Chapitre 10

Dan était assis sur un banc, son regard perdu dans le vide. Il était sorti ce matin-là sans réelle destination, juste pour échapper à la vision des deux amoureux chez lui.

"Ahhh!" soupira-t-il, attirant l'attention du vieil homme sur le banc voisin. "Dure journée ?" lui lança-t-il.

"Très dure !" répondit Dan.

Le vieil homme se leva de son banc. "Puis-je m'asseoir à côté de vous, jeune homme ?" proposa-t-il.

"Oui, bien sûr."

Bien que Dan ait un caractère un peu difficile, il était résolument respectueux envers les personnes âgées, même si la plupart du temps, elles se révélaient être plutôt désagréables et... perverses.

"Il fait beau, n'est-ce pas ?" fit remarquer le vieil homme, avec un léger accent.

"Oui, très beau." Le ciel était ensoleillé et le vent, doux. "Désolé de vous demandez ça mais...vous êtes un étranger ?" demanda Dan.

Le vieil homme éclata de rire. "En fait non, je suis d'ici, mais j'ai vécu en Chine. Ma mère est née et décédée là-bas."

Discuter avec des personnes âgées était toujours fascinant. C'est pourquoi Dan les appréciait et les respectait, car elles avaient toujours des anecdotes et des histoires à partager.

Le vieil homme a raconté que ses parents s'étaient rencontrés en 1910 en Chine, avec un père américain et une mère d'origine inconnue. Peut-être était-elle Polonaise, Française ou même Américaine, tout comme son père. Elle était orpheline et avait été adoptée par un couple chinois. Elle décéda en lui donnant naissance en 1917.

L'homme a expliqué à Dan que son père avait tenté de l'emmener aux États-Unis, mais en tant que seul membre de leur famille, ses grands-parents chinois s'y étaient opposés. Ce n'est qu'en 1948, après plus de 30 ans, que son père était revenu le chercher, à un moment où il avait déjà fondé sa propre famille.

"Je me souviens très bien de ce moment en 1948. Je ne l'avais pas reconnu. En fait, je ne le connaissais pas du tout. À l'époque, j'avais déjà une famille, avec une fille et un garçon", a-t-il partagé.

"Et votre femme ?"

"Elle était chinoise. Ma petite Su. Elle était d'une beauté éblouissante. Je n'ai jamais vu une femme aussi belle," dit l'homme avec une pointe de tristesse dans la voix. "Tenez, jeune homme. Je vais vous montrer une photo d'elle."

Le vieil homme sortit délicatement une photo froissée de sa poche intérieure. "Voilà !" dit-il en tendant la photo au jeune homme.

Effectivement, la femme du vieil homme était d'une grande beauté. La photo en noir et blanc montrait des vêtements anciens qui lui allaient à ravir...

"Elle est vraiment magnifique, monsieur."

"Appelez-moi Eugène. Et... merci, jeune homme." Il reprit la photo et la glissa de nouveau dans sa poche.

"Cela signifie que vous avez combattu pendant la guerre, monsieur Eugène ?"

"Il fut un temps, en effet", déclara-t-il pensivement. "Mais je n'ai jamais été sur le front. J'étais un stratège." Un sourire se dessina sur le visage de l'homme. "Comme mon grand père, j'occupais un haut poste de commandement. Certains au sein de l'armée ont contesté ma position en raison de mon apparence étrangère, mais avec la confiance de mon grand-père..."

"Vous êtes remarquable, monsieur Eugène", s'exclama Dan. "Vous av..."

"Grand-père, je t'ai cherché partout", s'écria une voix masculine qui s'approchait de Dan et du vieil homme à côté de lui.

"Qui êtes-vous, jeune homme ?", demanda le vieil homme.

"Ne fais pas semblant d'oublier, grand-père", répliqua le jeune homme, un bel brun aux yeux bridés, âgé d'environ 27 ou 30 ans. Dan le fixait du regard.

"Pourquoi tu me regardes comme ça ?", dit-il brusquement.

