Le jour se lève, et pourtant je n’arrive pas à sortir du noir.
Ma chambre ressemble à une cage, un espace où les murs me renvoient chaque pensée trop lourde.
J’entends les bruits du matin qui arrivent de la cuisine, mais je n’ai pas faim.
— Ewan, tu viens ? Ta mère t’appelle depuis un moment.
Je me force à bouger, à enfiler des vêtements qui me semblent trop grands.
Je sais qu’il faudra affronter encore une fois la maison, les silences, les regards fuyants.
Quand j’arrive dans la cuisine, ma mère est là, assise, les mains serrées autour d’une tasse de café tiède.
— Tu n’as pas mangé ce matin, je vois, dit-elle doucement.
Je baisse les yeux.
— J’ai pas faim.
Ma sœur entre, elle lance un regard rapide vers moi, comme pour vérifier que je suis bien réel.
— T’es encore dans ta bulle, hein ?
Je ne réponds pas.
Le silence s’installe, lourd et tendu.
Puis, comme souvent, mon père entre. Sa présence me fait serrer la mâchoire.
Il ne parle pas beaucoup, mais quand il le fait, c’est souvent pour me reprocher quelque chose.
— Tu devrais arrêter de traîner comme ça. La vie, c’est pas un jeu.
Je serre les poings sous la table.
Je voudrais lui dire que je ne suis pas un jeu, que j’ai mal, mais les mots restent bloqués.
Le souvenir revient.
Ce jour-là, quand j’avais 8 ans, mon oncle est venu à la maison.
Il avait ce regard qui ne voulait rien dire, mais qui faisait froid dans le dos.
Je me souviens encore de ses mains, de sa voix basse qui murmurait des choses que je ne comprenais pas.
Je ne pouvais pas le repousser.
Je ne savais pas comment.
Depuis, chaque fois qu’il revient, je me ferme.
Je redeviens ce garçon figé, sans défense.
À l’école, la situation empire.
Ce matin-là, en classe, la prof annonce un travail en groupe.
— Ewan, tu es avec Léa et Maxime.
Je sens tous les regards sur moi.
Léa me jette un regard rapide, pas hostile, mais distant.
Maxime, lui, ne dit rien, mais je devine dans son silence qu’il préférerait ne pas avoir à faire équipe avec moi.
Le cours commence, et je tente de participer.
Mais les mots me manquent.
Quand j’essaie de parler, ma voix tremble, et mes mains deviennent moites.
À la pause, je m’éloigne, préférant rester seul.
— Pourquoi tu restes tout seul ? me demande Léa timidement.
Je secoue la tête.
— C’est plus simple.
Elle me regarde, hésitante.
— Tu peux me parler, tu sais.
Je voudrais lui dire, lui expliquer ce que personne ne sait, mais les mots ne viennent pas.
Plus tard, je retrouve Maxime et ses amis dans la cour.
Ils parlent fort, rient, s’amusent.
Je m’approche, espérant peut-être un signe, une invitation.
Mais un des garçons me pousse brusquement.
— Va-t’en, on a pas besoin de toi ici.
Je recule, les larmes brûlant mes yeux.
Je détourne la tête, rapide, avant qu’ils ne voient.
Je rentre chez moi, la gorge nouée.
Ma mère me regarde, inquiète.
— Ça va, mon chéri ?
Je secoue la tête, incapable de parler.
Je monte dans ma chambre, referme la porte derrière moi, et m’effondre sur mon lit.
Les souvenirs me submergent.
Le visage de mon oncle, la peur, le silence.
Je voudrais qu’on m’aide, mais je n’ose pas demander.
Je suis prisonnier de cette invisibilité.
Invisible, même pour ceux qui devraient m’aimer.
Je ferme les yeux, et dans le silence, je me promets de tenir encore un peu.
Un jour, peut-être, quelqu’un me verra vraiment.
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