Chapitre 2 – Le mensonge d'une vie normale

Le mercredi matin, Sara fut réveillée par des rires.

Pas les siens, bien sûr. Elle ne riait plus depuis longtemps.

Elle ouvrit les yeux sans bouger. Écouter. Analyser. Comprendre.

Deux voix. Une féminine, énergique, chantante. Une masculine, grave, légèrement rauque.

Un rire en cascade, un murmure, un souffle plus proche que prévu.

Zoey, se dit-elle.

Sa colocataire. Enfin là.

Elle ne fit aucun bruit, resta immobile, le regard fixé sur le plafond, jusqu’à entendre la porte claquer.

Puis le silence.

Elle se leva lentement, chaque geste calculé. La pièce sentait le parfum bon marché à la fraise chimique et le café filtre. Une tasse traînait sur le bureau de Zoey, encore tiède.

Sara s’en approcha. Une photo polaroïd y était posée à côté.

Deux silhouettes. Zoey, souriante, les cheveux attachés, et un garçon au regard perçant, aux cheveux noirs. Il la tenait par la taille. Il portait une veste sombre et un demi-sourire en coin.

Sara détourna le regard aussitôt, sans s’attarder.

Elle reposa la photo à l’identique. Le cœur parfaitement immobile.

Ce garçon ne représentait rien pour elle.

Pas encore.

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Le cours de Médecine légale fut plus intense que les précédents. Le professeur appelait les étudiants au hasard, leur posant des questions pièges sur des cas d'autopsie, les poussant à justifier leurs raisonnements devant toute la salle.

Sara, comme toujours, resta invisible.

Jusqu’à ce que son nom soit prononcé.

— Mademoiselle Valdez ?

Elle leva les yeux. Toute la salle se tourna vers elle.

Le professeur, un homme grand, sec, aux yeux perçants, la fixait avec un léger sourire.

— Supposons qu’un corps soit retrouvé dans un fleuve. Aucun traumatisme externe, mais une présence massive d’antidépresseurs dans le foie.

Suicide ou meurtre ?

Elle ne cligna pas des yeux. Sa voix fut posée, calme, implacable.

— Tout dépend de la concentration de nortriptyline et de la température corporelle à la découverte du corps. Si le sang est trop dilué, la noyade a précédé l’ingestion. Si le foie est saturé mais que les poumons contiennent peu d’eau, on parle d’empoisonnement suivi de mise en scène.

Un silence. Puis le professeur sourit franchement.

— Excellent. Continuez ainsi, mademoiselle Valdez.

Elle ne répondit rien. Elle se rassit lentement.

Les regards pesaient sur elle comme des griffes.

Elle les ignora tous.

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Après le cours, elle traîna dans les couloirs jusqu’à la bibliothèque.

Elle choisit un angle reculé, entre les sections de droit comparé et de psychiatrie infantile.

Elle aimait cet endroit. Il sentait le papier ancien, le silence et la poussière humaine.

Elle sortit son carnet, nota :

> Jour 3. J’ai parlé en public. Personne n’est mort. Pas encore.

Elle sentit une légère vibration dans sa poche.

Un message.

Numéro inconnu.

Elle hésita, ouvrit.

> “Tu fais quoi ce soir ? J’suis devant le bâtiment. J’ai ta chambre.”

Sara resta figée. Les doigts crispés.

Ce n’était pas signé.

Mais ce n’était pas une erreur.

Son souffle s’accéléra. Son esprit, non.

Elle tapa rapidement :

> "Je ne suis pas disponible. Vous devez vous tromper."

Réponse immédiate :

> “Toujours aussi froide. On va s’amuser, toi et moi.”

Elle éteignit son téléphone.

Ce n’était pas une erreur.

C’était un message clair.

Quelqu’un savait.

Quelqu’un jouait avec elle.

Elle se leva d’un bond, rangea ses affaires, sortit de la bibliothèque et marcha vite.

Pas courir. Ne jamais courir. Cela trahit la peur.

Arrivée dans sa chambre, elle vérifia la serrure. RAS.

Sur son oreiller, une fleur.

Une rose noire, artificielle.

Elle la prit entre ses doigts. Les pétales étaient en tissu. Le cœur contenait un petit papier roulé.

> “Tu peux changer de pays. Pas d’odeur.”

Elle déchira le message, le brûla dans la tasse à café vide de Zoey.

Regarda les cendres noircir. Puis se leva.

Plus question de rester dans le silence.

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Le soir même, elle se rendit à un entraînement discret dans la salle de sport du campus.

Un espace réservé aux membres du club de boxe universitaire.

Elle avait menti pour entrer. Créé un faux profil, une fausse licence.

Elle entra dans le vestiaire vide. S’attacha les cheveux. Enfila un short noir, un débardeur.

Ses poings étaient bandés. Automatiquement. Comme un rituel.

Chaque tour de bande était une promesse. Une protection. Une manière de dire : je suis prête.

Dans la salle, personne au début.

Puis un garçon s’approcha du sac de frappe à côté du sien. Grand, musclé, concentré. Il ne lui parla pas. Elle apprécia.

Elle frappa. Encore. Encore. Encore.

Jusqu’à sentir ses bras vibrer.

Jusqu’à ce que ses muscles hurlent.

Jusqu’à ce que son esprit s’éteigne.

Juste le rythme. Juste le choc. Juste la douleur sourde et répétée.

Son langage.

Elle resta là jusqu’à ce que le surveillant vienne éteindre les lumières.

— Vous êtes nouvelle ?

— Non.

Elle sortit sans un mot de plus.

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De retour dans sa chambre, elle trouva Zoey allongée sur son lit, casque sur les oreilles, ordinateur portable sur les genoux.

— Salut ! s’exclama-t-elle en retirant un écouteur. Enfin je te vois !

Sara hocha à peine la tête.

— Sara, c’est ça ? J’adore ton style. T’as un truc très... badass. Et mystérieux.

Sara se contenta d’un « merci » à peine audible.

Zoey ne sembla pas s’en formaliser.

— Tu veux que je te prépare un truc à manger ? J’ai commandé un peu trop de sushi… Et j’ai aussi des gyoza !

Sara refusa poliment.

— Je mange plus tard.

— Ok. Oh et au fait, mon copain va peut-être passer demain. Il est super cool, t’inquiète. Il cuisine comme un dieu. Je te jure, genre... digne d’un resto étoilé. Tu vas voir, c’est un amour.

Sara sourit mécaniquement.

— Je ne mange pas beaucoup.

Zoey haussa les épaules.

— C’est pas grave. T’as l’air d’avoir un métabolisme magique.

Elle rit. Encore ce rire clair, presque naïf. Sara l’envia un instant.

Pas parce qu’elle le voulait, mais parce qu’elle ne le comprendrait jamais.

---

Plus tard, dans le noir, Sara ouvrit son carnet.

> Jour 3.

Les ombres m’ont retrouvé.

Je suis prête.

Je le serai toujours.

Et juste en dessous, une phrase sans date, comme une menace, comme un serment :

> S’ils me touchent encore, cette fois, je tue.

Elle referma lentement.

Et s’endormit les poings fermés.

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