Mémoire d’un baiser brûlé

« Certains souvenirs ne meurent jamais… ils attendent, tapissés dans l’ombre du cœur, que l’âme les touche à nouveau. »

— Sonia

La pluie tombait doucement sur la forêt de Neralith, formant une mélodie cristalline sur les feuilles épaisses et les toits en bois.

Sonia regardait par la fenêtre de la cabane, le visage calme, mais les pensées en tumulte. La veille encore, elle faisait face au Gardien des Cendres. Et ce matin, la forêt semblait plus lourde, plus silencieuse, comme si même les esprits hésitaient à parler.

Elian dormait encore, allongé sur le futon. Il bougeait par instants, murmurant des mots dans son sommeil.

Des noms. Des fragments. Une langue oubliée.

Et parfois, entre deux souffles, son nom à elle.

Sonia détourna le regard.

— C’est trop tôt… souffla-t-elle.

Mais la vérité était là : ils se souvenaient. L’un comme l’autre.

Pas clairement. Pas totalement.

Mais leurs cœurs savaient.

Et dans le silence, les souvenirs murmuraient.

Quand Elian se réveilla, elle était déjà dehors, assise près d’un petit feu magique, entre deux pierres anciennes couvertes de mousse.

Il s’approcha, un peu hésitant.

— Tu n’as pas dormi ? demanda-t-il.

— Pas besoin. La forêt me parle quand je ferme les yeux.

Il s’assit en face d’elle. Pendant un long moment, aucun des deux ne parla. Le feu crépitait doucement, projetant des ombres chaudes sur leurs visages fatigués.

Puis, il dit :

— Je me souviens d’un goût.

Elle tourna les yeux vers lui.

— Un goût ?

Il hocha la tête.

— Tes lèvres. Elles avaient un goût de pluie douce… et d’étoile.

Sonia sentit son cœur rater un battement.

— Tu m’as embrassée, n’est-ce pas ? Avant.

Il ferma les yeux.

— Non. C’est toi qui m’as embrassé. C’était… la nuit où tout s’effondrait. Tu avais peur. Mais tu m’as dit : "Si je dois disparaître, je veux le faire en sachant à quoi ressemble ton cœur."

Sonia sentit sa gorge se nouer. Elle s’en souvenait aussi. Ce baiser. Cette nuit.

Elle n’avait que fragments et sensations… mais c’était là.

Le vent se leva soudainement. Une rafale étrange, chaude, porteuse d’un parfum de feu.

— Ce n’est pas normal, murmura-t-elle.

Elian se leva.

— Qu’est-ce que c’est ?

Elle ferma les yeux. Tendant la paume vers le vent, elle murmura une incantation oubliée.

"Revela... sarthir elyn…"

Un cercle lumineux apparut sous leurs pieds. Une vision surgit.

Un souvenir.

Mais pas le leur.

Quelqu’un d’autre se souvenait du baiser.

Dans un lieu éloigné, entre les racines du monde, un regard noir les observait.

Une femme au visage voilé, vêtue d’un manteau rouge sang, caressait une sphère d’obsidienne où les reflets montraient Sonia et Elian, côte à côte.

— Alors… vous vous retrouvez, souffla-t-elle.

Sa voix était douce, mais acide.

— Et tu crois, Sonia, que le passé peut être effacé comme une larme ? Que ton baiser ne m’a pas marqué ? Que ta lumière ne m’a pas déchirée ?

Elle se leva.

— Tu l’as choisi. Moi, tu m’as condamnée.

Ses yeux brillaient d’une douleur glaciale.

— Alors je vais te montrer ce que vaut une promesse brisée.

Elle fit un geste.

Dans l’ombre, quelque chose se mit en marche.

De retour à la cabane, Sonia et Elian étaient encore sous le choc de la vision.

— C’était… qui ? demanda Elian, la voix rauque.

— Une femme… je ne sais pas. Je ne me souviens pas d’elle. Mais elle… se souvient de nous.

— Elle parlait du baiser. Elle parlait de toi. Elle semblait… trahie.

Sonia serra les dents.

— J’ai peut-être blessé quelqu’un. Autrefois. En te choisissant.

— C’était ton choix. Ce n’était pas une erreur.

— Peut-être. Mais les conséquences sont toujours là.

Elle se leva d’un bond.

— Il faut que je voie Enna.

Ils se rendirent dans une zone plus profonde de la forêt, un sanctuaire presque oublié, gardé par trois esprits anciens.

Enna les attendait, assise sur un trône formé de lumière lunaire et de brume.

— Vous avez réveillé plus que vos souvenirs, dit-il sans les saluer.

— Qui est-elle ? demanda Sonia.

L’esprit détourna le regard.

— Une âme blessée. Une ancienne gardienne. Elle t’aimait, Sonia. Elle a tout perdu le jour où tu as fait ton choix.

— Je…

— Elle s’appelait Nahara.

Sonia ferma les yeux.

Oui.

Ce nom. Il résonnait dans sa poitrine.

Une ancienne amie. Une protectrice. Peut-être plus.

Mais dans une vie antérieure, elle l’avait abandonnée.

Pour Elian.

— Elle t’a maudite, murmura Enna. Le jour de ta promesse. Et maintenant que vous êtes réunis… elle revient.

Elian se tourna vers Sonia.

— Elle veut te faire du mal ?

— Non, dit Enna. Elle veut voler ta place.

La tension monta dans les jours suivants. Sonia restait silencieuse, troublée.

Elian essayait d’alléger l’atmosphère, mais il voyait bien qu’elle s’éloignait doucement.

Un soir, il la rejoignit au bord de la rivière.

— Tu regrettes ? demanda-t-il.

Elle secoua la tête.

— Non. Mais j’ai peur.

— De quoi ?

— Que cette fois encore… mon amour brise quelqu’un. Détruise quelque chose.

Elle le regarda.

— Que tu sois la prochaine victime.

Il lui prit doucement la main.

— Je suis ici. Volontairement. Même si le passé est douloureux… je suis prêt à me battre.

Elle le fixa longuement.

Puis, elle se pencha lentement vers lui.

Et l’embrassa.

Ce baiser n’était pas une mémoire.

C’était présent.

Réel.

Chargé de tous les baisers qu’ils s’étaient promis dans d’autres vies, de tous ceux qu’ils n’avaient pas eu le temps d’échanger.

Un baiser doux. Triste. Lumineux. Et brûlant.

Mais au même moment, très loin de là…

Une flamme noire s’alluma.

Et dans les ombres, Nahara ouvrit les yeux.

— Maintenant, dit-elle.

Qu’ils s’embrassent… et je les brûlerai.

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