Jusqu’à ce jour-là.
Elle était dans son atelier, une pièce lumineuse au fond de l’appartement, les murs tâchés de pigments séchés, une toile encore humide devant elle, quand son téléphone sonna. Elle hésita à répondre — elle était en pleine création — mais quelque chose, un frisson presque électrique, l’incita à décrocher.
— Bonjour, suis-je bien en ligne avec Camélia Marchand ? demanda une voix masculine, posée.
Elle confirma, surprise.
— Je représente la Galerie Atticus. Nous avons récemment découvert votre travail grâce à un collectionneur privé. J’appelle pour vous dire que plusieurs galeries sont très intéressées par vos œuvres. Nous aimerions organiser une exposition dédiée à votre peinture. Vos toiles sont… tout simplement extraordinaires.
Camélia resta muette quelques secondes, sidérée. Sa gorge se serra. Ce rêve, qu’elle avait tant de fois enterré, refaisait soudain surface. Elle sentit ses mains trembler. Lorsqu’elle raccrocha, elle ne savait plus si elle était debout ou assise. Elle appela immédiatement Jérôme.
— Jérôme… Tu ne devineras jamais ce qui vient de se passer, lança-t-elle, la voix brisée par l’émotion.
Il crut d’abord à une mauvaise nouvelle, mais en entendant le ton vibrant de joie, il comprit.
— Une galerie ? demanda-t-il.
— Plusieurs ! Jérôme, ils veulent exposer mes toiles. Ils veulent… une exposition entière. De moi.
Le soir-même, ils célébrèrent cette nouvelle victoire par un dîner sur leur terrasse, éclairée par quelques bougies et la lueur dorée des lampadaires urbains. Autour d’eux, New York brillait d’un éclat presque irréel, comme si la ville elle-même s’inclinait devant leur bonheur. Ils burent du vin, mangèrent lentement, riant, se touchant la main comme au premier jour.
Et pourtant, entre deux éclats de rire, une ombre passait dans le regard de Camélia. Elle avait laissé le livre dans l’atelier. Mais elle le sentait, toujours.
Le succès de Jérôme, puis celui de Camélia, avait quelque chose de trop parfait. Trop soudain. Comme si, dans cet appartement, la réalité se pliait à leurs désirs. Ils n’en parlaient pas clairement, mais chacun nourrissait en silence la même pensée : Et si quelque chose, ici, nous avait choisis ?
L’hypothèse les faisait sourire… au début. Puis elle les suivit comme une pensée parasite, jusqu’à s’installer durablement dans leur esprit.
Leur quotidien, en apparence idyllique, continuait de s’épanouir. Les ventes de Jérôme augmentaient, les toiles de Camélia s’arrachaient. Chaque jour apportait son lot de promesses exaucées.
Mais dans les interstices de cette réussite parfaite, le malaise grandissait.
Les phénomènes étranges liés à l’appartement devinrent plus fréquents. Des bruits dans les murs, que l’on ne pouvait pas attribuer aux voisins. Des courants d’air soudains, dans une pièce pourtant close. Des lampes qui grésillaient sans raison. Et surtout, ce sentiment — celui d’être observés.
Le couple tenta de rationaliser. New York était bruyante. Les vieux immeubles vivaient, craquaient, respiraient. Rien d’anormal.Mais un jour, dans le hall d’entrée, une voisine âgée — discrète, presque effacée — aborda Camélia avec une voix basse :
— Cet endroit… vous savez qu’il a été un hôtel autrefois ? Beaucoup de choses s’y sont passées. Des choses qu’on préfère ne pas évoquer. Vous devriez… garder les yeux ouverts.
Camélia, polie, acquiesça sans répondre. Mais cette remarque resta gravée dans sa mémoire.
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