SARA

SARA

Prologue

Harvard, Massachusetts – Lundi 4 septembre, 6h27

Le ciel est gris. Pas ce gris lumineux qui annonce la pluie d’automne, non. Un gris sale, cotonneux, presque suffocant. Celui qui écrase les épaules sans qu’on sache pourquoi. Celui qui ressemble à l’intérieur d’un crâne quand on n’a pas dormi depuis trois jours.

Sara ne regarde pas le ciel. Elle ne lève jamais les yeux vers ce qu’elle ne peut pas contrôler.

Elle tient sa valise d’une main, un simple bagage noir sans nom ni étiquette, et traverse lentement la cour pavée du campus. Autour d’elle, des étudiants rient, s’embrassent, prennent des selfies, appellent leurs parents, échangent leurs premières impressions comme on échange des promesses creuses.

Elle n’écoute pas. Elle avance.

Son pas est droit. Son dos aussi. Elle a appris à marcher comme si rien ne pouvait l’atteindre. Comme si son cœur n’était pas un champ de ruines.

Elle sait que les gens la regardent. Pas parce qu’elle est belle — même si elle l’est — mais parce qu’elle est différente.

Il y a quelque chose d’étrange chez elle, quelque chose qu’on ne nomme pas, mais qu’on sent.

Peut-être ses cheveux, longs, noirs, bouclés, qui tombent jusqu’à ses reins comme une ombre.

Peut-être son regard : un œil bleu pâle, presque blanc, et l’autre gris acier, froid, coupant.

Ou peut-être cette manière de se mouvoir, avec une maîtrise féline, presque militaire.

Comme si elle venait d’un autre monde.

Elle passe devant la statue de John Harvard sans un regard. Elle sait déjà que c’est un faux. Elle connaît l’histoire. Elle connaît toutes les histoires. Dix langues dans la tête. Trois ans d’avance. Une mémoire photographique. Des diplômes qu’elle aurait pu aligner comme des trophées, mais qu’elle a jetés à la poubelle, un soir de pluie, à Paris.

Elle s’arrête devant un vieux bâtiment en pierre. Un dortoir. Rien d’impressionnant.

Elle vérifie le nom sur le papier qu’on lui a donné à l’entrée : Matthews Hall – Chambre 114.

Elle inspire. Expire. Tourne la poignée.

La chambre est vide. Propre. Trop propre. Deux lits, deux bureaux, deux armoires. Des rideaux bordeaux. Une moquette beige. Le genre d’endroit aseptisé où l’on fait semblant de recommencer.

Elle choisit le lit près de la fenêtre. Toujours avoir une sortie. Toujours.

Elle pose sa valise sur le sol, l’ouvre en silence. Des vêtements pliés avec soin. Aucune photo. Aucun bijou. Aucun objet personnel.

Juste une arme cachée sous un pull noir. Un Glock 19. Non chargé.

Habitude. Sécurité. Rappel.

Elle retire sa veste, enfile un sweat noir et un jean. Elle attache ses cheveux en un chignon serré. Pas pour la mode, pour la survie. Elle sait que trop de choses peuvent se faire attraper par les mèches trop longues.

Elle s’observe une seconde dans le miroir. Elle ne se sourit pas. Elle ne se parle pas. Elle ne se reconnaît pas.

Sara Valdez.

Nouveau départ. Nouveau pays. Nouveau mensonge.

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Le bureau d’admission l’a accueillie comme un trésor. Une élève prodige, capable d’intégrer à dix-sept ans une double formation en médecine et droit à Harvard. Un mythe ambulant.

Ils ne savent rien.

Ils ne savent pas qu’à quinze ans, elle s’est jetée dans un train de nuit avec une lame rougie dans la poche arrière.

Qu’à seize, elle a arrêté deux trafiquants en pleine rue, arme au poing.

Qu’à dix-sept, elle portait l’uniforme de lieutenant de police dans une brigade spéciale, avant de démissionner sans explication.

Ils n’ont pas lu les dossiers. Ceux classés confidentiels. Ceux qu’elle a effacés elle-même. Ils n’ont pas vu son dossier médical, ses crises, ses nuits passées à hurler dans une chambre blanche sous sédatif.

Ils ne savent pas que sa mère est en prison, ou morte. Elle ne sait même plus elle-même.

Elle a tout effacé.

Tout recommencé.

Mais pas oublié.

Jamais.

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Il est huit heures quand elle entre dans le grand amphithéâtre. Sa première classe : Éthique médicale et bio-droit.

Elle s’installe seule au fond, loin des bavardages, des rires, des téléphones. Elle ouvre son ordinateur, écran noir, clavier usé. Elle n’a pas besoin de notes. Tout est déjà dans sa tête.

La salle se remplit peu à peu. Des regards glissent vers elle. Curiosité, jugement, fascination.

Personne ne l’approche.

Elle aime ça.

Elle veut l’anonymat. Le silence. La distance.

Mais elle sait que ça ne durera pas.

Il y a toujours quelqu’un.

Quelqu’un qui insiste.

Quelqu’un qui creuse.

Quelqu’un qui s’approche trop.

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À la fin du cours, elle marche jusqu’à la bibliothèque. Pas pour lire. Pour respirer.

Elle s’assied dans un coin, au troisième étage, entre les étagères d’ouvrages de droit constitutionnel et de psychiatrie criminelle.

Elle sort un carnet noir. Épais. Relié.

À l’intérieur, aucune ligne. Que des pages blanches remplies de dessins, de mots, de formules codées.

Sur la première page, elle écrit lentement, de sa plus belle écriture :

> Harvard, Jour 1.

Je ne suis pas guérie. Mais je suis là.

Et je n’ai plus peur.

Elle referme le carnet.

Et elle sourit.

Pas un sourire heureux.

Pas un sourire vrai.

Un sourire brisé. Un de ceux qu’elle a appris à faire très jeune.

> Souris et encaisse. La vie continue.

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