rumeur

Camélia, polie, acquiesça sans répondre. Mais cette remarque resta gravée dans sa mémoire.

Jérôme, lui aussi, entendit des rumeurs. Un ancien locataire disparu du jour au lendemain. Une femme retrouvée enfermée dans une pièce sans issue. Des bruits, toujours des bruits, que personne ne voulait vraiment expliquer. Ils n’en parlèrent pas. Ils firent comme si leur bonheur était réel. Comme s’il ne reposait pas sur un fil. Mais le doute s’était insinué. Et derrière la beauté de leur vie nouvelle, quelque chose observait. Silencieux. Patient. Et Camélia, plus que jamais, lisait.

Mais l’obsession de Camélia pour le vieux livre ne faisait que s’intensifier.

Elle passait désormais des nuits entières à en tourner les pages, plongée dans ses lignes cryptiques comme si elles contenaient un code ancien que seule elle pouvait comprendre. Sa peau paraissait plus pâle, ses cernes plus marquées, ses gestes plus lents. Le jour, elle peignait mécaniquement ; la nuit, elle lisait sans fin.

Un soir, Jérôme, inquiet de ne pas la trouver dans leur chambre, la rejoignit dans le salon. Camélia était là, assise en tailleur sur le canapé, le livre ouvert sur ses genoux. Son regard était fixe, absorbé.

— Que contient ce livre qui te fascine autant ? demanda-t-il d’une voix douce.

Elle leva lentement les yeux. Son visage était calme, mais son regard avait quelque chose d’étrangement lointain. Il y brillait une lumière nouvelle — une intensité qu’il n’y avait jamais vue.

— C’est comme si ce livre me parlait, Jérôme, murmura-t-elle. Il raconte des choses sur cet immeuble… des secrets enfouis. Il parle du passé, de ceux qui ont vécu ici avant nous. Parfois, c’est comme si je reconnaissais des détails… comme si je les avais déjà rêvés.

Un frisson parcourut l’échine de Jérôme. L’idée que l’immeuble ait une mémoire, et que le livre puisse y puiser, l’inquiétait plus qu’il ne voulait l’admettre. Il s’efforça pourtant de sourire.

— Tant que nous sommes heureux ici, c’est tout ce qui compte… non ?

Elle acquiesça en silence, mais lui vit son regard dériver à nouveau vers le livre, comme un aimant secret.

Elle semblait exténuée.

Il se pencha, referma doucement l’ouvrage, et lui tendit la main.

— Allez, viens. Tu as besoin de dormir un peu.

Il l’accompagna jusqu’à la chambre, la guida jusqu’au lit, l’aida à s’allonger et la couvrit avec tendresse. Elle ne résista pas. En quelques instants, elle s’endormit profondément, les traits tirés, le souffle apaisé.

Puis Jérôme retourna dans la cuisine. Le livre, qu’il avait discrètement emporté, était posé sur le comptoir. Il l’observa quelques secondes. Une simple reliure en cuir noir. Aucun titre. Rien d’anormal, en apparence.

Et pourtant…

Lorsqu’il tendit la main pour le toucher, une sensation étrange l’envahit. Son cœur accéléra, une sueur froide perla à sa nuque. Il inspira profondément, tentant de chasser ce malaise inexpliqué. Puis, dans un élan de défi envers lui-même, il ouvrit le livre.

À sa grande surprise… il n’y avait rien d’étrange. Juste du texte. Des paragraphes bien structurés, une narration banale. Il feuilleta rapidement plusieurs pages. Tout semblait… normal. Trop normal.

— Je me fais des idées, marmonna-t-il. Je deviens aussi parano qu’elle.

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