Miroir brisée

Le téléphone vibra à 06h43 précises.

Un bourdonnement bref, maîtrisé, que Dimitri attendait depuis des heures, même s’il semblait dormir.

Il tendit la main sans ouvrir les yeux, attrapa le téléphone sur sa table de chevet, et déverrouilla l’écran d’un mouvement fluide.

Liam

“Nom : William Stones. 32 ans. Ancien Marines. Réformé après une mission à Kandahar. Souffre officiellement de PTSD. Pension militaire et travail occasionnel dans la sécurité privée. Divorcé. Pas d’enfant. Vit seul. Sportif. Discret. Pas d’antécédents judiciaires. Pas de famille connue à proximité. Voisin modèle, quasi invisible.”

Un fichier joint. Dimitri l’ouvrit. Trois photos. Une ancienne, en uniforme. Une plus récente, issue de son badge pour une société de sécurité. Et une prise depuis l’entrée de l’immeuble, image un peu floue, mais récente.

Dimitri sourit.

— Parfait, murmura-t-il.

Il se leva, corps encore tendu de sommeil, mais l’esprit déjà aiguisé comme une lame. Il s’étira, attrapa un pantalon de jogging, un t-shirt simple. Pas de marques visibles. Aujourd’hui, il serait discret.

Il avait une routine à respecter.

08h15 — Studio télé

Plateau blanc, sièges modernes, caméras bien placées. Le présentateur souriait de toutes ses dents, lissées à l’extrême. À sa gauche, une animatrice jouait la complicité artificielle. Tout sonnait faux — sauf lui.

Dimitri Athers était en promotion. Encore. Une énième interview, cette fois pour parler de sa carrière, de ses performances, de ses valeurs.

Il était souriant, calme, avenant.

— Ce qui me pousse à continuer ? L’équipe. L’envie de faire mieux. Et… ouais, peut-être de rendre fiers ceux qui n’ont pas eu la chance de s’en sortir, répondit-il à la question.

Il n’avait pas regardé la caméra. Il n’avait pas besoin. Sa posture, ses gestes, sa voix : tout était parfaitement maîtrisé.

— Vous êtes un modèle pour de nombreux jeunes. Le savez-vous ?

— Je fais de mon mieux, déclara-t-il humblement. J’ai eu une enfance difficile, mais je crois qu’on peut tous se construire, peu importe d’où on vient.

Applaudissements enregistrés.

Fin de l’émission.

En sortant, Dimitri salua les assistants, signa un ballon pour un enfant qu’il ne regarda même pas, prit une photo avec une animatrice trop parfumée à son goût, et monta dans sa voiture de luxe noire.

Une fois à l’intérieur, silence. Plus d’écran, plus de sourire. Juste lui.

Le masque était tombé dès la portière fermée.

Son regard redevint dur. Concentré.

Il dicta à voix basse :

— Intervenir aujourd’hui. Pas trop tôt. Il faut l’intriguer.

12h21 — Immeuble résidentiel, 9e étage

Dimitri entra dans le couloir en silence. Il savait que William était là. Il avait observé les lumières, noté les allées et venues. Il connaissait déjà ses horaires approximatifs.

Il tenait un petit sac en papier kraft, le genre que les traiteurs haut de gamme utilisent. À l’intérieur, deux sandwichs au saumon et une boisson bio à la grenade. Le genre de chose qu’un homme comme William ne s’achèterait probablement pas lui-même.

Il s’arrêta devant la porte de son voisin. Inspira profondément. Puis frappa. Deux coups. Pas trop forts.

Pas de réponse tout de suite.

Il frappa à nouveau.

La serrure tourna.

La porte s’ouvrit.

William apparut, torse nu, short de sport, un peu surpris.

— … Toi.

Dimitri sourit, léger, pas trop insistant.

— Salut. Je voulais pas te déranger, mais j’ai commandé trop à manger. Et j’aime pas jeter.

Il leva le sac.

— J’me suis dit que t’étais peut-être chez toi.

William resta silencieux une seconde de trop.

Ses yeux allèrent du sac au visage de Dimitri, puis à son propre reflet dans la vitre du couloir. Méfiance instinctive.

— C’est pas empoisonné, ajouta Dimitri avec un petit rire.

— Je t’ai rien demandé.

— Je sais. Juste… appelons ça un geste de bon voisinage.

William hésita encore, puis finit par tendre la main. Il attrapa le sac sans un mot.

— Merci, finit-il par dire, à voix basse.

— Tu fais du sport ? demanda Dimitri, comme s’il venait seulement de remarquer sa tenue.

— Ouais. Je cours un peu. Quand j’arrive à sortir.

Un aveu involontaire.

Dimitri le nota immédiatement.

— C’est pas toujours facile de sortir, hein ?

William leva les yeux vers lui, fronça légèrement les sourcils.

— Qu’est-ce que tu sais de ça, toi ?

Dimitri haussa les épaules, adoucit son ton.

— Je disais ça comme ça. On a tous nos trucs. Moi, c’est pas les sorties, c’est… autre chose.

Silence. Regard fixe.

Puis William recula légèrement.

— Bon. Merci pour la bouffe.

— Pas de souci. Bonne journée, voisin.

Il se détourna avant que la porte ne se ferme. C’était stratégique. Ne jamais insister. Laisser sur une impression étrange. Laisser une trace.

Chez lui, deux minutes plus tard

Dimitri referma la porte derrière lui, jeta un œil à son téléphone.

Liam

“Tu l’as déjà approché ?”

Dimitri

“C’est lancé.”

Il se regarda dans le miroir du couloir.

Ce que le monde voyait : un héros sportif, généreux, battant.

Ce qu’il était : un homme affamé, à peine contenu sous la surface.

Et William…

William était exactement ce qu’il cherchait depuis longtemps.

Quelqu’un à briser avec douceur.

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