Ulrich ouvrit les yeux dans un décor qui n'avait absolument aucun sens.
Le sol était fait de dalles de pixels flottants, comme s'ils étaient debout sur une mosaïque en train de s'effondrer. Le ciel — ou ce qui en tenait lieu — était un vaste rideau violet à pois géants qui clignotaient comme des ampoules en panne. Des statues molles de lapins à deux faces se tordaient dans tous les coins en riant, sans bouche visible.
— Non... non non non non, grogna-t-il. C'est encore pire qu'avant.
Aelita, à côté de lui, venait de récupérer ses esprits. Elle battit des cils, puis écarquilla les yeux.
— On est dans... la salle de spectacle du Couloir des Rires Déformés.
— C'est sensé être une salle de spectacle, ÇA ?!
Une voix tonitruante, caricaturale et amplifiée à l'excès, surgit du néant.
Elle avait la même énergie qu'un clown sous acide qui aurait gobé tous les scripts de show pour enfants en accéléré.
— MESDAMES ET MESSIEURS, ET TOUTES LES IDENTITÉS INTERSTICIELLES ENTRE LES DEUX! Bienvenue à votre Épreuve Numérique du Jour™! Aujourd'hui: affrontez vos rires les plus refoulés!
Rires gênants, rires nerveux, rires de façade! Ici, tout est une blague, même votre agonie!
Un rideau de confettis s'ouvrit brusquement, et une version grotesque d'Ulrich — en version cartoon avec des yeux en spirale et une tête immense — apparut sur scène. Il faisait des grimaces, riait comme un jeu télévisé des années 90, et se tordait dans tous les sens.
— Regarde-moi! dit la caricature avec une voix de canard. Je suis Ulrich, le samouraï bougon qui n'arrive même pas à dire à Yumi qu'il l'aime! BOUHOUHOU, QUEL GAG! AH AH AH!
Une foule invisible éclata d'un rire mécanique strident, comme un enregistrement trop compressé. Les sièges volants dans les airs claquaient d'eux-mêmes, comme s'ils applaudissaient avec frénésie.
Ulrich sentit la colère et la gêne monter d'un coup.
— Il se fout de moi?!
Aelita posa une main sur son bras.
— Calme-toi. Si tu réagis trop fort, il va s'alimenter de ça. Ce cirque veut qu'on perde le contrôle.
Mais déjà, une autre version d'Aelita surgissait sur scène. Elle était minuscule, avec une tête géante et une robe rose bonbon criarde. Elle tournait en rond en chantonnant avec une voix aiguë:
— Je suis la princesse de Lyoko! Mon papa a détruit la planète et j'envoie toujours tout le monde au casse-pipe pour me sauver! Mais c'est pas grave parce que j'ai des cheveux roses et que tout le monde m'aime! HA HA HA HA!
Ulrich serra les poings.
— Bon. Assez. Je le découpe ou on rigole jusqu'à ce que nos âmes explosent? Parce que je suis à deux doigts de...
Le sol s'ouvrit sous leurs pieds, les faisant tomber au centre de la scène. L'éclairage les mitrailla de projecteurs roses et verts, tandis qu'un carrousel en feu tournait dans le fond. Une armée de versions ridicules d'eux-mêmes avançait, tous en train de se moquer, rire, se plier de faux humour. L'un d'eux lançait des gâteaux à la crème. Un autre portait un t-shirt "Je suis un bug ambulant".
— ÉPREUVE ACTIVE: RÉAGISSEZ AVEC HUMOUR, OU PÉRISSEZ PAR LE RIRE. Indice: Ne surtout pas être drôle. Le public est capricieux.
— Ils se foutent de nous. C'est une épreuve de déconnexion de l'ego, murmura Aelita. Une torture par humiliation algorithmique.
— Donc si on rit, on perd?
— Non. Si on rit sincèrement... on gagne. Mais si on rit pour de faux, si on fait semblant, si on fuit le malaise... ça nous efface.
Ulrich leva les yeux. Un projecteur était braqué sur lui. Sa version ridicule s'approcha.
— Vas-y, Ulrich! Dis-nous une blague! Une bien bonne! Ou tu veux encore faire ton ado ténébreux? Allez, un sourire, un p'tit sourire!
Un silence pesant tomba.
Puis Ulrich inspira, haussa les épaules... et lâcha:
— D'accord. Pourquoi XANA n'a jamais trouvé l'amour?
Les clones s'arrêtèrent.
— Parce qu'il était... trop branché sur les mauvaises connexions.
Un petit rire. Puis deux. Puis un éclat, timide mais réel, dans le public invisible.
Aelita le regarda, bouche bée. Il haussa un sourcil.
— Ben quoi? Moi aussi je peux être cringe. C'est peut-être ça qu'ils veulent.
Elle sourit faiblement. Puis, s'avança et dit, d'un ton théâtral:
— Pourquoi Jérémie a mis un antivirus sur sa machine à café?
Ulrich répondit dans un demi-sourire:
— J'en sais rien.
— Parce qu'il voulait filtrer les bugs!
Le rire qui s'ensuivit secoua la scène. Un rire sincère. Réel. Pas le genre de rire moqueur, mais un rire libérateur, un peu absurde, un peu douloureux, mais vrai. Les clones commencèrent à trembler. Le décor fondit en confettis. Les sièges hurlèrent d'indignation en se dissolvant.
La voix du Cirque grinça dans les haut-parleurs:
— ...Inattendu. Non conforme. Déviance émotionnelle détectée. Réinitialisation.
— On a réussi? demanda Ulrich.
— Pour aujourd'hui, répondit Aelita. Mais demain... c'est une autre blague.
Ils furent aspirés par un tunnel en spirale de couleurs vomitives.
Et dans un coin du Cirque, une silhouette de pixels à l'œil unique observait... et rit d'un rire très humain.
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