Chapitre 4 — Les murs du silence

Le matin se leva froid et brumeux, comme une promesse de rien.

Sara ouvrit les yeux avant que le réveil ne sonne, comme toujours. Elle ne se souvenait même plus de la dernière fois où elle avait dormi sans entendre un bruit dans la tête. Une cacophonie persistante, qui martelait sa poitrine. Mais ce n’était pas nouveau. Cela faisait partie du décor, comme l'odeur de la fumée de cigarette dans ses cheveux, ou l’amertume de la solitude dans sa gorge.

Aujourd’hui, c’était la réunion avec le professeur Lane, comme prévu. Elle n’était pas inquiète, pas vraiment. Elle était juste... prête.

Prête à jouer un autre rôle. Celui de l’étudiante modèle. Le rôle qui la maintenait en dehors des regards. Le rôle qui l'empêchait de se faire remarquer. Parce qu’au fond, être invisible était la seule chose qui la maintenait en vie.

Elle s’habilla sans cérémonie. Pas de miroir, pas de réflexion. Juste des gestes mécaniques. Elle se leva et enfila un jean noir, un t-shirt simple, des bottes. Le genre de tenue qui ne se fait pas remarquer.

Dehors, la brume du matin avait tout englouti.

Le campus était presque silencieux. Les étudiants s’étaient encore recroquevillés dans leurs cocons d’indifférence. Personne ne la voyait, et c’était parfait.

Elle arriva au bureau du professeur Lane cinq minutes avant l’heure. Elle frappa doucement à la porte, l’ouvrit sans attendre.

— Entrez, mademoiselle Valdez, dit-il en levant les yeux de son bureau.

Le bureau était encombré de papiers, de livres, et d’une tasse de café qui avait déjà perdu sa chaleur. Il était tout ce qu’on attendait d’un professeur prestigieux : un peu trop de sophistication et un peu trop de calme pour cacher les échos d’un homme qui avait oublié que les gens, parfois, avaient besoin d’être vus.

Sara entra sans un mot, s’assit en face de lui. Il la regarda avec intérêt.

— Alors, mademoiselle Valdez, vous êtes sans doute surprise par cette invitation. Je tiens à préciser que ce n’est en aucun cas une remarque sur vos performances académiques, qui sont, disons-le, impressionnantes.

Elle le fixa, sans expression. Elle savait ce qu’il voulait dire, et elle savait aussi qu’il n’avait pas d’idée réelle sur qui elle était. Il avait simplement vu ses résultats. Son potentiel. Et c’était ce qu’il avait acheté. Tout le monde faisait ça. On achète la brillance, on ignore la douleur.

Il continua.

— Je me demande simplement pourquoi quelqu’un avec votre... potentiel, choisit de s’isoler autant. Vous avez toutes les qualités pour exceller. Vous avez le génie pour devenir l’une des meilleures avocates ou médecins de ce pays. Et pourtant, vous semblez préférer l’ombre. Pourquoi ?

Le silence se fit lourd entre eux. Sara garda les yeux baissés, se contentant d’un faible sourire.

— C’est plus facile de ne rien attendre de vous-même, professeur. Moins de déceptions.

Elle vit l’éclat d'incompréhension dans ses yeux, mais il n’insista pas. Il savait que certains étudiants ne répondaient pas aux questions. Certains n'avaient pas de réponse à donner.

Il s’éclaircit la gorge et changea de sujet.

— Très bien, disons que vous n’êtes pas prête à parler de vous. Aucun problème. Parlons alors de ce projet de thèse dont vous m’avez parlé dans votre candidature. Vous avez choisi un sujet ambitieux. La criminalité transnationale et les abus de pouvoir en contexte de guerre. Vous pensez vraiment avoir le temps d’étudier un sujet aussi vaste en parallèle de vos autres cours ?

Sara ne répondit pas immédiatement. Elle savait ce qu'il pensait : il la voyait comme une bombe à retardement, une exception, quelque chose qu’on devrait étudier et comprendre, mais jamais trop près. Il ne comprenait pas que pour elle, étudier, c’était se protéger. C’était la seule façon de faire face aux fantômes.

— Je m’adapte, dit-elle finalement. La douleur d’étudier est moins forte que la douleur de vivre.

Le professeur hocha la tête lentement, notant des choses sur son carnet. Puis il posa son stylo et la regarda directement.

