Chapitre 4 : Une Tache sur le Verre

Le retour sur le yacht fut silencieux.

Personne ne posa de questions sur l’absence d’Eden et Léo pendant une bonne partie de la nuit. Personne n’en avait besoin. Dans ce cercle-là, les silences disaient tout. Les regards, les tensions dans les mâchoires, les mains crispées sur les verres de cristal.

Cassie ne dit rien non plus. Elle se contenta d’un sourire glacé quand Eden monta à bord, ses cheveux en bataille, ses lèvres à peine maquillées, ses talons à la main. Une fille qui avait baisé. Et qui croyait avoir gagné quelque chose.

Mais ici, coucher avec Léo, c’était comme marcher sur du verre : tu crois danser, puis tu regardes tes pieds et tu saignes.

---

Le matin, Ayana tambourina à la porte de la cabine d’Eden. Elle entra sans attendre de réponse.

« Debout. Tu viens avec moi. »

Eden se redressa, encore à moitié nue, la tête embrumée par les vapeurs de la nuit.

« Où ça ? »

« Shopping. Et café. Et conversation sérieuse. »

---

Sur la route de Saint-Tropez, capot baissé, cheveux au vent, Ayana ne parla pas tout de suite. Eden la regardait du coin de l’œil. Elle était belle à en crever dans son ensemble blanc oversized, les yeux cachés derrière des lunettes Chanel. Mais son visage était tendu. Trop.

« Tu penses être spéciale ? » demanda-t-elle finalement.

Eden fronça les sourcils. « Quoi ? »

« Tu penses qu’avec Léo c’est différent ? Qu’il a changé parce qu’il t’a regardée autrement ? Parce qu’il t’a fait l’amour comme s’il savait ton prénom ? »

Eden soupira. « Je n’ai rien dit. »

« Justement. C’est ce silence-là qui est dangereux. Celui où tu commences à rêver. »

Elles s’arrêtèrent à une terrasse en bord de mer. Deux cappuccinos commandés, une clope allumée. Ayana fixait l’horizon, mais ses mots frappaient comme des gifles.

« Je suis pas contre toi, Eden. Mais je te dis la vérité. Léo détruit ce qu’il touche. Pas toujours volontairement. Mais il détruit. Il est fait comme ça. On l’a fabriqué pour ça. »

Eden murmura, presque absente : « Mais il m’a protégée hier soir. »

Ayana écrasa sa cigarette. « C’est ça le pire. C’est quand il devient tendre que tu tombes. »

---

Sur le yacht, pendant ce temps, Léo était silencieux.

Il fixait la mer. Maxence lui balançait des blagues, des anecdotes, des joints. Rien n’y faisait. Il était ailleurs. Comme s’il avait touché quelque chose d’interdit. Et qu’il en mesurait le prix.

Zoé finit par le rejoindre sur le pont. Elle s’installa à ses côtés, pieds nus, jambes croisées, un Red Bull à la main.

« Tu t’en veux ? » demanda-t-elle sans détour.

Il haussa les épaules. « Elle est différente. »

« Toutes le sont au début. »

« Non. Elle… elle voit à travers moi. »

Zoé sourit doucement. « Et c’est ça qui te terrifie, pas vrai ? »

Il ne répondit pas.

---

Quand Eden et Ayana revinrent, la tension à bord était palpable. Cassie lançait des piques à tout le monde, comme une gamine qui ne supporte plus de ne pas être le centre de l’attention.

Elle se pencha vers Eden, un sourire acide aux lèvres.

« Je te donne trois semaines. Deux si tu continues à sourire comme ça. »

Eden lui répondit avec calme. « Et moi je te donne une pour arrêter de te cacher derrière ton sarcasme. »

Cassie resta figée, son verre à mi-hauteur. Ayana, plus loin, leva les yeux au ciel.

Maxence applaudit lentement. « Mesdames… j’adore quand ça saigne poliment. »

---

Le soir, ils accostèrent dans une crique privée. Ils installèrent un feu, sortirent les guitares, les haut-parleurs, le vin. C’était doux, presque normal. Un moment suspendu. Comme une accalmie dans un cyclone.

Léo s’approcha d’Eden, plus tard, alors que tout le monde était trop occupé à rire, chanter ou fumer.

Il s’assit à côté d’elle, sans un mot. Elle ne le regarda pas.

Après un long silence, il murmura :

« T’as mis une tache sur mon verre. »

Elle tourna lentement la tête, intriguée.

« Pardon ? »

Il la regardait droit dans les yeux.

« Depuis cette nuit. J’essaie de boire tranquille, mais y a cette tache… comme un goût que je reconnais pas. Et qui me fout la rage. »

Elle inspira lentement.

« Alors brise le verre, Léo. Comme tu fais toujours. »

Il sourit. Mais ce n’était pas un sourire heureux.

« Peut-être que cette fois, c’est le verre qui va me briser. »