Soudain, la porte d’entrée claqua, rompant l’envoûtement.
— Camélia ! s’écria Jérôme. Tu ne vas pas y croire… J’ai fait une énorme vente aujourd’hui !
Elle leva les yeux, encore un peu ailleurs. Il était là, debout dans l’encadrement du salon, le visage illuminé par une fierté rare. Il rayonnait littéralement.
Elle déposa lentement le livre sur la table basse, comme on referme un secret trop lourd à garder, et se leva. Elle s’approcha de lui, l’enlaça avec chaleur, et posa sa tête contre son torse.
— Je suis tellement heureuse pour toi, murmura-t-elle. Je savais que venir ici changerait notre vie.
Il répondit par un rire étouffé, ému par sa sincérité. Il la serra plus fort, puis l’embrassa longuement. L’instant, doux et inattendu, les emporta tous les deux. Ils s’abandonnèrent à ce moment comme on se laisse glisser dans un rêve — sans effort, sans peur.
Ce soir-là, dans la chambre encore partiellement en désordre, leurs corps se retrouvèrent avec une tendresse retrouvée. Sous les draps, baignés par les dernières lueurs du soleil filtrant à travers les rideaux, ils firent l’amour avec la fougue des recommencements. Pour la première fois depuis longtemps, ni le doute, ni la fatigue, ni l’angoisse ne s’immisçaient entre eux.
Le lendemain, Jérôme partit tôt pour le travail, plus confiant que jamais. Camélia, elle, resta dans le lit un moment, les yeux posés sur la table de chevet. Le livre était là, posé exactement là où elle l’avait laissé.
Elle tendit la main.
Elle reprit sa lecture.
Depuis leur emménagement, elle lisait ce livre chaque jour. Elle l’avait trouvé dès leur arrivée, posé sur une étagère — comme s’il l’attendait. Il ne ressemblait à aucun ouvrage qu’elle avait pu lire auparavant. Le texte, dense et poétique, semblait glisser entre la narration et la confession. Certaines phrases revenaient, modifiées. Certains noms changeaient. Parfois, ce qui était écrit la veille n’apparaissait plus aujourd’hui.
Elle avait tenté d’en parler à Jérôme, au tout début. Il avait souri, pensant à une de ces étrangetés littéraires qu’elle affectionnait tant. Mais elle avait compris, à son regard, qu’il ne percevait pas ce que ce livre faisait — réellement.
Il ne la divertissait pas. Il l’absorbait.
Chaque jour, elle lisait davantage. Chaque jour, elle s’éloignait un peu plus du monde concret. Le livre semblait refléter ses pensées, ou peut-être les précéder. Il évoquait des lieux qu’elle reconnaissait sans y être allée. Il parlait de rêves qu’elle n’avait jamais faits… ou qu’elle ne se souvenait pas avoir faits.
Et surtout, il parlait d’un appartement. Un ancien hôtel reconverti. Un salon baigné de lumière. Une femme, seule, qui lisait.
Quelques jours plus tard, alors que Jérôme rentrait plus tard que prévu, Camélia ne leva même pas les yeux de sa lecture. Le livre était désormais toujours près d’elle. Sur la table, sur le lit, dans ses bras. Il avait cessé d’être un objet. Il était devenu une présence.
— Tu ne le lâches plus, hein ? lança Jérôme en déposant ses clés.
Camélia répondit d’un sourire absent.
Il la regarda un instant. Quelque chose, dans ses yeux, n’était plus tout à fait le même.
Quelques semaines plus tard, ce fut au tour de Camélia de connaître un tournant inattendu. Elle avait toujours peint — par passion, par nécessité intérieure, parfois jusqu’à l’épuisement — mais son travail était resté confidentiel, éclipsé par l’indifférence du marché et le silence des galeries.
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