— Vous savez, mademoiselle Valdez, je vois en vous une jeune femme qui porte un lourd fardeau. Ce fardeau, vous n’êtes pas obligé de le porter seule. Nous avons des ressources sur le campus. Si jamais vous souhaitez parler...

Sara se leva d’un coup, ses gestes brusques.

— Non. Merci. Mais je suis bien comme je suis.

Elle quitta la pièce avant même qu’il ne puisse ajouter quoi que ce soit.

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En sortant, elle se dirigea instinctivement vers la bibliothèque, son refuge habituel. Elle avait besoin d’un peu de solitude, un peu d’espace pour laisser ses pensées se poser.

Elle se trouva un coin isolé, entre deux étagères de droit, et s’assit sur une chaise. Elle ouvrit un livre sans vraiment le lire. Elle avait besoin d’un moment pour respirer, mais plus encore, elle avait besoin d’une distraction. Parce que les pensées, parfois, peuvent devenir trop lourdes.

Alors qu’elle feuilletait les pages, son téléphone vibra. Elle hésita un instant avant de vérifier le message.

> "J’ai trouvé ton numéro. On va se rencontrer."

Son cœur s’arrêta un instant. Le message était court, direct. Et cette fois, il n’y avait pas de doute.

Ce n’était pas un jeu.

Sara sentit un frisson glacer sa colonne vertébrale. Elle bloqua immédiatement le numéro, mais la peur, elle, était déjà là. Prête à éclater.

Elle avait déjà vécu ça, plus jeune. Ce sentiment de ne jamais être à l’abri.

Mais cette fois, ce ne serait pas comme avant.

Elle se leva d’un coup, rangea le livre et sortit de la bibliothèque, se dirigeant vers l’extérieur, là où l’air froid pouvait lui faire oublier, l’espace d’un instant, qu’elle n’était plus en sécurité.

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Zoey la trouva dans la cour un peu plus tard, marchant seule sous la pluie. Elle s’approcha d’elle, un sourire sur les lèvres.

— Tu vas attraper la grippe, tu sais ?

Sara la fixa sans répondre, ses yeux vides d’émotion.

— Tu veux qu’on mange ensemble ce soir ? Mon copain va passer. Tu verras, il est génial, il nous prépare un dîner incroyable, comme toujours.

Sara hocha doucement la tête, sans vraiment l’écouter. Elle se sentait étouffée par la chaleur de la conversation et l’imminence de ce qui la guettait. Mais elle se forçait à sourire.

— Ok, ça me va.

Zoey la scruta, mais ne posa pas de questions. Elle semblait comprendre que quelque chose n’allait pas, mais elle n’était pas prête à insister. Peut-être qu’elle ne savait même pas comment aborder un sujet comme celui-là.

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Le soir, Sara s’installa à la table avec Zoey et son petit ami.

Le garçon, d’apparence calme, était en réalité tout l’opposé de ce qu’elle imaginait. Il parlait facilement, riait fort. Il avait ce regard un peu trop insistant, ce sourire trop charmeur.

Mais il ne l’intéressait pas.

Elle l’ignora volontairement.

Il n’était qu’un élément du décor.

Zoey parla longuement, racontant des anecdotes sur ses semaines passées à Boston, les fêtes qu’elle avait fréquentées. Elle parlait tellement que Sara se retrouva souvent à perdre le fil, à se concentrer sur les gestes, sur les couleurs autour d’elle.

Elle sentit les murs se refermer.

Peu à peu.

Un peu plus à chaque seconde.

Elle avait l’impression de jouer une autre scène, de porter un autre masque. Celui d’une Sara ordinaire. Mais elle savait que ce masque ne tiendrait pas longtemps.

Pas dans ce monde.

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Le silence s’installa. Personne ne parla après le repas. Zoey était fatiguée et monta se coucher. Le petit ami la suivit quelques minutes plus tard.

Sara resta seule, dans le calme glacial de la pièce. Elle s’assit un moment sur le canapé, les mains serrées contre ses genoux. L’air lourd. Les yeux fixés dans le vide.

Et les messages continuaient à s’entasser dans sa boîte.

> "Nous allons nous rencontrer, Sara."

Elle éteignit son téléphone.

Mais elle savait. Elle savait que demain ne serait pas le même.

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