"Je t'observe", répondit Dan.

"Arrête ça tout de suite !" ordonna le jeune homme avant de s'agenouiller devant son grand-père. "Il est temps de partir. Maman nous attend déjà."

"Ah", soupira le vieil homme. "Je ne pourrai donc être en paix qu'après ma mort." Il tenta de se lever et Dan l'aida. "Merci, jeune homme."

"Laissez-le. Je vais prendre le relais." Déclara le nouveau venu.

Dan avait toujours pensé que les Chinois étaient des gens aimables avec leurs yeux pétillants, mais l'homme devant lui était tout sauf aimable. Désagréable et impoli, il n'avait rien de la gentillesse qu'il s'attendait à trouver.

"Comment vous vous appelez, jeune homme ?"

"Je m'appelle Dan. Daniel. Monsieur Eugène."

"Daniel. Vous avez le même prénom que mon père. Eh bien, Dan, j'ai été ravi de vous rencontrer."

"Moi de même." Répondit chaleureusement Dan avec un large sourire. "Votre joie de vivre est contagieuse, monsieur Eugène." Le vieil homme se mit à rire alors qu'il partait avec son petit-fils qui n'avait pas dit un mot au jeune homme.

"Espèce de prétentieux!" S'exclama Dan en se rasseyant sur son banc. Il pencha la tête en arrière, les mains tendues sur le haut du banc, le soleil caressant son visage. La matinée était parfaite. Le soleil... mais une ombre le fit ouvrir les yeux.

L'homme de tout à l'heure se tenait debout devant lui.

"Tenez. C'est ma carte."

"Qu'est-ce que je vais en faire ?"

"Je ne sais pas. Jetez-la si vous voulez. C'est mon grand-père qui m'a dit de vous la donner." Sa voix était hautaine.

"Vous êtes toujours comme ça ?" demanda-t-il.

"Comme quoi?" répondit l'homme.

"Si désagréable et malpoli. Vous devez être un de ces riches snobs prétentieux."

"Hah!" s'exclama l'homme. "Je le savais. Tu es bien un arriviste qui..." Dan se mit à rire, un rire non sincère. Il s'arrêta brusquement.

"Typiquement un discours de riche," dit-il en croisant ses bras sur sa poitrine. "Écoutez-moi bien mon vieux, je m'en fiche que vous soyez millionnaire ou même milliardaire. Mais vous me bouchez le soleil."

"C'est tout ce que vous trouvez à dire ?"

"Que voulez-vous que je dise ? Oh, vous voulez que je vous baise les pieds ?" rigola-t-il sarcastiquement, encore. "Désolé monsieur, je ne suis pas un lèche-cul." Le garçon se leva de son banc et se tourna pour partir, mais le brun le retint par l'épaule et glissa sa carte dans la poche de son pantalon avant de s'en aller.

"Quelle gâchis. Avec un corps et un visage comme le sien, il aurait pu être plus agréable." L'homme avait entendu ces paroles, mais il avait choisi de ne pas se retourner, laissant seulement un léger sourire se dessiner sur ses lèvres. Daniel, quant à lui, n'avait pas remarqué cette réaction.

Après cette rencontre fortuite, Dan rentra chez lui, soulagé de constater que la jeune Joy et son petit ami n'étaient plus là. Simone était seule à la maison.

Dan avait ainsi passé une journée paisible, et avec l'annonce du retour de Simone avec sa famille à la maison, il savait que la tranquillité allait revenir. Son mari était jardinier et gardien, et leur fils. Jack ne serait donc plus là pour la nuit, ce qui convenait parfaitement à Dan.

En fin de journée, Dan termina ses derniers préparatifs, prêt pour son grand déménagement à l'université le lendemain.

Alors que le sommeil commençait à l'emporter, Dan se retrouva à repenser au vieil homme rencontré plus tôt dans la journée. "Il a dépassé les 100 ans", pensa-t-il. "Et il est toujours aussi vif. J'aimerais être comme lui à son âge."

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