03

BELLA

Mes yeux se perdent à travers la vitre teintée, glissent sur les arbres alignés le long de la rue, sur les hommes-loups qui marchent d'un pas pressé, et sur leurs femmes qui bavardent avec insouciance. Mais ce ne sont pas elles qui retiennent vraiment mon attention.

Ce sont plutôt les femmes de mon espèce. Je les reconnais au premier regard. Toujours la même coiffure : les cheveux tirés en arrière, attachés en une queue de cheval stricte. Et surtout... ce sceau, marqué à la base de leur nuque. Une brûlure indélébile, signe cruel qu'elles ont été achetées, qu'elles appartiennent à quelqu'un.

Ces marques ne se ressemblent pas. Chacune porte l'emblème d'une maison différente, gravé dans leur chair comme un rappel permanent de leur condition. Et toutes, sans exception, gardent leurs cheveux relevés, offertes aux regards. C'est une règle tacite, presque un ordre invisible : exhiber ce sceau, montrer au monde à qui elles appartiennent.

- J'ai dit à Christopher de ne pas foutre les pieds chez moi, gronde Damian dans son téléphone. Ne le laissez surtout pas entrer.

Je détourne mon regard de la vitre et le pose sur lui. Cela fait déjà un moment qu'il parle, et à en juger par la crispation de sa mâchoire et la dureté de ses yeux, il n'est pas simplement contrarié. Il est tendu, furieux.

Un long soupir lui échappe. Il décroche lentement le téléphone de son oreille, le rabat contre sa cuisse comme si l'objet l'insupportait, puis lève la tête. Nos regards se croisent, brièvement, assez pour que je sente le poids de son agitation contenue.

- Accélère, ordonne-t-il enfin au chauffeur.

Je déglutis, mes mains sont crispées sur mes genoux. Finalement, Damian retire sa veste et la pose sur mon épaule, comme si ça le gênait soudain que je sois nue auprès de lui.

- On arrive chez moi. Il y aura du monde. Des gens de la famille... dont je me serais bien passé. Écoute-moi bien. Là-bas, tu ne parles à personne. Tu ne souris à personne. Tu ne réponds à aucun ordre qui ne vienne pas de moi. Tu ne regardes que moi. C'est moi que tu écoutes. Rien d'autre. C'est clair ?

Ma bouche s'assèche.

- O... oui.

- Plus fort.

- Oui !.

- Bien. Si tu as des questions, tu me les poses. À moi, seulement.

Je le fixe, stupéfaite. Une telle permission est une anomalie. Jamais encore on ne m'a autorisée à poser des questions. Après tout, je ne suis qu'une humaine, une insignifiante... Une pensée s'échappe malgré moi :

- Combien de... concubines avez-vous ?

Son regard se plante dans le mien, sans embarras.

- Dix-sept. Tu es la dix-huitième. Je déteste les nombres impairs.

Un silence lourd retombe. Je serre les poings. Le cuir du siège craque sous la pression de mes doigts.

- Quel âge avez-vous ? soufflé-je, idiotement.

- Vingt-sept.

Le chiffre me percute. Les mots franchissent mes lèvres sans permission :

- C'est... un nombre impair.

Je porte aussitôt une main à ma bouche, horrifiée par ma propre audace. Il ne s'emporte pas. Pire : il s'immobilise. Son regard s'assombrit, mais sa voix reste douce, dangereusement douce.

- Regarde-moi.

Je lève les yeux. La bête est là, tapie dans sa patience.

- Va au bout de ta pensée, Bella. Entièrement.

- Je... je ne voulais rien dire. Je vous prie de m'excuser, je—

- Quand je parle, tu obéis. Je déteste me répéter.

La réprimande claque, nette. Je hoche la tête, avale ma fierté, cherche mes mots.

- Vous... vous détestez les nombres impairs. Alors j'imagine que... que vous avez hâte d'atteindre vos vingt-huit ans.

Un coin de sa bouche tressaute. Pas un sourire. Un avertissement.

- Ce n'est pas l'impatience qui me gouverne, dit-il. C'est l'ordre. Et l'ordre, je l'impose.

La voiture ralentit à un carrefour. Des femmes marquées traversent, nuques nues, sceaux brillants comme des braises sous la lumière. Damian suit la scène du regard, puis revient sur moi.

- À l'intérieur, on te testera. On te provoquera. Ils veulent voir jusqu'où je laisse aller ce qui est à moi. Tu ne réponds pas. Tu ne détournes pas les yeux quand je te parle, tu ne baisses pas la tête quand je te l'ordonne. Tu restes près de moi. Compris ?

- Oui.

- Répète.

- À l'intérieur, je ne parle à personne, je ne souris à personne, je n'obéis qu'à vous. Je reste près de vous. Je... je ne détourne pas les yeux quand vous me parlez.

- Voilà. Tu apprends vite.

La voiture s'engage dans une allée bordée de cyprès. Au loin, une demeure massive se découpe dans la lumière, silhouette prédatrice. Mon cœur cogne si fort qu'il résonne contre la veste qu'il m'a donnée. Je déglutis, incapable de contenir la panique qui enfle. Il incline la tête, comme pour savourer le goût de ma peur.

- Une dernière chose, dit-il. Si Christopher apparaît malgré mes ordres, tu ne le regardes pas. C'est une consigne.

- Qui est-ce... Christopher ?

- Quelqu'un qui ne sait pas rester à sa place.

Son timbre se fait grave, presque un grondement. La bête racle ses mots.

- Et toi, Bella, tu vas tenir la tienne.

La voiture s'arrête net. Le chauffeur jette un coup d'œil dans le rétroviseur. Damian ouvre la portière. L'air glacé s'engouffre, charriant l'odeur humide de la terre et des forêts. Il me tend la main. Pas une invitation. Une injonction.

- Viens.

Je glisse mes doigts dans les siens. Sa poigne se referme. L'ordre, à défaut de douceur. Et je comprends soudain que, pour lui, pair ou impair, tout finira par tomber juste — parce que c'est lui qui aligne les chiffres. Et les vies.

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2025-09-20

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