figés dans le silence. Elyndor n’était déjà plus que l’ombre de lui-même. Des rumeurs circulaient sur un seigneur autoproclamé — Lord Varyn — rassemblant des armées parmi les ruines, prétendant restaurer l’ordre en éradiquant les vestiges royaux.

À chaque pas, Kaelan sentait le poids de son sang.

Un soir, il s’abrita dans une caverne battue par les vents. Il s’endormit en tenant le cristal d’Elandor, espérant trouver des réponses dans ses rêves.

Il fut transporté dans une salle obscure, où un trône d’os trônait au milieu d’un cercle de flammes. Une silhouette l’attendait.

— Tu viens enfin, Kaelan, murmura la voix.

Il reconnut le visage de son père… mais distordu, pâle, les yeux noirs comme la nuit.

— Père ?

— Non, dit la chose. Je suis ce qu’il est devenu… ce que tu deviendras.

Kaelan recula, le souffle court.

— Le sang te lie. Tu ne peux fuir ce que tu es.

— Je ne suis pas toi, hurla Kaelan. Je briserai la malédiction !

La créature éclata d’un rire rauque.

— Alors prépare-toi, héritier. Car la malédiction ne se brise pas… elle se transmet.

À son réveil, Kaelan n’était plus seul.

Une silhouette armée se tenait à l’entrée de la caverne, épée tirée.

— Tu respires encore. Mauvais signe pour moi, dit-elle d’une voix rauque.

La femme portait une armure de cuir marquée par les flammes. Ses yeux brillaient d’une colère froide.

— Qui es-tu ? demanda Kaelan en se redressant.

— Maela. Rebelle. Survivante. Tueuse de rois si nécessaire.

Kaelan leva les mains.

— Je ne suis pas ton ennemi.

Elle le fixa.

— Tu portes l’anneau royal. Tu es Kaelan.

Il acquiesça, lentement.

— Je n’ai plus de royaume. Je ne suis plus roi.

— Cela ne t’empêchera pas de mourir. Des centaines sont mortes à cause de cette lignée maudite.

Kaelan serra les poings.

— Je n’ai pas choisi ce sang. Mais je choisirai ce que j’en fais.

Un silence tendu. Puis Maela abaissa son épée.

— Tu cherches à comprendre la malédiction ? Tu n’y parviendras pas seul.

— Et tu veux m’aider ?

— Non, dit-elle. Mais je veux l’aider, elle, ajouta-t-elle en posant la main sur son ventre. Car cette guerre, cette corruption… doivent finir avant que la génération suivante n’y soit sacrifiée.

Kaelan comprit alors qu’elle portait la vie. Une vie au milieu de la mort.

Et pour la première fois depuis la chute du trône, il sentit autre chose que la douleur. Il sentit l’espoir.

La nuit tomba sur la caverne.

Kaelan et Maela restèrent assis près d’un feu fragile, les regards tournés vers les étoiles.

— Tu sais, dit-elle, il y a un vieux dicton dans mon village : le sang des rois coule, mais il nourrit les racines du renouveau.

— Peut-être que c’est à cela que je suis destiné… mourir pour que le royaume vive.

— Ou vivre pour que le royaume meure mieux, dit-elle en souriant tristement.

Ils se turent.

Puis Kaelan parla.

— Je vais trouver l’origine. Et si je dois plonger dans les ténèbres, je le ferai. Mais je reviendrai. Je jure sur mon sang que je reviendrai.

Maela tendit sa main, et il la serra.

L’exil prenait fin. La quête commençait.

Mais dans l’ombre des bois, une silhouette aux yeux multiples observait… et attendait.

Fin du Chapitre 2

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