Le Gardien des Cendres

« L’amour réveille ce qui dormait. Mais parfois, ce qui dormait ne devait jamais se réveiller. »

— Enna, esprit de Neralith

Le rugissement avait brisé le silence du bois comme un couteau fend une étoffe trop fine.

Les feuilles s’étaient mises à trembler. Le sol pulsait d’une énergie lourde, presque brûlante.

Sonia se redressa d’un bond, sa main encore posée sur l’autel ancestral. Elian, à ses côtés, tremblait. Les images qu’il avait vues dans sa mémoire ne s’étaient pas éteintes — elles dansaient toujours derrière ses paupières.

— Qu’est-ce que c’était ? demanda-t-il d’une voix rauque.

— Ce que nous avions scellé, murmura Sonia.

Elle tourna lentement les yeux vers lui, et dans ce regard, il lut ce qu’elle s’était efforcée de taire jusqu’ici :

Elle avait peur.

Et si elle avait peur… c’est que le danger n’était pas un simple monstre.

C’était lui.

Le Gardien des Cendres.

Ils coururent à travers les arbres, la lumière dans les feuillages devenant orangée. La forêt semblait se plier, se rétracter à mesure qu’ils avançaient vers le cœur de Neralith.

Sonia s’arrêta brusquement près d’un grand saule aux larmes noires. Elle leva la main, traça un cercle dans l’air. Un portail de brume s’ouvrit.

— On passe par là. C’est un raccourci.

— Un quoi ?

— Une faille dans les racines du monde. Un passage oublié.

Elle entra sans hésiter.

Elian, la gorge serrée, la suivit.

De l’autre côté, tout était silence.

Ils arrivèrent dans une clairière ancienne, recouverte de cendres. À son centre se trouvait un trône de pierre noire, brisé en deux. Autour, des statues carbonisées de créatures magiques. Des visages figés dans la peur.

— Ce lieu… c’est ici que nous avons vaincu le Gardien, souffla Sonia. Ou du moins, nous le croyions.

Elian s’approcha lentement d’une statue. Il effleura du bout des doigts un bras brisé, réduit à l’état de cendre.

— Qu’est-ce qu’il est ?

— Le reflet inversé de la promesse.

Un esprit corrompu par la haine. Il était autrefois un protecteur du pacte… mais il a voulu en faire un pouvoir. Il s’est retourné contre nous.

Soudain, la terre vibra.

Une fissure s’ouvrit au pied du trône. Une vapeur noire en sortit, dense, lourde, et chargée d’une voix rauque :

— Tu es revenue, Sonia.

La jeune femme se figea.

— Et tu l’as ramené…

Une silhouette émergea. Haute, couverte d’ombres en forme de flammes mourantes. Ses yeux étaient deux braises vivantes.

Il portait une couronne d’os calcinés.

Le Gardien des Cendres.

— Elian, recule, dit-elle.

Mais le jeune homme ne bougea pas.

— Tu as peur pour lui, dit la voix. Même après tout ce temps. Même après la trahison. Tu n’as rien appris.

— Tais-toi ! cracha Sonia. Il n’a rien fait. Tu le sais.

— Ce n’est pas lui que je juge. C’est toi. Tu aurais dû le laisser partir… mais tu as tout réveillé. Tu as ouvert la porte.

La créature fit un pas. Le sol brûlait sous lui.

— Je suis le prix de votre serment.

Elian se plaça devant Sonia, tremblant.

— Si c’est un prix que nous devons payer, alors prends-moi.

Le Gardien se figea.

Sonia le repoussa brusquement.

— Tu ne comprends pas, Elian ! Il ne veut pas te prendre… il veut te posséder. Il veut notre lien. Il veut notre pacte.

— Je ne le laisserai pas faire.

— Tu ne peux pas… pas sans savoir ce que tu es vraiment.

Un instant, le monde sembla suspendu.

Le Gardien leva une main. Des chaînes d’ombre jaillirent.

Sonia cria :

— Lux Revia !

Un cercle de lumière explosa autour d’eux, les repoussant.

Le Gardien recula, grogna, puis disparut dans un souffle de cendres.

Mais il laissa derrière lui une marque noire dans le sol.

Un avertissement.

Plus tard, alors qu’ils rentraient vers la cabane, Sonia boitait légèrement. Elian marchait à ses côtés, silencieux.

— Tu ne m’as pas tout dit, murmura-t-il.

— Non. Et je ne suis pas sûre de pouvoir.

— Alors dis-moi au moins… est-ce que c’est à cause de moi que ce Gardien existe ?

Sonia s’arrêta.

— Non. Mais c’est à cause de nous qu’il s’est éveillé.

Elle leva les yeux vers le ciel, où les étoiles commençaient à poindre.

— Nous avons fait une promesse. Elle était si pure, si belle… que même le monde n’a pas pu la supporter. Alors il a créé… une faille. Une ombre.

— Une ombre… née de notre lumière ?

— Oui.

Ils restèrent silencieux.

Puis Elian dit :

— Alors cette fois, on ne va pas fuir. On va se battre. Ensemble.

Elle le regarda.

Et pour la première fois depuis leur retrouvailles, elle sourit.

Mais au fond d’elle, une voix murmurait encore…

Et si le prix, cette fois, était toi ?

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