Chapitre 1 – Les ombres du retour
Le bus cahota une dernière fois avant de s’arrêter dans un nuage de poussière rouge.
Aminatou descendit, ses chaussures élégantes s’enfonçant légèrement dans la terre battue. Le soleil tapait fort, implacable, et l’air vibrait d’un mélange de chants funèbres, de tam-tams lointains et de murmures contenus.
Le village de Nkwen s’étendait devant elle, comme une photographie immobile. Les cases aux toits de chaume s’alignaient, marquées par le temps. Des enfants la fixaient en silence, les yeux brillants d’un mélange de curiosité et de crainte. Plus loin, les anciens, assis à l’ombre des manguiers, détournaient le regard, comme pour marquer une distance invisible.
Tout me semble étranger… et pourtant c’est ici que je suis née.
Chaque détail la heurtait : les odeurs d’huile de palme, de bois brûlé, de terre humide. Les couleurs trop vives des pagnes, les chants si graves qu’ils résonnaient dans ses os. Aminatou se sentait déplacée, comme une pièce de puzzle mal insérée.
...Tayo – Le rire brisé...
Je la vois.
Aminatou.
Elle est revenue.
Ses yeux cherchent des repères, mais rien ne lui répond. Ses cheveux lissés, sa robe trop citadine, son sac qui brille sous le soleil… Elle ne ressemble pas à celle que j’ai connue. Et pourtant, derrière cette façade étrangère, je retrouve une étincelle. Une blessure.
Je m’avance, hésitant.
— Aminatou ?
Elle se tourne, ses yeux s’écarquillent, incrédules.
— Tayo ?... C’est toi ?
Sa voix tremble, fragile. Je souris, mais ce sourire est faux, tendu comme une corde prête à céder. J’aimerais rire, comme autrefois, quand on grimpait aux arbres pour voler des mangues. Mais comment rire, quand son frère…
Mon cœur cogne. Les mots me brûlent la langue. Comment lui dire que Nji n’est pas mort par hasard ? Que ce n’était pas un accident ? Que son dernier appel cachait une vérité que personne ne veut entendre ?
Je ravale tout.
Je garde le silence.
Mais au fond de moi, je le sais : ce silence est une trahison.
...Murmures de l’eau...
« Tu n’as pas répondu à son appel… »
Aminatou sursaute.
Ses yeux se plissent, cherchant autour d’elle. Personne n’a parlé. Les enfants rient au loin, les tam-tams continuent, mais le vent s’est figé.
Je l’ai entendu aussi.
Ou peut-être… seulement senti.
Un souffle derrière mon oreille, une vérité glissée entre deux battements de cœur.
Les murmures commencent déjà.
...Mabo – Le rêveur...
De mon muret de pierre, j’observe la scène.
Aminatou. Tayo. Le village entier suspendu à ce retour.
Je ferme les yeux. Et les images affluent.
Pas des souvenirs. Pas vraiment.
Des éclats, comme des rêves éveillés.
De l’eau.
De l’eau qui s’élève, qui s’épaissit.
Des bras qui surgissent, des visages translucides.
Aminatou qui tombe, encore et encore.
Je rouvre les yeux, le souffle court.
Pourquoi moi ? Pourquoi je vois cela ?
Est-ce l’esprit de Nji qui me parle ? Ou bien une malédiction qui imprègne ce sol ?
Je garde le silence. Personne ne me croirait.
Je suis le rêveur, celui qu’on accuse d’imaginer trop. Mais ce que j’ai vu n’est pas un rêve. C’est un avertissement.
...Suh – La colère...
Elle est là.
Aminatou.
L’étrangère.
Celle qui a fui.
Celle qui a choisi l’Europe et nous a laissés derrière.
Je la fixe, et la rage monte comme une marée.
— Tu n’étais pas là pour lui, Aminatou.
Elle baisse les yeux. Elle sait.
Tu l’as abandonné. Comme tu nous as abandonnés.
Je voudrais lui hurler tout ce que je retiens depuis des années.
Mais ma gorge se serre.
Parce que je me souviens aussi du rire de son frère, quand il parlait d’elle.
“Aminatou viendra un jour. Elle comprendra.”
Alors je me tais.
La rage demeure, mais elle est entremêlée de loyauté. Une loyauté douloureuse.
...Aminatou – La faille...
La nuit tombe.
Les chants s’estompent. Les tambours s’éloignent.
Je suis seule dans la chambre qu’on m’a préparée.
Le silence est plus lourd que les voix.
Je ferme les yeux… et je revois Nji.
Sa voix dans le téléphone.
“Amina… rappelle-moi. J’ai quelque chose à te dire. C’est important.”
Je n’ai jamais rappelé.
Et maintenant, je n’aurai jamais de suite.
Un bruit d’eau me tire de mes pensées.
La bassine au coin de la chambre déborde, alors qu’elle était vide tout à l’heure.
L’eau s’écoule sur le sol, dessinant des reflets lumineux qui s’animent comme des veines.
« Recommence… jusqu’à ce que tu voies. »
Je ferme les yeux.
Et soudain—
> ||Je descends du bus.||
||La poussière rouge.||
||Les chants funèbres.||
||Tayo qui m’attend… mais pourquoi est-il déjà là ?||
Mon souffle se brise.
Un fil se défait.
Quelque chose m’échappe.
Je me réveille en sursaut.
Le matin recommence.
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