Je sors enfin de mon cours de littérature anglaise. Deux heures. Deux longues heures. Honnêtement, si ça avait duré plus, j’aurais quitté l’amphi. C’est pas que je déteste la littérature — au contraire. J’aime les mots, les grandes histoires, les amours tragiques, les fins ouvertes. Ce que je n’aime pas, c’est la manière froide dont on dissèque les textes. Comme si l’amour de Catherine pour Heathcliff se résumait à une structure narrative et trois figures de style.
Moi, je préfère quand on en débat. Quand on ressent. Quand on parle de Jane Austen comme d’une meuf badass qui croyait à l’amour tout en défiant les codes. Ou quand on dissèque Roméo et Juliette en se demandant si ce n’était pas juste deux ados trop impulsifs et mal entourés.
Je suis romanesque. Pas naïve, juste… intense.
Je quitte le bâtiment, sac sur l’épaule, direction le terrain. Mike m’attend. Enfin, je crois. Enfin… j’espère ? Je ne sais pas très bien où on en est, lui et moi. Ce n’est pas clair. Pas vraiment officiel, pas vraiment flou non plus. Il est là, de plus en plus souvent. Il m’écrit, il me fait rire. Il me rassure. Et moi ? Je ressens un mélange étrange. De l’attachement, oui. Du désir parfois. Mais est-ce que je l’aime ? Ou est-ce que je l’aime pour ce qu’il m’apporte ? Ce vide qu’il comble en moi ? Peut-être un peu des deux.
Je traverse la cour de l’université, coupe entre les terrains, passe devant le banc du basket. Je le vois. Il est assis, seul, les écouteurs dans les oreilles, un petit sac posé à côté de lui. Il lève la tête pile au moment où j’arrive. Son regard accroche le mien.
Il sourit.
Et ce sourire, bordel… Il me fait quelque chose.
— Je ne suis pas en retard j’espère ? je crie en m’approchant.
— L’essentiel, c’est que tu sois là, répond-il en retirant ses écouteurs.
Je souris, un peu gênée. Il prend le sac, en sort deux sandwichs, un mini jus et une barquette de fraises.
Des fraises. Mon fruit préféré.
— Tu t’es donné du mal, dis-je en m’asseyant à côté de lui.
— T’as vu ? Je sais comment te séduire. Fraises et jus multifruit, combo gagnant.
— J’avoue, tu commences à me connaître, je réponds en prenant une fraise.
Il me regarde.
— T’es jolie aujourd’hui.
Je baisse les yeux, un sourire au coin des lèvres.
— Merci.
Il me tend le sandwich, on mange doucement. Le moment est simple, mais doux. Il me parle de sa journée, de son entraînement de basket. Il est dans la section médiatisation, spécialisé en journalisme sportif. Il déteste les cours de droit médiatique, et il me le fait bien comprendre en mimant son prof, avec sa voix traînante et ses mains pleines de craie. Je ris.
Il m’explique qu’il espère avoir une bourse pour son master. Il veut continuer dans le journalisme, peut-être à New York, peut-être ailleurs. Il me parle des prochains matchs à venir, de la fatigue, de la pression. Et moi, je l’écoute. Vraiment. J’aime bien sa voix. J’aime bien quand il s’emballe.
— Si t’as pas la bourse, je fais une pétition, je dis avec un ton faussement solennel.
— T’as intérêt. Je veux au moins 500 signatures et une pancarte avec mon nom dessus.
— Ok, mais tu mets ma tête sur ton t-shirt pendant ton match retour, dans ce cas.
— Marché conclu. Mais seulement si t’es en photo en train de me regarder amoureusement.
Je rigole, un peu trop. Et pendant qu’on se cherche comme ça, à travers des vannes, des sourires et des regards, je me demande si je pourrais vraiment tomber amoureuse de lui. Ou si c’est juste l’illusion d’être bien, d’être choisie, d’être vue.
Je ne sais pas. J’évite d’y penser. Je savoure le moment.
— Tu sais que t’es bizarre, parfois ? dit-il soudain.
— Merci, c’est censé être un compliment ?
— Ouais. C’est ce que j’aime bien chez toi.
Il a dit ça avec un naturel déconcertant. Comme si ce n’était rien. Mais moi, à l’intérieur, ça fait un peu de bruit.
Je ne lui demande pas ce qu’on est. Je n’ose pas. J’ai toujours été celle qui pose trop de questions, qui veut des réponses claires. Et cette fois, j’ai pas envie de courir après une définition. Peut-être que ça viendra. Peut-être pas.
Le temps passe vite. On termine les fraises. Il regarde sa montre.
— Je dois y aller, j’ai une réunion avec le coach.
— Okay. On se voit après-demain ?
— Même heure, même banc, même fraises ?
— T’as intérêt.
Il se lève, attrape son sac, m’effleure l’épaule au passage.
— À dans deux jours, miss littérature anglaise.
— Et t’as intérêt à savoir citer Shakespeare cette fois. Je veux du romantisme niveau tragédie grecque.
— Seulement si tu portes une robe à la Juliette Capulet.
Je souris. Il s’éloigne.
Et moi, je reste là. Le cœur un peu plus léger, mais l’esprit toujours embrouillé.
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