La grille du lycée se dressait devant Neylan comme une frontière. Chaque matin, il avait l’impression d’entrer dans une prison bruyante où il devait jouer le rôle du fantôme. La cour, déjà envahie par les élèves, vibrait d’un brouhaha confus : éclats de rire, disputes, téléphones qui sonnaient, ballons de foot rebondissant sur l’asphalte. Neylan s’arrêta un instant, fixa cette marée humaine, et pensa :
— Trop de bruit pour si peu de sens.
Une main surgit sur son épaule.
— Toujours aussi optimiste, toi.
Il se retourna. Sacha Lenoir se tenait là, sac à dos mal ajusté, sourire maladroit mais chaleureux. Ses cheveux bruns un peu en bataille donnaient l’impression qu’il s’était battu contre son oreiller avant de perdre.
— J’ai pas dit que j’étais optimiste, répondit Neylan en haussant un sourcil. J’ai juste dit que vous parlez trop.
— C’est pareil, rit Sacha. T’as une manière poétique de dire qu’on t’énerve.
Neylan ne put s’empêcher de sourire, un sourire furtif qui disparut aussitôt. C’était ça, l’effet de Sacha : il avait le don d’arracher de petites étincelles au milieu du froid.
Ils traversèrent la cour ensemble. Neylan avançait lentement, comme s’il voulait s’effacer, tandis que Sacha saluait d’un geste les autres élèves. Certains le regardaient avec curiosité : Neylan, le garçon aux yeux vides, celui qui parlait peu mais dont les remarques pouvaient couper comme une lame.
— Tu sais, reprit Sacha, tu devrais essayer de parler aux autres. Même juste un peu.
— Et leur dire quoi ? "Salut, j’aime pas votre existence" ? Ça ferait bonne impression.
— Tu pourrais commencer par "bonjour".
— Trop risqué.
Sacha éclata de rire. Neylan soupira. Cet ami avait la capacité étrange de transformer ses piques glaciales en comédie légère.
En entrant dans la salle de classe, l’odeur du marqueur et de poussière de craie les enveloppa. Neylan prit sa place habituelle, près de la fenêtre. Il aimait observer le ciel plus que les cahiers. Sacha, fidèle, s’installa à côté de lui.
C’est alors qu’une présence attira son regard. À deux rangs devant, une fille venait de s’asseoir. Elle avait des cheveux châtains clairs qui semblaient capter la lumière, même dans cette salle terne. Son regard, quand il croisa celui de Neylan par hasard, était doux mais profond, comme si elle portait elle aussi un secret.
Neylan détourna les yeux aussitôt. Son cœur fit un battement trop fort, inhabituel. Il fronça les sourcils.
— C’est qui ? demanda-t-il à Sacha.
— Elle ? C’est la nouvelle, répondit-il en baissant la voix. Elle s’appelle Victoria Hale.
Victoria. Le nom résonna dans l’esprit de Neylan comme une énigme.
Le cours commença, mais il n’écouta rien. Son regard glissait parfois vers la silhouette de la nouvelle élève. À un moment, elle tourna légèrement la tête, et leurs yeux se croisèrent encore. Ce fut bref, presque accidentel, mais assez pour que Neylan détourne le sien avec une gêne inhabituelle.
Sacha le remarqua et lança discrètement :
— Ohhh… je crois que Monsieur Nuage a trouvé un rayon de soleil.
— Ferme-la.
— Je dis juste que… ça te ferait pas de mal.
— Sacha, tu me connais. Même les rayons de soleil finissent par brûler.
Sacha haussa les épaules, mais son sourire ne s’effaça pas.
À la pause, tandis que les élèves se dispersaient, un autre garçon s’approcha du bureau de Victoria. Grand, confiant, sourire assuré : Patrick Veyre. Il lança quelques phrases à voix basse qui firent rire les camarades autour. Victoria répondit poliment, sans trop s’engager. Neylan, lui, observa la scène en silence, ses yeux se durcissant légèrement.
— Et voilà… murmura-t-il. Le miroir noir.
Sacha le regarda, intrigué.
— Quoi ?
— Rien. Juste une tempête qui approche.
Et dans le ciel, au-dehors, les nuages commençaient déjà à s’assombrir.
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